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Citations de Cécile Campergue (197)


Le Tibet, pôle d'attraction spirituel, éveille l'intérêt de milliers de lecteurs Occidentaux. Ce mythe occidental va peu à peu s'institutionnaliser, devenant à la fois l'enjeu d'une lutte politique, idéologique et spirituelle (la cause tibétaine), l'utopie d'une terre pacifique peuplée de saints bouddhistes et, pour certains intellectuels tibétains exilés, de « disneyworld for the Western bourgeois ». La puissance du mythe est encore tangible de nos jours à plusieurs niveaux (médiatique, cinématographique, littéraire, politique, militant, religieux, etc.) et cristallise de nombreux espoirs, soutenue par l'idée selon laquelle le Tibet est un peuple pacifiste, naturellement non-violent, avec à sa tête un dieu-Roi, envahi par les forces du mal (la Chine). S.D. Lopez, en écrivant que nous sommes tous les prisonniers de Shangri-La, exagère probablement mais rend compte du pouvoir de l'imaginaire et du prisme déformant à travers lequel se lit le Tibet et le bouddhisme. Il ajoute, à l'instar d'autres auteurs, qu'idéaliser le Tibet, son histoire et sa religion pour en faire un Shangri-La, nuit sérieusement à la cause tibétaine.
Les filières savantes, ésotériques et littéraires, conjointes avec celles d'initiatives privées vont être utiles pour propager le bouddhisme tibétain à un large public, comme l'ont montré tour à tour F. Lenoir et L. Obadia. La ST, avec sa « dynamique militante » a essaimé dans de nombreux pays d'Asie et d'Europe, et a participé, au travers de sa « propagande théosophique » à une résurgence de la « pensée magique » dans l'imaginaire occidental, qui accompagne positivement l'arrivée des lamas. Comme l'écrivait H. de Lubac, une « certaine activité d'apologie et de propagande n'a jamais tout à fait cessé » et « le mouvement théosophique n'était pas le seul à tenter une pénétration du bouddhisme en Europe ». Mais au-delà des diverses propagandes, individuelles ou collectives et au-delà du mythe lui-même, ce sont véritablement les maîtres aidés de leurs disciples occidentaux qui se chargeront d'implanter matériellement leur doctrine sur le sol français.
p. 107
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C'est ainsi que le bouddhisme, fondement du nationalisme tibétain à la fois au Tibet de la RPC et en exil, va être instrumentalisé à des fins politiques : la volonté de promouvoir et de diffuser dans le monde la culture tibétaine va être liée à la propagation du dharma et devenir une priorité de la politique du gouvernement tibétain en exil conjointe avec les sollicitations auprès des instances et institutions internationales pour la défense de la cause tibétaine. Il s'agit là de la « double stratégie du Dalaï-Lama » dont nous parle R. Liogier : « par le haut », institutions occidentales et internationales, et « par le bas », sympathisants bouddhistes occidentaux.
Comme ils l'étaient déjà au Tibet, les gompa des différents lamas sont en concurrence pour le monopole, non plus du pouvoir sur un territoire donné, mais pour des signes du pouvoir, comme la participation de riches mécènes, une audience toujours plus large, la création de centres à travers le monde, un niveau de vie élevé, etc. Tous ne réussiront cependant pas à générer des flux d'argents nécessaires à leurs organisations et projets.
L'activité missionnaire, que l'on peut lier au terme de propagande va s'intensifier dans les années 1980-1990 (le nombre de centres va alors doubler) lorsque les bases du dharma à l'Ouest seront fondées. Il faut ajouter que les maîtres rencontrent souvent un accueil chaleureux, face à un auditoire quelque peu conquis d'avance, le mythe de Shangri-La n'étant pas étranger à cet accueil. Leur prédication aura alors pour effet, d'abord de fidéliser les personnes présentes puis d'augmenter le nombre de fidèles par une extension de leurs activités et un relais assuré par leurs disciples. Les Occidentaux vont effectivement et ce, dans une large mesure, encourager cette perspective missionnaire et l'a relayée.
p. 98 et 99
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Le « treizième groupe », qui a amorcé une division, a engendré des répercussions immédiates dans la communauté exilée. Ses membres prendront effectivement comme autorité spirituelle le XVIe Karmapa, lui-même venant de la province du Kham. Nombre de lamas auront comme crainte la main mise Guéloug sur leurs affaires religieuses internes et auront un réel souci de garder leur autonomie face à l'hypothétique engloutissement des lignées sous la tutelle Guéloug. L. Deshayes et F. Lenoir écrivent que cette crainte était infondée. Bien des lamas qui joueront un rôle avéré dans la propagation du bouddhisme tibétain à l'Ouest appartiendront à ce camp des « Treize » comme Sitou Rinpoché, Gyaltsab Rinpoché, Kalou Rinpoché, Bokar Rinpoché et Tenga Rinpoché. Le journaliste britannique Julian Gearing note :
« Les occupants de ces implantations, y compris des lamas et des moines, furent harcelés à l'occasion et même emprisonnés sous divers motifs. Les fidèles de l'école Karma Kagyu se plaignirent des méthodes autocratiques du “clan Yabshi”, comme était surnommée la famille du Dalaï-Lama. Cependant, la sœur du Dalaï-Lama, Jetsun Pema, connue alors pour la virulence de ses propos vis-à-vis du Karmapa, prétend aujourd'hui qu'il y a eu de “fausses interprétations” à l'époque et aucune mauvaise intention de sa part ni de celle du gouvernement en exil. » (Gearing, 2004, 13-14).
