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EAN : 9782070131495
208 pages
Gallimard (01/08/2011)
3.98/5   3100 notes
Résumé :
En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire "oui" : elle veut faire respecter son vœu de s'offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe... ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (584) Voir plus Ajouter une critique
3,98

sur 3100 notes
Esclarmonde, comme toute jeune fille de l'époque (XIIe siècle), doit accepter le mariage arrangé voulu par son père. le jour de ses épousailles, elle fait fi de toutes les convenances et refuse que Lothaire de Montfaucon, connu pour déflorer les jeunes pucelles, contre leur gré, dans les buissons, devienne son seigneur et maître. Bravant tous les interdits, faisant comme l'avait fait avant elle sainte Agnès, elle se tranche une oreille et demande à son père de construire une chapelle en l'honneur de cette dernière et de l'emmurer à côté, comme cela se faisait à l'époque. Fou furieux par l'affront que vient de lui imposer cette fille qu'il adore pourtant, il ne refuse pas et fait en sorte que la volonté d'Esclarmonde soit appliquée. Au bout de quelques temps, un miracle se produit : elle donne naissance à un fils, Elzéar (signifiant « secours de Dieu »), qui porte les stigmates du christ puisqu'il a les mains percées. Une sainte est née !

L'écriture de Carole Martinez est vraiment agréable. Saupoudrée de poésie, elle met en avant quelques us et coutumes de la période médiévale sans pour autant trop en faire. de ce fait, le livre est vraiment pour tout public, que l'on s'intéresse au moyen âge ou pas. Tout est axé sur le ressenti de cette femme hors du commun, sur la psychologie, et la prouesse consiste justement à rendre ce roman haletant. On a envie de savoir ce qu'il va se passer, on souffre avec cette femme, on adhère à ses paroles, d'autant plus qu'il s'agit de la narratrice.

Ce livre dormait depuis deux ans sur mes étagères et en toute honnêteté, je ne regrette qu'une chose : ne pas l'avoir lu avant. C'est une petite perle et toute la publicité que l'on a faite autour (raison pour laquelle je ne l'avais pas encore ouvert, me méfiant toujours) est bien méritée. Je vais à présent lire son autre livre, le coeur cousu, qui prend aussi la poussière dans ma bibliothèque. Je suis pratiquement certaine de ne pas être déçue et je suis ravie d'avoir pu découvrir une romancière dont l'envergure poétique n'a d'égal que sa simplicité.
Lien : http://promenades-culture.fo..
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Quel destin ! Dès les premières lignes, la plume inspirée de Carole Martinez nous emporte très loin, au coeur de ce conte mystique.

J'ai vécu au plus près d'Esclarmonde, éprouvé sa réclusion, ses voyages, ses extases, ses errances et son formidable amour de mère. J'ai adoré cette histoire fabuleuse, entre grâce et barbarie intimement mêlées.

Un livre accompli et très esthétique, qui se dévore malheureusement beaucoup trop vite !


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Au domaine des Murmures, les arbres bruissent encore du destin tragique d'une recluse du XIIe siècle : la très jeune Esclarmonde qui préféra être emmurée vivante pour vouer sa vie à Dieu, plutôt que d'épouser un homme qui la rebutait.

Plus qu'un roman, du domaine des Murmures est un conte d'une rare intensité. Il suffit d'une légère distorsion de la réalité pour que l'histoire devienne légende, et Carole Martinez excelle dans ce registre. le cadre naturel et historique est bien réel : il s'agit de la vallée de la Loue (dans le Doubs), lors de la troisième croisade menée notamment par l'empereur germanique Frédéric 1er dit Barberousse. Amey de Montfaucon, Berthe et Amaury de Joux... ont réellement existé. En revanche, le château de Hautepierre et ses habitants sont issus de l'imagination de l'auteur. Jusque-là, rien que de très normal pour un roman...

Alors, d'où vient le merveilleux ? D'abord des éléments mystiques tels que les visions d'Esclarmonde ou les stigmates de l'enfant... Ensuite, de l'insertion fréquente et malicieuse de figures et de légendes empruntées à l'univers des contes ou au folklore de Franche-Comté, comme l'imaginaire du château de Joux. Enfin, du style poétique, incantatoire, de Carole Martinez, avec des allusions à peine voilées aux Chimères de Gérard de Nerval et au poème El Desdichado, fil conducteur de la trame fantastique du récit :
"J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée."

