Je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d'octobre, alors qu'il est un peu triste et plus beau que jamais, car c'est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues. Ce que je vois dans ce jardin, c'est un petit bonhomme qui, les mains dans ses poches et sa gibecière au dos, s'en va au collège en sautillant comme un oiseau. Ma pensée seule le voit, car ce petit bonhomme est une ombre: c'est l'ombre du moi que j'étais il y a vingt-cinq ans. - Anatole France. "Le Livre de mon ami", Calmann-Levy, 1885 (p. 28)
Près des barrières de la ville
Etait alors un beau jardin,
Lieu charmant, solitaire asile,
Ouvert pourtant soir et matin.
L'écolier, son livre à la main,
Le rêveur avec sa paresse,
L'amoureux avec sa maîtresse,
Entraient là comme en paradis [...]
Alfred de Musset, "Simone, Poésies nouvelles", 1840
Bien qu'il ne le nomme pas, ne serait-ce pas du Luxembourg que parle Musset ? Il connaît bien le jardin. Elève au collège Henri IV, il l'a souvent traversé pour s'y rendre depuis le domicile familial de la rue de Grenelle. Jeune adulte, il y a accompagné les enfants de George Sand depuis le quai Malaquais. Ecoliers, rêveurs et amoureux: ceux que Musset a finement observés au Luco sont toujours ceux qu'on y rencontre aujourd'hui. (p. 19)
Le Luxembourg !
Quel est celui parmi les inconnus ou les célèbres, avocat, médecin, magistrat, qui n'ait passé de longues heures dans la grande allée, autour des carrés pleins de réséda, ou aussi dans les bas-fonds de la Petite Provence !
Il avait sous le bras une jeune fille ou un vieux livre; mâchonnait un crayon ou une rose, parlait amour ou politique, anatomie ou sentiment.
Il pensait à l'examen de fin d'année ou à la lettre de change fin courant; plaisant ou grave, sage ou fou, qu'il fût un puritain ou un bohème, un paresseux ou un piocheur; qu'il visât à la fortune ou à l'immortalité, les yeux sur une étude de notaire ou un fauteuil de l'Institut; il trouvait là du soleil et de l'ombre, voyait pousser ou tomber les feuilles, et il entendait le vent souffler dans les branches comme dans les peupliers de son pays.(p. 35)
Jules Vallès, La Rue, 1866
Le Luxembourg
"Le Luxembourg est, en somme, une campagne qu'on a dégrossie et affinée, et il est complexe comme les promeneurs qui le remplissent" -J.-K. Huysmans, "A travers le jardin du Luxembourg ", 1881.
Le Luxembourg fait corps avec la jeunesse de Huysmans. Enfant, il y a "galopiné" avec plaisir. Mais ses souvenirs de jeune homme sont moins exaltés. "A rebours" de ses contemporains, il n'a pas rencontré l'amour dans le jardin du Sénat. Dans "A travers le jardin du Luxembourg", un texte rédigé pour un ouvrage collectif, il s'explique. "Quant aux joies de l'étudiant promenant une maîtresse adorée sous les ombrages, j'avoue, en toute franchise, ne pas les avoir connues. Les dames du Quartier latin, au temps où je le fréquentais, préféraient généralement l'intérieur des brasseries et des bals aux promenades sentimentales sous les arbres, et je crois bien, sans crainte d'être démenti par les gens sincères, qu'il en a toujours été et qu'il en sera toujours ainsi, en dépit des lieux communs éternellement débités par les écrivains épris d'idéal et par les poètes." (p. 22)
Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse" écrit Barrès. La montagne Sainte-Geneviève est-elle une colline inspirée ? Le Luxembourg est-il de ces lieux où souffle l'esprit. (p. 44)
Ah ! Si les chaises pouvaient parler…