Plus le temps passait, plus la détresse creusait entre eux un fossé au lieu qu'ils s'unissent pour y faire front ; ils souffraient côte à côte, mais ensemble jamais, car la fustigation a sa loi, s'accomplir seule au rythme du flagellant.
"... Ah ses envies ça va, ses parents sont à l'écoute, mais quand il s'agit de ses angoisses, plus personne...parce qu'ils sont bêtes, mais qu'est ce qu'ils sont bêtes... Pourtant Dieu sait s'il est angoissé cet enfant..."
Frère Dylan se prend la tête dans les mains. "quand je pense à ce qu'il va devenir... mais qu'est-ce qu'il faudrait faire?"
Et devant le petit homme cassé en deux de rage impuissante, je me dis que le dispositif que j'ai inventé est la plus noire des pénitences au cœur du criminel: instruire la dégradation d'un être qu'on a appris à aimer, sans jamais pouvoir lui porter secours.
Mais enfin, madame, aucun enfant n'appartient à ses parents ! Il leur est confié par la vie, c'est tout. Qu'est ce que c'est, la création d'une enfant ? Un fait purement biologique, la combinaison aléatoire de deux cellules. Où voyez vous un titre de propriété là dedans ?
Ce fut Dylan qui fit le premier pas. "Est ce que tu veux bien être mon copain?" osa-t-il tête basse vers les racines nouées (...) En réalité, P. ne goûtait pas vraiment la proposition de l'enfant et n'avait dit oui que pour s'en débarrasser (...) Il rentra donc chez lui en planifiant pour le dimanche suivant un tout autre lieu de promenade (...)
Mais les jours suivants une image ne cessa de le tourmenter, celle d'un pauvre petit Dylan plein d'espoir attendant au bord du sentier, au fil des heures se transformant, évoluant de la réclame vivante pour la foi dans son prochain en plaidoyer contre les sales cons, tant et si bien qu'en fin de semaine, P. reprit de mauvais gré le train vers la forêt."
Tant qu'on n'a pas été confronté directement à la folie, la vraie, on n'a pas idée à quel point ça peut vous souiller l'idée qu'on a de l'homme, de soi.
Elle, avait plus d'une fois subi l'humiliation de se faire céder une place dans la file d'attente à la poste ou au supermarché du coin. Un jour, c'est une vieille dame qui l'avait laissée passer. Une vieille dame. Et elle, suprême idiote, au lieu de la remettre à sa place d' arthritique, elle avait trouvé le moyen de la remercier...Un mois durant, elle s'était haïe.
Dire qu'il faut un permis pour conduire une mécanique, mais le premier imbécile venu a carte blanche pour créer à sa guise un être pensant et agissant.
En CE1, Marjorie s'était pris d'affection pour une enfant naine de l'école, qu'elle appelait Pléonasme- parce que les premiers temps qu'elle parlait de la "petite naine", sa mère lui disait distraitement que "c'était un pléonasme". Marjorie trouvait le prénom un peu long, mais que pour cette raison, ça lui allait bien.
Alors, comment se passe cette formation, Frère Marjorie ?
Un ange passe. Je n'ai pourtant pas invité cette vermine.
Le jour suivant la mise en bière de Marjorie et Aube, on le trouva pendu aux solives de sa cellules par un jeu de cordes tarabiscoté, un peu comme s'il avait recherché la trame d'une toile où loger une araignée replète et infiniment lasse.