La prépondérance des membres de la famille du leader tibétain à l'intérieur du GTE pose problème et entraîne des accusations de népotisme. Mc Lagan souligne que la majorité des fonctionnaires du gouvernement en exil proviennent de souche noble, de riches familles khampa, d'aristocrates ou de moines officiellement reconnus. Les vieux conflits et les vieilles rancœurs resurgissent entre écoles, face à une nouvelle configuration politique, économique, religieuse et sociale. Dans la hiérarchie des lignées, des reconnaissances de maîtres sont effectuées de manière officielle et certaines sont importantes car elle change la direction actuelle d'une lignée, comme celle du Shamarpa.
2.1. Sur le plan religieux : la réhabilitation du Shamarpa
En 1964, à la demande du XVIe Gyalwa Karmapa, le Dalaï-Lama a levé l'interdit religieux qui pesait sur la lignée des Shamarpa, le deuxième hiérarque le plus important de la lignée Karma-Kagyü, après le Karmapa. En effet, ce dernier est reconnu comme le porteur de la Coiffe Rouge, faisant écho à la Coiffe Noire du Karmapa. Les Shamarpa et les Karmapa seront tour à tour maîtres et disciples. Mais voilà que la lignée a été frappée d'interdit suite à un événement survenu au XVIIIe siècle entre le Népal et le Tibet. Le Xe Shamarpa était alors le frère du Panchen-Lama et le décès de ce dernier (1780) engendrera des conflits quant à son héritage. Les deux frères se disputeront le trésor du monastère de Tashilungpo, des multiples cadeaux offerts par l'Empereur Chinois à la famille du IIIe Panchen-Lama. En 1782, le Ive Panchen-Lama est retrouvé dans la famille du VIIIe Dalaï-Lama. La situation s'envenime, le gouvernement central demande l'arrestation du Shamarpa qui doit fuir en exil au Népal. Ce dernier va être mêlé à l'invasion népalaise des Gurkhas au Tibet qui annoncera la fin de sa lignée déclarée « hors la loi » en 1791. Ses monastères seront confisqués et distribués aux Guélougpa, les Shamarpa « interdits de réincarnation ».
Le Karmapa va obtenir du XIVe Dalaï-Lama la permission d'introniser officiellement l'actuel XIVe Kunzig Shamar au monastère de Rumtek au Sikkim. Cette reconnaissance est significative car pendant les deux siècles ou les Shamarpa n'ont pu exercer leurs fonctions, c'est le troisième tülkou, le Taï Sitou, qui l'avait exercé à leur place. Réintégrer le Shamarpa à sa place de second après le Karmapa dans la lignée, implique, pour l'actuel Taï Sitou de revenir à la troisième place, ce qui aura des conséquences lors de la reconnaissance du XVIIe Karmapa.
p. 92 et 93
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Le Dalaï-Lama et son gouvernement se réfugieront dans le Nord de l'Inde, à Dharamsala, qui deviendra un « Petit Tibet. » La situation de l'exil, même si elle est dramatique à bien des égards, est une situation qui résulte, pour une grande partie, de la fermeture du pays sur lui-même. M. Peissel note :
« Les aristocrates tibétains doivent être tenus pour responsable en partie de cet état de chose, car ils ne perdirent pas de temps à s'assurer égoïstement un train de vie, sinon aussi magnifique que celui qu'ils avaient connu, du moins assez grandiose en comparaison de celui de leurs compatriotes moins influents qui luttaient pour survivre dans ces camps misérables et malsains. On retrouvait en Inde les mêmes intrigues mesquines qui avaient divisé les Tibétains à Lhassa. Il est triste d'avoir à dire que, sauf quelques très rares exceptions, les aristocrates en exil justifiaient une bonne part des attaques dirigées par les Chinois contre eux en tant que classe dirigeante. Ils méritaient en outre le mépris, par leur façon de se poser aux yeux du monde en victimes de la Chine, alors qu'en fait, ils avaient collaboré avec elle avant de fuir comme un troupeau, sans avoir participé à la lutte contre l'envahisseur, et en laissant derrière eux la plupart de leurs compatriotes souffrir au nom des abus qu'eux seuls avaient commis. » (Peissel, 1972 : 287)
Des tensions et des conflits d'intérêts politiques, religieux ou économiques ne tardent pas à voir le jour. Les conflits ont toujours un aspect séculier marqué même s'ils apparaissent prioritairement comme des conflits d'ordre religieux. Par exemple, les querelles autour de la reconnaissance de tiilkou, la désignation de maîtres aux fonctions de direction dans les monastères, les conflits de succession, etc., détiennent des aspects matériels (financiers) importants mais aussi des dimensions politiques, en lien avec le gouvernement tibétain en exil (GTE), avec des Occidentaux mais aussi avec certains officiels chinois.
p. 85 et 86
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C'est à cette époque que le transfert du trésor (labrang) du Dalaï-Lama s'opère en Inde(1).
