Les semaines suivantes furent empreintes d'un profond malaise. Oh rien d'alarmant au départ. Juste un léger désarroi. Puis à mesure que les jours passèrent, s'installa peu à peu une froide nausée qui finit par infuser chaque seconde de l'existence de toxines lentes et aigres.
Plus que tout, Paul aimait les pleurs des vieilles dames.
Pas tant par malveillance ou je ne sais quelle inclination perverse, mais juste parce que cela le touchait beaucoup. Ce n'est pas si courant de voir une vieille dame pleurer. Même très tristes, elles sont bien souvent pleines de retenue sous nos contrées. La pudeur et les convenances, qu'elles les associent ou non à une forme de dignité, leur commandent de ne pas se laisser aller. Alors lorsque Paul détectait le premier frémissement du dessous de l'œil, le clignement annonciateur, le tressautement insignifiant de la paupière comme si un papillon cherchait à s'échapper du sac lacrymal, une forme de sentiment de beauté profonde l'envahissait car il connaissait la suite.
Il continuait de s'étonner de la sérénité de cet homme, et de son incapacité à la conserver dès qu'il mettait les pieds dans un stade de rugby. Il lui sembla que c'était le secret le mieux gardé de son ami. Il ne voyait que deux explications possibles au fait qu'une telle droiture, une probité si profonde puissent être si vite balayées. Ou les forces du rugby étaient redoutablement puissantes. Ou l'humanité était bien mal conçue et il n'y avait alors plus grand-chose à faire pour elle.
Il s'en était fallu de peu que Paul restât parmi ces gens, en ville. Mais par amour pour Nina, il ne vivait pas là. Et sa vie entière en avait été à coup sûr transformée.
Parce qu'on ne l'attend pas vraiment, l'insignifiant ne déçoit jamais.
Paul rencontra la silure pour la première fois un soir de juin, tard, à la nuit tombée.
En mourant vite, sitôt le matin venu, les rêves restent toujours jeunes.