L'École du futur (16/11/2022): Comment vivre libre à l'heure des algorithmes ?
Les pulsions déchaînent les passions ; les passions eclipsent la raison ; les croyances et la superstition remettent en cause les connaissances scientifiques les mieux établies.
Les parties du cerveau impliquées dans les circuits de la récompense et de la motivation via la sécrétion de dopamine s'activent en vue de la satisfaction de cinq besoins fondamentaux : la nourriture, le sexe, le statut social, l'économie d'effort et la quête d'informations. Forgées par l'évolution au cours de la préhistoire dans un environnement caractérisé par la rareté, les notions de modération et d'autolimitation ne sont pas innées chez nous. Nous sommes enclins, dès lors que nous avons comblé un de ces besoins, à concevoir le nouveau atteint ou la quantité acquise comme une nouvelle référence et à en demander davantage.
En effet, si une fraction de la population mondiale peut, grâce à YouTube et autres Facebook, avoir accès à une information encyclopédique qui lui permet de gagner en hauteur de vie et en autonomie de jugement, pour l'essentiel de nos concitoyens c'est l'inverse qui se produit : ces réseaux rétrécissent le champ de vision, en ne proposant que des informations qui confortent des opinions préexistantes, et l'expérience montre que cet effet est d'autant plus prononcé que l'opinion est en contradiction avec les faits.
Faut-il s'émerveiller ou se désoler de notre époque?
Les uns font valoir que l'espérance de vie, le nouveau d'éducation et le revenu moyen n'ont jamais été aussi élevés sur terre. Que nous savons prévenir ou guérir la plupart des maladies dont souffraient nos ancêtres. Que l'extrême pauvreté, qui concernait la majorité de la population mondiale il y a encore deux siècles, touche aujourd'hui moins d'un humain sur dix. Que des machines effectuent à notre place une part sans cesse croissante des besognes pénibles, que le temps de travail a considérablement diminué et que la plupart d'entre nous avons accès à des technologies qui relevaient de fables futuristes lorsque nous sommes nés.
Les autres rétorquent que ces progrès matériels sont fondés sur l'exploitation des richesses naturelles. Que l'épuisement ou la surexploitation des ressources fossiles et minières condamnent chacune de ces avancées à moyen terme. Que la mondialisation a détruit des cultures millénaires pour leur substituer le productivisme et le consumérisme de masse. Que les inégalités n'ont jamais été aussi visibles qu'à travers les technologies de l'information modernes, qui confrontent le train de vie des plus misérables à celui d'influenceurs fortunés. Que les colossales pollutions engendrées par notre modèle de développement menacent l'habitabilité de la planète pour des millions d'espèces dont la nôtre.
Au total, les 3,8 milliards d'utilisateurs réguliers des réseaux sociaux y consacrent en moyenne environ 2 heures et 30 minutes quotidiennes. Cela signifie que chaque année, un utilisateur passe en moyenne deux mois de sa vie éveillé sur les réseaux sociaux. Le temps démesuré que nous allouons à nos écrans n'est pas qu'un effet secondaire du fonctionnement des plateformes : il en constitue le premier objectif et le principal indicateur de performance.