La présence chinoise au Tibet de 1951 à 1959 se réalise d'abord en accord avec la théocratie tibétaine et le système féodal est inchangé. Les revendications sont avant tout territoriales. Les Chinois ne s'en prennent pas systématiquement aux pratiques religieuses comme ils vont ensuite le faire. Des réformes agraires foncières de type collectivistes ne tardent pas à faire surface. La famine qui en résulte est catastrophique. Fin 1954, le Dalaï-Lama se rend à Pékin, avec le Panchen-lama, ses tuteurs, le XVIe Karmapa et le hiérarque Nyingmapa. Il rencontre Mao pour qui il a une grande sympathie, rencontre qui renforce « sa conviction qu'il pourrait y avoir une relation fructueuse entre le communisme et la voie du Bouddha, l'un pourvoyant aux besoins matériels de la société et le second veillant à ses besoins spirituels ». En 1955, quand il retourne dans son pays, les combats font rage, la résistance et la rébellion aux communistes n'ont pas tardé à se déclencher. La Mimang Tsongdou — « Conseil du Peuple » rassemble religieux et laïcs pour dénoncer les méfaits occasionnés par la présence chinoise. La création à Lhassa, en décembre 1956, du mouvement « Quatre fleuves, six montagnes » par Gompo Tashi Andrugtsang, négociant du Lithang, puis de l'« Armée nationale volontaire de défense » (ANDV) dans le Kham, accueilleront de nombreux combattants - (les chefs des différentes tribus oublient leurs différends et s'unissent) - décider à livrer bataille contre les communistes chinois.
Cette guerre, avec la résistance des Khampa bien analysée et décrite par M. Peissel, dura pendant plus de vingt ans et sera aidée par les Américains (via la CIA), Taïwan (le régime nationaliste réfugié à Taïpei, ennemis d'hier, aujourd'hui alliés) et par la Russie. Les frères Pandagstang y joueront un rôle crucial de Kalimpong (où ils se sont réfugiés) en ayant des contacts avec Taïwan, avec des diplomates américains permettant le transit d'armes. Les deux frères aînés du Dalaï-Lama joueront un rôle important via des contacts permanents avec les nationalistes chinois et des officiels américains. Gyalo Thondup, parti vivre en Inde en 1949 avec sa femme chinoise (fille du général Chu Shi-Kuei du Guomindang), avait pris contact dès 1950 avec Tchang Kaï-Chek. Il se partageait à cette époque entre Darjeeling et Taiwan ou il était en contact avec la CIA. Le second, Thubten Jigmé Norbu, le tülkou Taktser Rinpoché (ancien abbé du monastère de Kumbum dans l'Amdo et ami de H. Harrer), qui avait fui en Inde, fut reçu avec honneur aux États-Unis en 1951 par l'association américaine pour l'Asie libre (inspirée par la CIA pour barrer la route au communisme), puis définitivement accueilli comme réfugié politique à partir d'août 1955.
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(1) M. Peissel note qu'au moment ou les Chinois ont pris Chamdo, le Cabinet tibétain avait fait transporter au Sikkim mille charges de mule (l'équivalent à plus de cinq millions de dollars américains) d'or et d'argent, constituant le « trésor » du Dalaï-Lama, (1972: 197).
p. 82

Note : 229, page 83 - M. Peissel écrit que la politique de non-violence du Dalaï-Lama a condamné « ceux qui se battaient pour sa propre religion et pour tout ce que lui-même représentait » (1972:119). J. Ardley souligne que la guérilla se battait au nom du bouddhisme, permettant au Dalaï-Lama de se réfugier en Inde. Un des noms du mouvement de la guérilla : « The Volunteer Army to Defend Buddhism » (2000).
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N'ayant pas réussi à moderniser son pays, il laisse ce dernier dans une situation conflictuelle. Sa mort paraît suspecte, et le progressiste Kunbela est arrêté, mis aux fers puis s'exile en Inde, à Kalimpong. Lungshar, qui souhaita moderniser son pays et qui entretenait un mouvement clandestin aura les yeux crevés. Le jeune Réting, ayant à peine vingt ans et aucune expérience politique, devient le nouveau régent. En charge de découvrir le nouveau Dalaï-Lama, il se heurte aux manœuvres chinoises car le nouveau pontife est né dans une région de l'Amdo gouvernée par la Chine, et surtout, par un seigneur de guerre. Le régent Réting se révèle autocratique, déterminé à éliminer ceux qui le gênent dans l'exercice de son pouvoir. Il aura une vie dissolue, ayant des relations sexuelles avec des hommes et des femmes208. Il quitte le pouvoir à son apogée (1941) notamment car il devait ordonner le Dalaï-Lama mais il avait brisé ses propres vœux monastiques. En quittant la régence, il laisse la place à son aîné Tagdrag Rinpoché, mais des rumeurs circulent que le régent reviendra dans quelque temps pour recouvrer la régence. Les contestations civiles et militaires feront rage dans le pays, notamment dans l'Est. Au Kham, les frères Pangdatsang se révolteront, à la fois contre la Chine et contre Lhassa en 1933. Un des frères, Ragba, se sentant trahi après la mort du Dalaï-Lama, décide de se rendre à Kalimpong. L'ex-régent Réting décide en effet de reprendre la régence, il se rend pour cela à Lhassa où il se confronte à Tagdrag, non résolu à lui céder sa place et décidé à éliminer tous ceux qui soutiennent ce dernier. Pendant que se déroule cette querelle, une nouvelle forme de pouvoir se dessine, le « Tibet Improvement Party » à Kalimpong et Darjeeling. Leurs membres souhaitent changer la régence(1) et aussi, une « liberation of the Tibet from the existing tyrannical Government and the revolutionary restructuring of the Tibetan government and societyra ». Ils sont arrêtés, notamment par l'entremise de l'agent britannique Hugh Richardson(2) qui prévient le gouvernement central de l'existence du partir. La conspiration de Réting, qui se rapproche du gouvernement chinois pour recouvrer le pouvoir, est dénoncée. Il est arrêté et semble-il, empoisonné en prison où il meurt en 1947.
