Même si l'institution du Salon est rétrograde et exaspérante, Manet y voit un défi à relever: un vrai professionnel doit exposer au Salon. Et la seule façon de faire évoluer l'institution - dans le choix des oeuvres, la composition du Jury - et en meme temps le gout du public dans la compréhension du " nouvel art" est d'y rester. Au lieu de créer un shiisme en se ralliant à des confrères de meme sensibilité, il, préfère poursuivre le combat de l'intérieur. En se mesurant au Salon à des pairs solidement établis, il faut pour se distinguer faire évoluer la conception traditionnelle du grand art, autrement dit se faire accepter comme " classique", avec la perspective d'avoir un jour sa place au Louvre.
Manet semble avoir été attiré d'abord par Goya- ses figures austères et son utilisation spectaculaire du noir en tant que couleur - et, surtout par Velasquez qui dans ses portraits sans concession et par la conscience qu'il a de lui meme comme artiste, montre qu'une toile révèle moins la réalité extérieure que l'artifice de l'artiste.
Un Bar au Folies Bergère est le testament artistique de Manet, sa dernière grande oeuvre, le monument qu'il érige à la vie parisienne qu'il a connue. Il y met tout son talent, il reprends tous les themes qui parcourent ses oeuvres majeures. C'est sa représentation la plus complexe du demi-monde qui est lui meme une métaphore du demi siècle et sur un plan personnel , une métaphore de la dissimulation, de la tromperie , de la fausse identité: celle des femmes dont les tenues à la mode couvrent des corps publics ; des hommes qui cachent leurs vices sous d'impeccables redingotes ; le plaisir de ces vies qui ne trouvent pas leur sens, qui masque la banalité de la tristesse, de la maladie, de la mort.
C'est une scene estivale de badinage amoureux sur la terrasse d'un jardin ou une jeune homme regarde avec adoration une femme plutôt guindée, contient la promesse d'une rencontre plus intime. dans toute l'oeuvre de Manet ce sont les deux seuls personnages qui soient attentifs l'un à l'autre. Cette composition radieuse dans la chaleur d'un après midi d'été est chargée d'une attente érotique . Chez le Père Lathuile, marque une rupture avec le theme de l'introspection et de las solitude des êtres.
Quand il fait beau Manet part travailler à Fontainebleau, ou les peintres de Barbizon se lancent dans la peinture de paysage en lumière naturelle. Le travail en plein air est récent: grace à l'invention du tube de peinture en étain et au chevalet pliable, l'artiste peut désormais se déplacer facilement avec tout son équipement.
Les généraux poseurs, les Vénus minaudières, les héros épiques dans leurs cuirasses, les consuls romains et les dieux grecs n'ont plus de sens au milieu du 19e siècle. C'est l'époque des trains, des réverbères à gaz dans les rues et des machines dans les usines. Il est temps que l'art reflète la vie moderne.
La grande différence entre Manet et Rubens : le personnage regarde par dessus son épaule gauche vers le bord inferieur droit du tableau. Seuls les sujets des portraits avaient le droit de pénétrer dans l'espace du spectateur. Aucun nu meme justifiant de références bibliques n'a jamais regardé le spectateur droit dans les yeux.
Pour qu'un nu soit " présentable" au public mixte des habitués des Salons, on le désexualise en lui donnant les contours idéalisés d'une sculpture antique et l'identité reconnaissable d'un personnage mythologique ou biblique.
Contrairement à Delacroix qui pour utiliser les distinctions d'Andre Malraux " dramatise" ses sujets ou à Courbet qui bien qu'il ait abandonné les sujets conventionnels continue de les "représenter", Manet les picturalise. " Ce que Manet entreprend dans certains toiles, dit-il c'est une picturalisation du monde." Mme si son souci premier est d'établir la primauté de ce qui est peint sur ce qui est représenté, on peut imaginer que divers strates se superposent comme dans un palimpseste.
Pablo de Valladolid qui est à la fois le titre du tableau et le nom du sujet , dont la pose et le bras droit étendu - ainsi que le regard direct qu'il adresse au spectateur - ont quelque chose de très théâtral. Cette oeuvre des années 1630, considérée par de nombreux historiens de l'art comme annonciatrice de la peinture moderne exercera incontestablement une immense influence sur la seconde période de la carrière de Manet, après son retour d'Espagne.
"Au jardin" serait la première oeuvre que Manet aurait commencé et terminé en plein air. Quelque mois après la mort du peintre , Bazire y verra non sans exagération peut être , l'acte de naissance la peinture impressionniste : " la clarté inonde la toile, elle se décompose dans ses reflets et dans ses taches. Le paysage vit et s'illumine. Cette révélation est une révolution. L'école du plein air nait avec cette toile "