"La Sainte", c'est Esclarmonde. Lorsqu'elle rêve dans sa grotte de pierre, elle traverse l'enfer (dont l'Achéron est un fleuve) en voyant par les yeux de son père les souffrances et la mort des croisés sous un soleil maléfique. Sirène, elle l'est aussi, car c'est sa voix qui recèle sa puissance et son enchantement cesse dès que la parole lui est ôtée. Quant à la fée, elle est incarnée par Bérengère, la guérisseuse au service de Douce, la belle-mère d'Esclarmonde. Sorte de géante sensuelle habillée de vert, son influence et son osmose avec la nature progressent tout au long du roman. Elle deviendra la Dame Verte de la Loue, fée des eaux entre la vouivre et Mélusine, aux "cheveux aussi verts que des algues."

A la fin, que retient-on de ce conte ? Pour ma part, j'y ai lu une magnifique allégorie de l'amour maternel. Et aussi la célébration de destins de femmes qui surent s'élever au-dessus des barrières imposées par les hommes pour chacune affirmer son pouvoir : Esclarmonde en guidant les âmes, Douce en dirigeant le domaine, Bérengère en s'appropriant les forces de la nature... Certes, notre "époque n'enferme plus si facilement les jeunes filles". Mais au fil des siècles, les murs de pierre se sont mués en un plafond de verre, plus insidieux mais tout aussi dangereux.

Si vous ne l'avez pas encore fait, aventurez-vous au domaine des Murmures et laissez-vous ensorceler.
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Une promenade en Bourgogne nous conduit dans les ruines d'un château que le temps a connu puissant. Dans un récit à rebours des siècles, nous entendons les pierres raconter l'histoire d'Esclarmonde. « La tour seigneuriale se brouille d'une foule de chuchotis, l'écran minéral se fissure, la page s'obscurcit, vertigineuse, s'ouvre sur un au-delà grouillant, et nous acceptons de tomber dans le gouffre pour y puiser les voix liquides des femmes oubliées qui suintent autour de nous. » (p. 15) Asseyons-nous et écoutons…

Esclarmonde, blonde enfant trop belle pour les exigences du monde, refuse l'homme que son père lui a choisi. En disant « non » devant les hommes et reniant le sang de son père, Esclarmonde embrasse un destin de recluse. En 1187, une fille qui se refuse au mariage pour préserver son union avec le Christ n'a d'autre choix que de soustraire au siècle. Emmurée dans une petite cellule attenante à la chapelle de Sainte Agnès, Esclarmonde croit échapper au malheur terrestre pour jouir d'une béatitude que seule mamort rendra plus sublime. « Je suis devenue la vierge des murmures. » (p. 17)

« J'avais charge d'âmes. » (p. 123) Ainsi parle celle qui revêt au yeux du monde un glorieux habit de sainte. Les pélerins se pressent contre les barreaux de sa petite fenêtre. « Tous ces êtres en mouvement venaient voir l'immobile et la vie passait devant moi, qui pourtant l'avais quittée. » (p. 52) Alors que tous lui prêtent des miracles et la mort-même semble reculer devant le pouvoir de sa foi, Esclarmonde se découvre pleine. Sa solitude de recluse n'en est plus une, mais pour combien de temps ?

Quand vient le jour où on lui arrache ce qui la comblait, Esclarmonde est prête à tout renier : son engagement religieux, sa promesse éternelle et sa foi vacillante. Que lui importe désormais de suivre les traces de son père parti en Terre-sainte mener une croisade qui périclite dans le sang et la boue ? Que lui importe donc de tenir la Mort en respect si la vie elle-même lui est retirée ? « À défaut de croire en Dieu, j'ai commencé à croire en moi, en la force de ma parole dont je voyais chaque jour croître l'incroyable pouvoir. » (p. 166) Voilà que la sainte devient démone, mauvaise femme à la langue de fiel, elle dont la voix était à elle seule une bénédiction. Mais n'est-ce finalement pas une épreuve de foi, une dernière épreuve d'amour ?