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(1) Fondée par Ragpa Pandagstang (la famille Pandagstang est une riche famille du Kham, les frères Pandagstang se rebellèrent plus d'une fois contre la Chine et contre Lhassa), intellectuel Khampa, nationaliste ayant reçu l'aide du Guomindang en 1944-1945 ; Kumbela, Canglocen, puis plus tard le moine Guéloug Gedün Chopel. Leurs activités débuteront en 1939. Goldstein souligne qu'ils ont été payés par la Chine et qu'ils voulaient une république au Tibet faisant partie de la Chine.
(2) Agent commercial britannique à Lhassa de 1936 à 1940 et de 1946 à 1947, puis agent commercial de l'Inde à Gyantsé et chef de la mission commerciale de l'Inde à Lhassa de 1947 à 1950. Ses écrits sur le Tibet sont incontournables. Cependant, H. Stoddard note qu'il avait adopté le point de vue de Lhassa, empreinte de dédain envers les Khampa (1986: 105).
p. 80
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Alors que la république de Chine est autoproclamée jusqu'au Tibet, Lhassa est le théâtre d'affrontements. Le nouveau président de la Chine, Yuan Shikai, tente de renouer l'ancienne relation de religieux-protecteur avec le Dalaï-Lamal. En 1913, le Dalaï-Lama envoie une délégation en Inde pour traiter avec la Chine et le Royaume-Uni. Les Tibétains voulaient en effet récupérer les territoires du Kham et de l'Amdo occupés par les Chinois, ce qui aboutira à la convention de Simla au Cachemire (1913-1914). La Chine ne signa pas cette convention (elle se sentait lésée par la Grande-Bretagne) et le Tibet deviendra de facto indépendant.
Les combats dans la province du Kham seront toujours aussi violents, les révoltés se battant contre les Chinois pour protéger leurs intérêts, et non pour le Tibet. En 1912, le Dalaï-Lama quitte l'Inde pour revenir à Lhassa ou il fera sa déclaration d'indépendance en 1913 qu'il ne pourra faire avaliser par les grandes puissances. Les membres de l'armée chinoise et l'amban en poste à Lhassa (ou les monastères étaient rentrés en rébellion) furent priés de quitter le Tibet. Le Dalaï-Lama tenta de moderniser son pays202, se dotant notamment d'un étendard et de timbres, mais sans réel succès, se heurtant au clergé conservateur et hostile à de nouvelles valeurs. Même au niveau de sa pratique religieuse, il fit l'objet de critiques de la part de lamas Guélougpa influents, comme Paboneka Rinpoché, à propos de la propitiation d'une divinité de la lignée, Dorjé Shugden.
Les guerres frontalières quasi incessantes dans les années 1917-1918 et les obstacles entre les monastères et les seigneurs féodaux laïcs entraînent une rupture avec le Panchen-lama (jugé complice des Chinois) qui s'exila en 1923 en Chine. Le Dalaï-Lama parvient à centraliser l'administration du Tibet mais les provinces du Kham et de l'Amdo sont toujours instables. Plus ou moins satisfait de sa déclaration d'indépendance, ne cherchant plus vraiment à se tourner vers d'autres puissances étrangères, il devient un « dirigeant solitaire » aux tendances népotiques. Le partenariat avec les Britanniques s'amenuise peu à peu (après une mission de C. Bell pour former la nouvelle armée tibétaine afin d'éviter que le communisme soviétique ne pénètre le Tibet) et le pays se replie sur lui-même.
