— C’est sans doute une Malgré-elle.
— Une quoi ?
— Une Malgré-elle. Ces femmes qu’on intégrait de force dans diverses structures allemandes. Celle-là doit avoir été affectée au service auxiliaire ou à l’organisation du travail. Elles ont été probablement kidnappées, voire menacées de mort si elles n’obéissaient pas.
— C’est une blague ?
Le regard de son ami lui confirma qu’il ne plaisantait pas du tout.
— Tu veux dire que les Allemands ont fait ça à leurs propres…
Lucas hocha la tête.
Esther réintégra l'interminable file de gens qui marchaient devant elle. Des êtres humains comme elle. Des juifs.
Noâm se sentait aigri, meurtri, atteint, mais d'un autre côté, il comprenait qu'en temps de guerre, le choix était nécessaire, voire obligatoire. Sauver le plus grand nombre en sacrifiant quelques-uns. Difficile à digérer, à admettre pour un jeune homme de son âge.
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Rien n'est plus fort que les lois naturelles, les lois de l'espace et du temps. Immuables. Irréversibles. Les changements occasionnés ne pourraient sans doute pas trouver d'autres résolutions que l'acceptation.
Les cris recommencèrent. Encore et encore. La jeune Rêveuse se prit la tête entre les mains : elle n’en pouvait plus de les entendre. Son corps meurtri la faisait souffrir. Des égratinures parcouraient ses mains et ses jambes, signes qu’elle s’était heurtée à des ronces. Cette forêt devenait de plus en plus hostile.
Alen dessina un oiseau sur le sable mouillé. D’un battement de cils, il lui donna vie. Le volatile s’éveilla et, d’un mouvement gracieux, prit son envol dans l’immensité du ciel. Un petit garçon, les yeux ébahis, contempla le spectacle sans un mot.