Ce superbe récit est nourri de merveilleux. Entre les pages déambulent une géante verte aux courbes superbes et le cruel spectre d'un cheval blanc. On entend aussi la voix des anges quand ils se penchent sur les mains stigmatisées d'un enfant et sur l'éclat extraordinaire du soleil de Palestine. Carole Martinez mêle avec un talent éblouissant des légendes bourguignonnes, une hagiographie fictive et une célébration du verbe. le verbe, c'est celui d'Esclarmonde qui repousse les murs de sa cellule, celui de Dieu quand il daigne se faire entendre et c'est surtout celui de l'auteure qui porte ce récit sur les ailes de la poésie. Dans ce roman où le murmure se veut la racine de toute parole et son élan premier, Esclarmonde s'adresse à nous d'une voix fantôme qui s'échappe de la mousse des pierres effondrées.

Perdue dans les confins d'une maladie qui s'éternise et me vide de mon énergie, j'ai trouvé dans ce superbe roman un souffle qui m'a emportée, qui a sublimé ma veille et m'a émue au-delà des larmes. Bouche bée, muette, sans même un murmure, j'ai lu et relu certaines phrases jusqu'à m'engourdir les yeux. Poésie pure et lumière, la plume de Carole Martinez chante une femme exceptionnelle : que nous importe alors que tout ne soit que romance ? Si certains aspects de cette éblouissante histoire m'ont rappelé le très beau roman de Clara Dupont-Monod, La passion selon Juette, il y a dans du domaine des murmures une forme de littérature après laquelle je cours sans cesse. Et quand je la toruve enfin, c'est le souffle coupé que je la contemple.
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Ayant refusé de lire les critiques et commentaires sur ce roman, avant de le lire, j'avoue avoir été décontenancée en débutant ma lecture. En effet, je ne m'attendais pas du tout à cette histoire. Je ne sais d'ailleurs pas à quoi je m'attendais, mais sûrement pas à un récit mettant en scène une emmurée au Moyen Age.
Peu à peu, cependant, je suis entrée dans le récit et ai savouré, sans bouder mon plaisir, la langue si joliment mise en oeuvre par Carole Martinez, ses descriptions fortes qui nous embarquent dans son monde où réalité et fiction se mêlent avec bonheur. La plume fraîche et rythmée de l'auteur donne la parole à une recluse de 15 ans, Esclarmonde, qui a choisi d'être emmurée vivante pour aimer et servir Dieu plutôt que d'être offerte en mariage à Lothaire, un rustre dont elle ne veut. Depuis la cellule qu'elle s'est choisie, et où elle pensait vivre solitaire, elle recevra la visite quotidienne de pèlerins venus lui confier leurs prières, leurs péchés et leurs demandes d'intercession. Son immobilité lui donnera accès à un riche chemin intérieur et devinant les âmes, elle leur servira de révélateur voire de psychanalyste.
Mais le choix que l'on fait à 15 ans, pure et naïve, ignorante de la vie, peut-il déterminer une vie entière ? La foi, l'amour et l'abnégation peuvent-ils combler à jamais ?

Ce conte, terrible à bien des égards, est loin des récits à la mode aujourd'hui. Mais malgré l'époque et le thème, il est d'une modernité étonnante. Loin de l'amour courtois, il nous donne à voir la violence des moeurs et la condition des femmes au Moyen Age ; emmurée, Esclarmonde est plus vivante et libre que beaucoup de ses contemporaines ; solitaire, elle est pourtant toute entière liée à sa famille et au monde…
Les personnages secondaires sont aussi attachants et vrais, tel un Lothaire repenti et voué à un amour platonique et déchirant, ou une Bérengère, assumant pleinement ses atours et sa condition de servante. Ils portent l'intrigue et font avancer le récit.

Carole Martinez signe ici une ode à la vie, à la sensualité, à l'amour (divin et humain) qui est aussi une merveilleuse parabole qui nous donne à réfléchir sur notre propre vie. C'est aussi une belle réflexion sur la puissance de la foi et les doutes qu'elle suscite.
On ne sort pas indemne de cette lecture. Il faut prendre le temps de la digérer, de l'apprécier, voire y revenir. Carole Martinez est décidément une formidable conteuse.

