Donc, ce soir, elle avait d'un coup vieilli. Elle restait là, sur son lit, assise, lourde de ses soixante-dix-neuf ans et vidée de courage. Sa chambre, sa vieille chambre conjugale, donnait sur la rue où ne passait jamais grand monde, mais qui aujourd'hui était un désert. [...] Le lit, le grand lit, dont il lui arrivait d'apprécier depuis la mort de Jules la vastitude, d'où depuis longtemps s'était mise en sourdine la nostalgie, en tendant la jambe, d'attraper les doigts de pied de son mari, lui semblait maintenant plat, froid et nu. (p.13)
Rosette se dit sombrement : « Il n'y a pas de purgatoire ici, c'est l'enfer. »
L'oncle Maurice était le frère de son père. [...] Sa femme, la tante Amandine, avait beau lui montrer en exemple son frère Georges qui se décarcassait pour acquérir pétrolette et téléviseur, lui tenir des objurgations publiques, lui faire honte, montrer à tout le monde, avec un geste lyrique du bras, le logis qu'elle briquait certes dévotement, mais qui manquait du moindre superflu à cause de l'inertie de Monsieur, l'oncle Maurice s'obstinait à considérer que quarante-quatre heures chez son employeur qui fabriquait des meubles légers pour OS (ouvriers spécialisés), c'était déjà beaucoup. (p.11/12)
p.13 « Elle qui était la sobriété même, ne buvant que de l’eau et en très petite quantité, engueulée là-dessus par le jeune médecin bien endoctriné qui grondait : Un litre et demi, Mme Debuisson, au moins un litre et demi ! eut soudain envie d’alcool, oh ! pas grand chose, un petit fond. Du coup, elle pivota, se tourna vers la glace de l’armoire, présenta le pouce et l’index à quatre millimètres l’un de l’autre pour montrer la profondeur de ce petit fond. De voir, comme ça en face d’elle, une petite femme âgée et sérieuse l’autorisant à boire quatre millimètres, cela la décida, elle se leva. »
Le soleil pétillait, la rosée était en fête.
De ces parties [de football entre gamins de la cité], Lucien avait été le spectateur un peu triste ; son gros cul, ses jambes blanchâtres, sa tête de jeune veau nourri à l'étable et qui cligne des yeux dès qu'il voit la lumière, ne prédisposaient pas les joueurs à l'introduire dans leur équipe (p.16)
La porte ouverte, une affreuse tristesse lui tomba dessus. La maison familiale, depuis deux ans qu'il n'y était pas venu, lui sembla abominablement sinistre. Il s''exclama à haute voix:
_Comment peut-on vivre là-dedans?
Mme Vanassche était bien embêtée, disons même : angoissée. Une pensionnaire qui s'évade, ça la fout moche En outre , elle s'était aperçue que la famille de Rosette avait le bras long.
Cette journée-là, Rosette était loin d'imaginer la séance qu'avait déclenchée sa réponse imprudente au téléphonage inattendu de sa fille Valérie