p. 79
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Le Kham, Lhassa et la Chine : l'ère du XIIIe Dalaï-Lama
La Chine, au cours du XIXe siècle, va connaître des révoltes intérieures et les guerres étrangères vont saper l'autorité de l'empereur qui ne sera plus en mesure d'intervenir avec autorité au Tibet. Le XIIIe Dalaï-Lama, né en 1876, va dès lors être confronté aux puissances coloniales, principalement l'Angleterre (qui avait établi son protectorat sur le Sikkim) et la Russie (qui compte de nombreux pratiquants du bouddhisme tibétain) qui vont commencer à s'affronter au sujet du Tibet. L'oracle de Nétchung va répéter à plusieurs reprises que le Dalaï-Lama est en danger, notamment l'année 1900 où il perdit l'appétit(1). Le Dalaï-Lama avait compris qu'il ne pourrait pas se tourner vers la Chine, et, alors que des affrontements éclatèrent à la frontière sikkimaise, il tenta la carte russe avec Dordjieff (lama bouriate proche du Dalaï-Lama ayant étudié au monastère de Drépung) qui se rendit à Saint-Pétersbourg pour une audience avec le tsar Nicolas. Plus tard, Dordjieff se rendra en Occident. Les Britanniques n'apprécièrent pas ce voyage en Russie qui pouvait porter atteinte à leurs intérêts et décident, après quelques tentatives échouées de négociations, de la guerre, et occupent Lhassa en 1904, sous le commandement du colonel F. Younghousband. Le rapprochement entre Calcutta et Pékin qui suivit l'année suivante, principalement dû aux affaires intérieures britanniques, aboutira un traité signé à Pékin en 1906, au terme duquel la Chine va de nouveau affirmer sa suprématie sur le Tibet en le fermant aux étrangers. La Chine interviendra d'abord dans le Kham pour tenter d'en faire une province chinoise. La révolte sera impitoyable (les monastères Guéloug auront comme but avoué d'exterminer tous les Chinois) et gagnera tout le Tibet oriental ou même des missionnaires chrétiens, jugés trop proches des Chinois seront mis à mort. Le commandant chinois Zhao Erfeng, homme d'expérience, est nommé afin de mettre un terme à la révolte. Connu comme le « boucher du Kham », l'armée chinoise écrasa l'armée tibétaine sans trop de difficultés.
Le Dalaï-Lama s'exile pendant cinq ans de 1904 à 1909 et voyage beaucoup en Mongolie. En 1909, il retrouve sa capitale alors même que des mouvements anti-chinois éclatent. Il tente en vain de trouver un appui extérieur pour faire face à la situation mais les grandes puissances décident de ne pas intervenir. Il fuit alors en Inde ou les Britanniques lui ont désigné comme résidence Darjeeling tant que les Chinois occuperont son pays. En Inde, Sir Charles Bell, le responsable des affaires du Sikkim qui parle couramment le tibétain, se charge de lui. Il découvre la géographie et obtient une plus grande connaissance de la politique internationale. Son règne sera celui d'une centralisation aiguë avec une bureaucratie importante.
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(1) Ses bottes (offerte par Sonam Gyalpo) abritaient un mantra destiné à lui causer du tort. Ce dernier lui dit que c'était un présent d'un autre lama de Nyarong, réputé pour ses pouvoirs magiques et qui avait été embauché par Demo, l'ancien régent pour porter atteinte au Dalaï-Lama. Ses biens lui furent confisqués et il fut emprisonné. Cf. M. Kapstein in Les Dalai"-Lamas, op.cit., p. 142.
p. 78
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1. Modes de transmission
1.1. Le système des tülkou
Bien que toutes les lignées aient adopté le principe des tülkou (transmission par réincarnation), plusieurs systèmes de transmission coexistent comme la succession héréditaire (aboutissant au « charisme gentilice » selon la terminologie wébérienne)10l et la transmission d'oncle paternel à neveu. Le terme tülkou se réfère, dans un sens strict, au « Corps d'apparition ou de manifestation » ; un personnage animé par un profond altruisme qui, selon le Mahayana (et la figure du bodhisattva), œuvre au bien de tous les êtres en renaissant inlassablement. Ce principe a vite été adopté au Tibet mais c'est au XIIe siècle qu'il prit sa dimension institutionnelle, lorsque la lignée des Karma-Kagyü fut confiée à un tülkou.
p. 65

V. TIBET HISTORIQUE ET POLITIQUE
Dépeindre le Tibet historique sous l'angle d'une histoire politique permet de comprendre les actions des maîtres, des élites. Leur rôle dans la diffusion du bouddhisme dans des contrées ou ce dernier était encore inconnu, les conquêtes et les luttes pour le pouvoir afin de régner et d'exercer une autorité sur un territoire toujours plus grand, les alliances stratégiques afin de prendre le contrôle d'une école ou d'une lignée sont des exemples saillants qui témoignent d'une activité multiple qui s'ajoute (se superpose) à leurs activités religieuses et qui permettent de comprendre les soubassements de l'exil ainsi que plusieurs caractéristiques actuelles du bouddhisme tibétain en Occident.

Note sur le système féodal tibétain
Le Tibet historique et politique est un sujet éminemment complexe et polémique. N'étant pas tibétologue, il est difficile de naviguer dans les arcanes de l'histoire tibétaine. De plus, quelque soit le point de vue avancé, il est toujours sujet à discussions pour d'éventuels rapprochements, qu'ils soient d'ordre pro-tibétain et donc antichinois ou à l'inverse pro-chinois et donc anti-tibétain. Une ligne médiane, comme celle de M. C. Goldstein, dont les travaux font autorité, est inspirante.