Au moment où j'achevais cette lecture, « du domaine des Murmures » recevait le Goncourt des lycéens. Prestigieux prix non galvaudé.

Lien : http://argali.eklablog.fr
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critiques presse (13)
Culturebox
23 mai 2012
Cette histoire de recluse à qui remontent les bruits du monde a quelque chose d’enchanteur: un conte médiéval dont on ressort émerveillé et rasséréné, quelle qu’en soit la noirceur.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeMonde
09 novembre 2011
Cet aspect didactique, destiné à prouver que le sort des femmes n'a pas tant changé, constitue l'une des limites du texte. Une autre étant qu'un esprit rétif au mysticisme a peu de chance de trouver son bonheur romanesque dans la cellule d'Esclarmonde.
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LaPresse
31 octobre 2011
Cette fable superbement écrite nous entraîne tant dans la contemplation mystique et la fantaisie des légendes que dans la violence des croisades et des moeurs d'une époque où les femmes ne s'appartiennent pas.
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LesEchos
18 octobre 2011
Située dans un Moyen Age sombre, boueux, où la violence du sexe n'a rien à envier à la cruauté des superstitions religieuses, l'intrigue de « Du Domaine des Murmures » se noue et se tord dans un univers où Dieu et le diable, le sexe et l'hostie, l'amour filial et l'inceste ne cessent de converser en voisins intimes.
Lire la critique sur le site : LesEchos
LePoint
14 octobre 2011
Le doute et la foi, la brutalité des hommes et la sensualité de la maternité, et surtout la rédemption, sublime et généreuse, éblouissent les pages de Du domaine des murmures. Mieux qu'un roman inoubliable servi par une langue racée, une véritable gemme.
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Lexpress
26 septembre 2011
Sous la plume chaloupée de Carole Martinez, ce roman hors modes apparaît étonnamment moderne. Tout en contrastes - violence des moeurs et style courtois, destins brisés et langage châtié, ténèbres lumineuses -, Du domaine des Murmures déroule sa musique, enivrante.
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Culturebox
20 septembre 2011
[…] un conte médiéval dont on ressort émerveillé et rasséréné, quelle qu’en soit la noirceur.
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Lexpress
19 septembre 2011
L'auteur réussit la gageure d'écrire un roman haletant et immobile : un pari audacieux porté par un phrasé poétique. Écrit à la première personne, Du domaine des Murmures développe le point de vue d'Esclarmonde, accompagne sa métamorphose physique et mentale
Lire la critique sur le site : Lexpress
LaLibreBelgique
13 septembre 2011
Carole Martinez nous plonge dans un envoûtant conte médiéval.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Telerama
07 septembre 2011
De rebondissement en rebondissement finement orchestrés, le récit - ou plutôt l'entêtante voix d'Esclarmonde - nous entraîne par-delà le temps au royaume des vivants et des morts, de l'histoire et de la légende.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeFigaro
26 août 2011
Le deuxième roman de Carole Martinez est fait de la même eau que son premier, Le Cœur cousu, qui enchanta des dizaines de milliers de lecteurs et pas moins de neuf jurys de prix littéraires. Il confirme que cette femme de quarante-quatre ans est une conteuse merveilleuse.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Bibliobs
25 août 2011
Il y a du D. H. Lawrence chez Carole Martinez.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Bibliobs
18 août 2011
«Du domaine des murmures» de Carole Martinez s'impose comme le roman phare de la rentrée.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (486) Voir plus Ajouter une citation
À presque trois ans, Elzéar parvenait, en poussant ma chaise au plus près du mur, à se hisser à la hauteur des barreaux de ma fenestrelle et à se laisser glisser jusqu'au sol de l'autre côté. Il était plus libre que je ne l'avais jamais été, bien qu'il dormît en ma cellule. Je ne le contraignais pas à cet espace minuscule et le laissais gambader au-dehors à sa guise. Je l'aidais même lors de ses évasions et masquais l'angoisse grandissante qui m'étreignait au moment de la séparation. Car, à mesure qu'Elzéar gagnait en agilité, il lui devenait plus difficile de se faufiler entre les tiges de fer pour courir dans les écuries et regarder les hommes y travailler. Je le suivais des yeux aussi longtemps que possible, puis je m'imaginais ses jeux à partir de ce que chacun m'en disait, j'assemblais des morceaux. Elzéar tentait lui aussi de me conter ses découvertes en sa langue décousue, mais son monde n'était que de fragments, les mots lui manquaient encore autant que la faculté d'organiser ses souvenirs dans le temps et l'espace.

