Cette grande rue commence devant le Vat Mai. Les vendeuses assises de ses deux côtés sur des tabourets en rotin tressé - aussi élégants qu’ils sont minuscules - abritent du soleil leur étalage simple sous des parasols venant du Yunnan ou sous des toitures en lames de bambou.
Elles sont femmes ou filles de Luang-Prabang et se reconnaissent à l’aisance des gestes et de l’attitude, à plus de souplesse et de distinction, à leur civilité douce et familière, à un raffinement dans l’habillement et dans la parure, à leur coquetterie d’un charme ingénu.
Elles se vêtent de jupes à raies verticales tissées soie et or, de menue valeur dont, élégamment, une sous-jupe blanche grossit les plissements. A cause du frais de la matinée elles portent des vestes gentiment brodées que l’écharpe recouvre. Des fleurs par bouquets chargent leurs cheveux. Si modestes que soient leurs petites boutiques, elles ont auprès d’elles la théière, la tasse, la boîte à bétel, la cire pour les lèvres et des cigarettes. Leurs arrangements installés proprets en quelques minutes présentent d’infimes choses toujours disposées avec tant de goût et de naïveté qu’elles forcent l’attention, et quand la marchande, d’un coup d’oeil gracieux - en même temps discret, pour ne pas nuire à sa voisine - appelle l’acheteur, il ne peut moins faire que complimenter, au moins du regard, l’ensemble charmant.
Elle plaît à l’extrême, cette promenade dont l’attrait augmente chaque fois qu’elle revient.
2 janvier 1889
Pendant mon séjour récent à Hanoï, Ngin m'a rappelé, je n'oubliais pas, la promesse faite à mon cher Satou, d'apporter un baume qui ranimerait sa jambe engourdie et les beaux souliers qu'il voulait chausser pour aller partout dans Luang-Prabang louer son sauveur!
Ce dernier achat me fut très facile: dans un magasin des brodequins rouges étaient à sa taille; mais me procurer l'onguent merveilleux, c'était autre chose!
Le blessé pourtant, c'est l'avis de Ngin, je m'en doutais aussi, a si grand souci de me rehausser aux yeux des Siamois, et un tel désir de me faire l'objet de l'admiration des bons Laotiens, qu'il est bien capable, s'il était guéri, de rester inerte jusqu'à mon retour, jusqu'aux premiers soins qu'il aura de moi.
Comptant donc bien plus pour le voir debout ou pour le miracle, sur sa volonté que sur mon remède, je me décidai à ne rechercher que quelque pommade au parfum subtil, encore inconnue à Luang-Prabang, qui se garderait jusqu'à son emploi; c'est pourquoi j'apporte un pot, acheté il y a six mois, du baume célèbre de Fioravanti, doux à l'odorat!
Heureux quand il pouvait se rendre utile, dédaigneux des séductions et des plaisirs passagers, il plaisait à tous ceux qui l'approchaient par la douceur de son regard, miroir de l'âme, par sa bonté naturelle, sa simplicité, enfin par ces mille dons du Ciel qui font, aux êtres prédestinés à rendre les peuples meilleurs, comme une invisible auréole de bienveillance appelant tous les cœurs. (p. 45)
Elle l'emmena enchaînée à son camp, l'y tortura à loisir et fit ensuite tomber sa tête, qu'au bout d'un fort long bambou, on éleva au sommet d'une montagne rapprochée, qui prit pour nom Sang-Kebal (nom qui signifie : élévation de la tête). (p. 25)