Le servage et la féodalité, déjà présents sous la dynastie royale ont perduré jusqu'à l'arrivée des Chinois en 1950 et jusqu'en 1959.
p. 74

La course au pouvoir entre les lignées religieuses allait de pair avec le pouvoir sur la propriété de la terre dont seuls l'État, le clergé et la noblesse pouvaient être propriétaires. La noblesse exemptée de taxes (il en existait six formes basiques) devait fournir des fonctionnaires pour le gouvernement (armée et administration). Les fiefs se transmettaient héréditairement et pouvaient ressembler à de « petits états en raison de leur rayonnement territorial et de la transmission héréditaire de leur commandement ». R.A. Stein préfère parler d'État ecclésiastique plutôt que d'État théocratique, les Dalaï-Lamas n'étant pas les seuls à avoir régné sur le Tibet179. De plus, des fonctionnaires ecclésiastiques doublaient tous les fonctionnaires laïcs.
p. 75
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La construction de nombreux monastères (gompa), qui, pour certains ressembleront à de véritables forteresses, pouvant accueillir des milliers de moines (notamment chez les Guéloug avec les centres monastiques de Séra, Ganden et Drépung), va s'accentuer pendant la période monastique du XIIe au XVIe siècle. L'érection de nombreux stûpa (tib. tchôrten) sera une marque de territorialisation bouddhique du pays. Les maîtres et autres « nouveaux propagandistes du bouddhisme68 » se rattacheront à des caravanes de marchands pour y diffuser et y promouvoir le bouddhisme.
Face aux monastères et à leur puissance écrit R.A. Stein, les vieilles familles nobles tentèrent de se rebeller. Elles devaient s'associer au pouvoir religieux en tant que protecteurs en entretenant avec les monastères une relation de type chapelain-donateur pour conserver leur prestige. Elles offraient des terres aux monastères, faisaient des offrandes et ces derniers exécutaient des rituels en leur faveur ainsi que diverses célébrations. C'est ainsi que les Khenpo (mkhan po), abbés des monastères et les grands propriétaires vont dominer le Tibet. Leurs intérêts vont se confondre car les abbés seront souvent issus des milieux nobiliaires. La traditionnelle succession des abbés d'oncle paternel à neveu dans une famille noble, l'un des frères se mariant, l'autre devenant moine, impliquait que le frère marié transmette le pouvoir laïc et le domaine familial et que le frère moine, transmette le pouvoir religieux et ses biens d'oncle paternel à neveu.
p. 58
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Comme le rapportent G. Tucci et W. Heissig, le moment où le bouddhisme a pénétré au Tibet fait l'objet de nombreuses discussions sauf pour les Tibétains, pour qui le problème n'existe pas. La tradition rapporte que le bouddhisme a été introduit par Songsten Gampo, le trente-troisième roi du pays, fondateur de la dynastie pour toutes les écoles bouddhistes. Monté sur le trône en 629, il aurait été influencé par ses deux épouses, une princesse chinoise et une princesse népalaise (les sources de l'époque ne mentionnent que la princesse chinoise). La première aurait apporté la statue de Çakyamuni dans le temple de Ramoché et la seconde aurait amené la statue de d'Akshobya en édifiant le futur Jokhang. Il importa l'écriture et créa l'alphabet tibétain afin de « normaliser le fonctionnement de l'appareil étatique. » et non, comme l'écrivent les auteurs des chroniques ultérieures et les historiens tibétains, dans le but de « traduire les textes bouddhiques ». Effectivement, selon P. Kvaerne, la vraie raison de l'implantation du bouddhisme au Tibet est certainement non-religieuse et a été introduite grâce au patronage royal pour servir à renforcer le pouvoir royal. Les trois rois de Yarlung que sont Songsten Gampo, Thrisong Detsen et Ralpachen seront reconnus rétrospectivement par la littérature tibétaine à partir du XIe siècle, comme les incarnations de Manjushri et Vajrapani. C'est en 842, avec le règne de Langdarma, dépeint par l'historiographie bouddhique comme anti-bouddhique (un démon, dit-on, se serait emparé du roi) que la dynastie s'effondre. La mauvaise réputation de Langdarma serait en partie légendaire. Il cherchait en fait à briser l'influence et le pouvoir des monastères qui n'en finissaient plus de s'agrandir. La persécution qu'il a effectuée du bouddhisme n'était pas religieuse mais politique. Il souhaitait faire face à la puissance grandissante et aux privilèges des monastères, qui, exemptés de taxes et de services, représentaient un réel danger. Le Tibet, à cette époque, peut être qualifié de monarchie de type féodal : les monastères sont des « seigneuries indépendantes » puisqu'ils possèdent des terres et des serfs, pratiquent le commerce et le prêt usuraire et augmentent leurs revenus pour des services commandés par des particuliers, notamment la réalisation de rites particuliers. Après le règne de Langdarma, on parle d' « anarchie » pendant plus de deux siècles qui amène l'éclatement du Tibet en une série de petits États. C'est une période obscure sur laquelle nous possédons peu d'informations, si ce n'est une multitude de luttes intestines entre les grandes familles qui deviennent des « potentats locaux », des « petits seigneurs » qui luttent entre eux. Les maîtres qui introduiront le Vajrayana pendant cette première période royale se révéleront d'une grande importance pour la fondation des futures lignées, comme Padmasambhava.
p. 56 et 57
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Religion : concept ou idéologie ?