Ses mains percées ne me donnaient accès qu'au regard de mon père – l'au-delà du grand érable m'était étrangement plus lointain que la Syrie, l'enfer ou les cieux -, et mes nuits étaient toujours emplies des souffrances du croisé que les caresses quotidiennes d'Elzéar me condamnaient à partager.

Je vivais son calvaire de l'intérieur, j'étais ses pieds, ses yeux, sa chair. J'étais accrochée à mon père comme le gui à l'arbre, j'embrassais sa pensée aussi clairement qu'au soir de mes noces manquées.
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Prologue

On gagne le château ds Murmures par le nord.
Il faut connaître le pays pour s'engager dans le chemin qui perce la forêt épaisse depuis le pré de la Dame verte. Cette plaie entre les arbres, des générations d'hommes l'ont entretenue comme feu, coupant les branches à mesure qu'elles repoussaient, luttant sans cesse pour empêcher que la masse des bois ne se refermât.
La voie en proie à l'effacement, où nous marchons longtemps, résonne de cris d'oiseaux. Nous peinons un peu et poussons sur nos orteils pour décoller nos pieds du sol boueux, de la terre qui monte en pente douce. Des ronces nous agrippent aux mollets, nous griffent au visage, de petites araignées brunes courent sur la mousse entre les feuilles. Nous avançons sous une voute végétale que seuls de rares rayons parviennent à traverser. Quelques glaives lumineux zèbrent d'or les sous-bois comme dans les enluminures d'un vieux livre de conte.

Enfin la feuillée s'ouvre et nous débouchons sur une grande clairière, jadis ceinte d'une grande palissade de troncs morts puis, deux siècle plus tard, d'un mur de moellons si hauts qu'on apercevait à peine le sommet de la grosse tour par-derrière. Aujourd'hui, il ne subsiste de ces remparts que quelques ruines des vieilles courtines qui ceinturaient sur trois côtés l'éblouissante trouée où se dressent le château des Murmures.
Vers le sud, point n'était besoin de mur de bois ni de pierre : la tour seigneuriale déploie ses ailes dépareillée au sommet d'une falaise abrupte au pied de laquelle coule la Loue. La tranquille rivière continue de lécher l'escarpement rocheux, s'appliquant à dessiner depuis toujours les mêmes boucles vertes sur la terre.
Bravant le vide, les Murmures dominent un horizon noir de forêts.
Le château s'est extrait du sol par poussée successives, s'élevant ou plutôt se répandant davantage au fil du temps. Chacun des ses maîtres y a inscrit sa marque, ajoutant qui son pan de mur, qui sa volée d'escaliers,qui sa tourelle, sans jamais se soucier de l'unité de l'ensemble.

