Carole Martinez

[...] ... - " (...) Mais, ma douce Esclarmonde, voici qu'il n'est plus temps ! Nous avons Pierre et moi pris un peu d'avance sur nos noces et mes fleurs ne viennent plus depuis plusieurs lunes. J'avais pourtant été prudente et enduit un sureau de mes menstrues à la fin de l'automne, comme on nous dit de le faire pour ne pas être grosse, et, aujourd'hui, c'est tout de même cet arbuste qui fleurit et moi qui fructifie. Dieu me punit d'avoir pas su attendre. Croyez-vous que le fruit de ma faute sera aussi laid que mon péché et qu'on rira à l'entour de la difformité de notre petit pour me punir d'avoir été mauvaise ?

- Combien d'enfants naîtraient difformes si Dieu devait marquer tous ceux conçus hors mariage, ou encore pendant l'impureté des femmes, ou encore pendant les jours interdits ? Seuls les hommes sont assez cruels pour rendre les mères responsables des tares de leurs enfants. Et puis Dieu sait ce qu'Il fait, Il n'aurait pas envoyé Pierre bâtir cette chapelle s'Il en avait voulu autrement. En vérité, Il te presse de quitter cet endroit. Dès ton départ, ta jeune soeur Ivette prendra soin de moi, elle me donnera ma gamelle, mon eau et de la paille pour ma cellette. Elle est simplette, mais je la sais diligente et douce. Lothaire est-il toujours notre hôte ?

- Oui. Il erre l'âme en peine. Il marche seul en forêt et ne sait plus le chemin de ses terres. Lothaire a beaucoup changé depuis votre clôture. Il ne cherche plus noises aux filles et se parle à lui-même.

- Eh bien, puisque mon père ne veut pas venir sur la tombe de sa fille, va donc quérir Lothaire. Dis-lui qu'Esclarmonde le demande." ... [...]