Le bouddhisme, largement polymorphe, est couramment présenté par les médias et la littérature grand public, quand il ne s'agit pas d'universitaires, comme une non-religion, une philosophie sans dogme se présentant comme une médecine adaptée à la modernité qui caractérise nos sociétés. En plus de faire vendre, il peut « guérir » les maux des « traumatisés de la modernité occidentale ». Cependant et comme le remarque François Thual, « le bouddhisme n'est pas et n'a jamais été cette réalité mièvre et douceâtre que l'on présente un peu trop facilement en Europe de nos jours 148 ».
Avec le bouddhisme zen, le bouddhisme tibétain(1) est en France le plus pratiqué. Quantifier les bouddhistes d'obédience tibétaine me semble être une entreprise irréalisable, tout comme les bouddhistes de souche française toutes traditions confondues.
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(1) J'ai rencontré des bouddhistes ayant un engagement ancien (datant des années 70) qui ont fréquenté un centre pendant un temps mais qui, après le décès de leur maître, n'en fréquentent plus aucun. Bien sûr, ces personnes sont plus difficiles à rencontrer.
p. 40
Les pays riches sont pourvoyeurs de fonds pour leurs multiples projets. Les enjeux de l'implantation du bouddhisme tibétain sont loin d'être seulement spirituels et religieux car ils mobilisent des intérêts financiers, géopolitiques et idéologiques importants. L'exil des Tibétains ressemble à un défi pour les lignées religieuses et leurs chefs. La Chine ayant détruit leur ancien système féodal, il leur est nécessaire de trouver d'autres moyens de financement, de nouveaux patrons pour leur permettre de survivre, de conserver leur autorité et de propager leur doctrine, même si le système social tibétain ne se transmet pas intégralement en Occident. Au Tibet, à partir du XIIIe siècle, « le couple roi/moine fut fréquemment désigné par l'expression de mchod yon (contraction de mchod gnas, "chapelain" et yon bdag, "donateur"), qui décrit une relation, de type maître à disciple, entre précepteur officiant et donateur ». Cette relation, souvent nommée « patron/prêtre » est importante car elle conditionne nombre de relations qu'établissent les lamas avec les patrons étrangers. Le pouvoir religieux au Tibet a toujours fonctionné avec un pouvoir séculier, une constante dans l'implantation du bouddhisme tibétain en France.
P. Kvaerne écrit : « Au cours de l'histoire, le bouddhisme fut propagé par les Tibétains au sein de divers peuples. Partout où cela eut lieu, le bouddhisme conserva sa forme typiquement tibétaine et ne fut pas assimilé par les cultures locales. » Qu'en est-il pour l'Occident et particulièrement pour la France ? Les autorités tibétaines participent-elles à une acculturation sans limites de leur religion ou au contraire, conservent-elles la forme « typiquement tibétaine » de leur bouddhisme en opérant des modifications et transformations à l'intention des Occidentaux ? J. Snelling notait : « Les écoles bouddhistes traditionnelles ont souvent évolué dans un contexte féodal et continuent souvent à se baser sur des modèles de ce type ». Qu'en est-il en France ?
Le lama est le produit d'une dépendance hiérarchique à son (ses) propre(s) maître(s). Ainsi, plusieurs maîtres sont venus en Occident car ils ont répondu aux requêtes de leur propre maître. « On ne contredit pas le maître » m'ont dit plusieurs lamas. Ainsi, outre les rapports hiérarchiques qui sous-tendent les relations de maître à disciple, il sera question de comprendre ce que véhicule le maître, son rôle dans la diffusion et la transmission de sa religion à travers ses actions concrètes et symboliques ainsi que ce qu'il suscite et engendre. De plus, il sera question d'analyser le maître sous ses dimensions politiques (affaires tibétaines internes ; institutionnalisation du dharma...
p.45
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Le sexe de l'ethnologue
Outre le caractère, le tempérament, les goûts et les préférences du chercheur, des données biologiques comme le sexe de l'ethnologue sont, comme certains l'ont montré, des données qui influent sur les informations recueillies. Le fait d'être une jeune femme a effectivement favorisé mon intégration auprès de plusieurs maîtres et/ou responsables des centres qui sont, à de rares exceptions près, des hommes. Il a participé à l'acquisition d'informations, qui, si j'avais été un homme, n'auraient pu me parvenir. L'univers quasi exclusivement masculin des autorités du bouddhisme tibétain et son large environnement (fidèles) féminin m'ont ainsi permis d'accéder à divers procédés de séduction qui sont certainement encore sous-estimés. Ces procédés ne fonctionnent pas à sens unique, ils peuvent venir du maître comme de la fidèle potentielle. Notons que les principales recherches universitaires sur le bouddhisme tibétain en France sont jusqu'à ce jour, le fait d'hommes. Ces derniers n'expliquent pas la surreprésentation des femmes dans les rangs du bouddhisme tibétain ou en ont une explication qui reste superficielle. Il me paraît nécessaire de tenter d'apporter un éclairage et un point de vue féminin (et non féministe) sur un aspect marquant qui participe à la compréhension générale de l'objet, à savoir le maître et les femmes, plus généralement le bouddhisme tibétain et son rapport au féminin.