Nous passons l'énorme huis de chêne et de fer, aujourd'hui disparu, et foulons l'herbe haute du parc en friche qui s'étend devant la façade nord du château.
Une brise légère nous caresse le visage, elle joue sur nos cheveux, nous fait plisser les yeux, elle nous chatouille dans le creux de l'oreille. La rumeur éolienne incline les herbes folles. Comme au passage d'une traîne. Ça susurre quelque chose, une peine lointaine, ça s'effiloche en l'air.
Nous avançons à contre-vent dans ce long chuchotement qui semble s'échapper des pierres.
Et tout ce chemin que nous venons de parcourir, cette forêt et ces bois profonds, ce parfum d'humus et cette rivière aux boucles vertes que nous savons en contrebas, tout cela se dérobe et paraît irréel. La forteresse entière vacille sous nos yeux. Car ce château n'est pas seulement de pierres blanches entassées sagement les unes sur les autres, ni même de mots écrits quelque part dans un livre, ou de feuilles volantes disséminées de-ci de-là comme graines, ce château n'est pas de paroles déclamées sur le théâtre par un artiste qui userait de sa belle voix posée et de son corps entier comme d'un instrument d'ivoire.
Non, ce lieu est tissé de murmures, de filets de vois entrelacées et si vieilles qu'il faut tendre l'oreille pur les percevoir. De mots jamais inscrits, mais noués les uns aux autres et qui s'étirent en un chuintement doux.
Un menu souffle se lève sur le blanc de la page, se faufile entre les pierres, nous remue l'âme, et c'est dans son haleine que s'esquisse l'ombre vibrante d'un château semblable à ceux qu'on bâtissait enfant. Et ce sanctuaire spectral dévore le monument majestueux qui se tenait historique et solide sous nos yeux, il y a quelques secondes à peine. Les murmures dessinent des ombres fugitives sur sa façade austère et nous attendons le coeur battant, nous attendons d'y voir plus clair.
La tour seigneuriale se brouille de chuchotis, l'écran minéral se fissure, la page s'obscurcit, vertigineuse, s'ouvre sur un au-delà grouillant, et nous acceptons de tomber dans le gouffre pour y puiser les voix liquides des femmes oubliées qui suintent autour de nous.
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Alors que je m'entretenais avec une femme que la petite vérole avait mordue au visage et qui avançait vers la tombe de Saint-Pierre, j'ai aperçu au sol, dans l'ombre d'un arbre, une fraise sauvage.
Un délicat point rouge dans tout ce vert. Je me suis engouffrée dans cette brèche minuscule.
Et, devant ma fenestrelle, la femme pleurait beaucoup en se dégorgeant de ses fautes.
Une fraise des bois, l'infini à portée de bouche.
Tandis que ma visiteuse s'abandonnait été me submergeait de phrases irrespirables, mon esprit vagabondait à rebrousse-temps.
Enfant, j'avais le droit de sortir de l'enceinte du château avec ma mère et quelques filles de la maison à la recherche de ces pépites. J'aimais tant à fouiller les fougères, à remuer les vieilles feuilles. A quatre pattes dans la mousse comme une petite bête, je reniflais la terre des sous-bois. Je m'imprégnais de son entêtant parfum. Mais la sensation la plus tenace, celle dont la seule évocation m'enivre aujourd'hui encore, c'est la caresse de ma mère, son geste doux, ses doigts blancs glissant entre mes lèvres la petite perle écarlate qu'elle venait de cueillir délicatement pour ne pas l'écraser.
La mort a passé, nos corps se sont dissous, mais son regard attentif et son sourire se mêlent toujours au goût de la fraise sauvage. Ce tout petit fruit concentre en son cœur la saveur de la forêt et la tendresse de ma mère. Alors que la pulpe éclatait entre mes dents, il me semblait que je communiais avec les grands arbres, et que ma mère m'offrait, en même temps qu'une confirmation de son amour, une hostie végétale.
Comme cet amour m'avait manqué !
Je l'ai compris en cette fin de journée d'été tandis que j'observais depuis ma cellule ce fruit inaccessible, ce détail infime tout vibrant de douceur acidulée. J'ai alors espéré que les mains de ma mère se faufileraient jusqu'à moi pour m'offrir une fois encore ce joyeux présent-là.
