Ta mère Bescherelle ta mère - Tu parles ! de Jérôme Piron et Arnaud Hoedt
Au moyen âge, les moines copistes ont des conditions de travail difficiles. Dans l'exemple : "Les pieds que Jésus a lavés", un simple regard vers la gauche permet au moine de savoir ce que Jésus a lavé. Il a lavé quoi ? Les pieds. Il accorde. Pas de problème.
Par contre, quand le moine écrit : "Jésus a lavé...". Le moine se dit : "Il a lavé quoi ? je ne sais pas. Je vais attendre. Ça va sûrement venir dans la suite du texte".
Pourquoi l'esprit critique s'arrête-t-il au seuil de l'orthographe ?
C'est parce qu'on a tous appris à ne plus se demander pourquoi.
Pourtant, l'orthographe ne tombe pas du ciel, comme ça, toute faite.
Ce lien entre langue et Nation ne remonte pourtant qu'à la Terreur.Au début, la Révolution respecte encore le multilinguisme. On traduit les lois et les décrets dans les langues régionales. La Révolution est aussi un lieu de renouveau linguistique. On change le calendrier, on s'appelle « citoyen », En 1791, le grammairien François-Urbain Domergue propose de remplacer « royaume » par « loyaume » pour désigner un pays où « la loi seule commande ». Mais, à partir de 1794, tout ba- messcule et on passe à l'idéologie de l'unilinguisme national radical. Le multilinguisme est même considéré comme contre-révolutionnaire. Cette idéologie est réactivée à la fin du XIXe siècle avec la montée des nationalismes. Pourtant, ce n'est qu'en 1992 que le Rassemblement pour la République va réussir à la faire inscrire dans l'article 2 de la Constitution : « Le français est la langue de la République. » A ce titre, il est intéressant de rappeler que la Belgique est une monarchie constitutionnelle, que la Suisse, une confédération, et que le Québec appartient toujours à la couronne d'Angleterre. On comprend donc que ça ait un peu gueulé à l'époque. La France a dès lors judicieusement rectifié cet article et noté : « La langue de la République est le français. »
Est-ce opportun de dire trois fois "putain" dans une chronique éditées chez Le Robert ?
Dans les cahiers préparatoires de ce dictionnaire, il est indiqué que l'orthographe servira à "distinguer les gens de lettres d'avec les ignorants [sic] et les simples femmes"
(p.66)
Seulement voilà, comme toute invention humaine, l'orthographe est évidemment imparfaite : marquée d'erreurs, d'incohérences, de tâtonnements oubliés dans ses recoins, d'incongruités bizarres ou d'absurdités énormes, d'idéologies, de croyances, de superstitions...
Et comme toute invention humaine, certains individus et certains groupes s'en sont emparés pour la manipuler, au mauvais sens du terme : la compliquer tout exprès pour la rendre difficilement accessible à la majorité des gens, pour en faire un instrument de sélection et d'inégalité, de distinction, de pouvoir... En faire un emblème aussi : de la langue elle-même, avec laquelle elle est souvent confondue, d'une identité nationale fondée sur une langue unique et son habillage méritocratique, d'une adhésion ou d'une soumission à des normes sociales, d'une éducation réussie ou d'une éducation tout court... La langue française est ainsi devenue un totem que l'on révère religieusement et son orthographe en est le cœur sacré.
A l'école, les enfants se demandent pourquoi. Pourquoi avant et pas après, pourquoi un x, pourquoi pas de t ?
Et quand les enfants demandent pourquoi, on leur explique comment. Comment on écrit, comment on accorde. Pourquoi l'esprit critique s'arrête-t-il au seuil de l'orthographe ?
C'est parce qu'on a tous appris à ne plus se demander pourquoi.
La culture de la Renaissance, c'est l'italien. Aujourd'hui, que ça nous plaise ou non, c'est la culture anglo-saxonne. Si on veut plus de vocabulaire français dans la culture, il faut développer plus de culture française. Ou plutôt francophone, parce que la culture française, ça ne doit pas forcément venir de France. (75)
On juge souvent votre orthographe.
On ne juge jamais l'orthographe.
"demander à l'académie française son avis sur la féminisation, c'est un peu comme demander à Philip Morris son avis sur les traitements du cancer du poumon" (page 36)