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REVE OU CAUCHEMAR ?
Mon rêve, c’était de faire naître des enfants. À la place, j’en enterre. Je voulais m’occuper de bébés, materner des nourrissons, et je vis dans un monde d’adultes où je suis confrontée aux plus sombres d’entre nous.
Il m’arrive de me demander ce que j’ai fait au ciel pour exercer le métier d’avocat pénaliste. Le meilleur travail possible laisse immuablement d’un côté un mort, un viol, une invalidité, un traumatisme, de l’autre un être humain qui, au-delà des faits, part vivre des années derrière les barreaux et laisse invariablement un amour, des enfants, des parents qui le pleurent.
J’ai beau me démener pour gagner, je ne ressuscite pas les morts. J’ai beau prendre dans mes bras les endeuillés et les meurtris, je ne ramène pas l’être perdu, la sérénité envolée. Je ne peux pas enlever le mal, et je dois vivre avec son souvenir en passant à la souffrance suivante. Ma tête est peuplée de cadavres, de vies envolées, de corps souillés, profanés, et de photos, souvent insoutenables, figurant au dossier. Je dois pourtant m’y confronter, car elles contiennent une part de la vérité recherchée.
Mon quotidien est fait de larmes, et le meilleur des résultats ne réjouira personne, surtout au pénal. Ni la famille de la victime ni celle de l’auteur ne m’associeront à un souvenir heureux. Mes plus beaux trophées sont des lettres de remerciements que je conserve précieusement. Même quand je « réussis un divorce », une partie de l’activité de mon cabinet, les gens, je ne les marie pas ! Si quelqu’un pousse la porte de mon bureau, c’est qu’il endure un drame ou un contentieux qui lui pourrit la vie. Je n’effacerai rien. Je réparerai, un peu. Humainement, je m’y emploie, judiciairement… si la justice suit !
Quand je pense à ce triste sort professionnel, c’est parfaitement désespérant, mais en vérité, j’ai rarement le temps de penser !
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