Soudain, les pieds nus d'Ivette, qui m'apportait ma soupe et ma part de pain avant de rentrer chez elle, m'ont arrachée à ma contemplation profane : ils avaient failli écraser mon délicieux souvenir, piétiner mon enfance, mon escarboucle. J'ai remercié cette bonne fille tout en souhaitant qu'elle repartît au plus vite et me laissât à cette précieuse évocation, en tête à tête, non avec Dieu, mais avec le spectre parfumé de ma mère, en communion avec une fraise. J'imaginais que ce fruit me conduirait jusqu'à elle, jusqu'aux histoires qu'elle me contait enfant, que cette porte s'ouvrirait sur son regard aimant.
En s'éloignant, Ivette a remarqué cette gouttelette rouge sang entre les feuilles, elle s'est penchée, l'a détachée de sa petite tige et l'a gobée. Pour partager ce bonheur, elle s'est tournée vers moi et ses lèvres minces se sont ouvertes comme rideaux sur le désordre de ses dents qui se bousculaient dans sa bouche et y poussaient en tous sens - chaque fois qu'elle laissait ainsi paraître sa joie, son sourire fauchait sa beauté aussi sûrement qu'une grimace. Sans malice, elle venait d'avaler sous mes yeux et ma mère, et la forêt, elle n'en avait fait qu'une bouchée.
Il ne me restait rien de ce temps joli que l'ombre d'un grand arbre. La main de ma mère était en terre, la forêt invisible à jamais et la porte refermée. J'ai pleuré.
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Jusqu’à l’arrivée du bonhomme, je n’avais jamais remarqué la beauté de cette grande fille qui m’avait toujours paru bien austère et sans charme, mais, soudain glorifiées par le regard du godelureau, ses courbes de géante ondulaient sous les tissus verts qui les couvraient, ses formes se trémoussaient, sa cambrure jubilait, ses yeux pétillaient. Peu
lui importait de faire jaser la maisonnée, elle semblait tirer
tant de plaisir à tout cela. Bérengère prenait corps en présence de Martin.
J’aimais observer leur danse amoureuse, voir la grosse Bérengère si légère dans la paume du bonimenteur, sentir la joie simple qu’ils avaient à se regarder, à se tenir tout près l’un de l’autre, à s’effleurer, à se frotter l’air de rien au passage, à modifier leur posture : gonflant leur poitrine comme des jabots, rentrant leur ventre, peignant leur sourcil du bout du doigt ou s’humectant les lèvres. P 86
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p15 Car ce château n’est pas seulement de pierres blanches entassées sagement les unes sur les autres, ni même de mots écrits quelque part en un livre ou de feuilles volantes disséminées de-ci de-là comme graines, ce château n’est pas de paroles déclamées sur le théâtre par un artiste qui userait de sa belle voix posée et de son corps entier comme d’un instrument d’ivoire.
Non, ce lieu est tissé de murmures, de filets de voix entrelacées et si vieilles qu’il faut tendre l’oreille pour les percevoir. Des mots jamais inscrits, mais noués les uns aux autres et qui s’étirent en un chuintement doux.
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Videos de Carole Martinez (48) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Carole Martinez
Dans cette compilation, cinq romanciers et romancières de renom ainsi qu'un éditeur partagent leurs conseils pour les apprentis auteurs. Alexis Jenni (lauréat du Goncourt), Benoit Laureau (co-fondateur des Editions de l'Ogre), Valentine Goby (auteure de "Murène"), David Diop (auteur de "Frère d'âme"), Milton Hatoum (auteur de "Cendres d'Amazonie") et Carole Martinez (auteure de "Le coeur cousu") évoquent les erreurs à éviter et les bonnes pratiques à adopter pour améliorer son écriture.
Entretiens réalisés aux Artisans de la Fiction, grâce à la complicité de la Librairie Vivement Dimanche (69004 Lyon) et à la Villa Gillet.
00:09 Alexis Jenni 01:21 Benoit Laureau 02:10 Valentine Goby 03:50 David Diop 04:43 Milton Hatoum 07:17 Carole Martinez
INTERVIEWS COMPLETES Alexis Jenni : https://youtu.be/PcA30xrfCGo Benoit Laureau : https://youtu.be/MEuVUMs-QbQ Valentine Goby : https://youtu.be/e5kQNaGn_Sg David Diop : https://youtu.be/C9y8TSRYdbw Carole Martinez : https://youtu.be/bzHIv36uAw4
Qui sommes-nous ?
Les Artisans de la Fiction sont des ateliers d'écriture situés à Lyon. Nous proposons un apprentissage artisanal des techniques d'écriture, avec pour objectif de rendre nos élèves autonomes dans la concrétisation de leurs histoires. Notre approche s'inspire du creative writing anglophone, en mettant l'accent sur l'apprentissage et la transmission des bases essentielles de la narration : structure de l'intrigue, principes de la fiction, construction de personnages, etc.
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