Un terrain risqué ? Comme je l'ai déjà indiqué, la grande majorité de fidèles et aussi certains lamas rencontrés dans les centres ont fait œuvre de prosélytisme (non agressif mais récurrent, insistant et insidieux) à mon égard. Un lama m'a écrit ceci à propos de ma recherche : « Si cette connaissance reste uniquement du domaine intellectuel, elle risque de se retourner contre vous. Ce qui manque, c'est l'expérience de la pratique bien sûr mais surtout la grâce de la bénédiction qui commence par la prise de refuge, les initiations. »
Nombreux sont ceux qui ne comprenaient pas pourquoi je ne pratiquais pas et pourquoi je n'expérimentais pas moi-même la relation au lama. L'explication karmique de ma présence et de mon sujet était constamment mise en avant. Pas de place pour le hasard. Je devais avoir des résistances et ma fierté et mon orgueil m'empêchaient de m'avouer l'évidence même. J'ai noté certaines exclamations qui m'ont été rapportées à de nombreuses reprises : ; « De toute façon, tu finiras dedans » ; « Tu finiras par prendre refuge » ; « Tu verras, tu seras aspirée », « Si tu étudies ça, ce n'est pas un hasard » ; « Moi aussi j'avais des résistances au début » ; « Il faut arrêter de te cacher », etc. Parfois insistantes, ces remarques n'ont pas eu l'effet escompté. Par contre, il importe de noter un fait significatif. Pendant plusieurs années de présence sur le terrain, j'ai été amené à croiser d'autres étudiants qui travaillaient sur un aspect du bouddhisme tibétain en France. Sur neuf d'entre eux, cinq, qui au départ étaient distants face à leur objet de recherche, voulant garder toute leur objectivité, sont devenus bouddhistes. Les quatre autres étaient déjà bouddhistes ou sympathisants. J'en ai retrouvé certains dans différents centres : un stagiaire pratiquant laïc, une nonne et un autre en retraite de trois ans. Ils ont tous arrêté leurs études pour se consacrer à la pratique bouddhique. Ils se sont convertis à cause d'un maître (non pas dans un sens péjoratif, mais dans le sens où le maître est à l'origine de leur conversion). Aborder le maître peut donc s'avérer un exercice délicat ! Plusieurs fidèles et maîtres amusés me diront que j'ai une chance extraordinaire de pouvoir les approcher (les lamas) mais qu'ils ne comprennent pas pourquoi et comment je n'ai jamais souhaité m'investir avec l'un d'entre eux ; certainement une histoire de karma...
p. 38 et 39
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L'aspect financier
L'aspect financier a joué un rôle non négligeable. N'ayant pas obtenu d'allocations de recherches ni de bourses, l'argent a joué un rôle significatif car il a pu être le frein à certaines investigations. En effet, il était utile de participer, ne serait-ce qu'une fois, à un enseignement ou une manifestation particulière et ceux, dans plusieurs centres. Je souhaitais suivre plusieurs enseignements, participer à des stages et à des rituels, assister à des conférences, passer du temps dans plusieurs centres et il fallait donc disposer de l'argent nécessaire. Outre les tarifs des prestations, le transport et l'éloignement géographique des centres ont été les premiers obstacles qu'il a fallu surmonter. Certaines associations pratiquent des tarifs élevés pour être logé, nourri et pour assister à des enseignements(1). Il m'était alors impossible de fournir la somme demandée. Dans certains centres, des facilités m'ont été accordées (par exemple, on ne m'obligeait pas à prendre la carte d'adhésion de l'association) et on me proposait des tarifs attractifs. On me facilitait même des entretiens avec les lamas et responsables du centre. Dans d'autres par contre, il était impossible de négocier, même en expliquant ma recherche et le fait que je ne puisse matériellement pas prendre la carte d'adhésion de toutes les associations que je fréquentais143, le personnel administratif ne voulait rien savoir. Je devais payer au même titre que les autres.
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(1) Par exemple, en 2003, j'ai payé 250 euros (tarif étudiant) pour un stage de 5 jours avec un lama tibétain dans un centre périgourdin, prix ne comprenant pas l'hébergement, seulement le repas du midi. Certains enseignements dépassent pour une durée d'une semaine les 500 euros.
p. 37 et 38
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Une ethnologue chez les francs-maçons
On peut se demander, à juste titre, ce que vient faire ici la franc-maçonnerie. Une explication s'impose : de nombreux bouddhistes sont francs-maçons, de nombreux pionniers de l'implantation du bouddhisme tibétain en France sont francs-maçons, des lamas et enseignants du bouddhisme viennent prodiguer des enseignements dans des loges, et quelques-uns d'entre eux sont également francs-maçons. Pour ces raisons, il m'a paru utile, comme personne à ma connaissance n'a abordé ce point en détail(112) de mener une enquête car cet aspect mérite réflexion. La franc-maçonnerie est souvent perçue négativement à travers le traitement médiatique (milieu d'affairistes, pouvoir, scandales financiers, politiques, etc.). Pour autant, je ne m'explique pas pourquoi ceux qui ont travaillé sur le bouddhisme tibétain en France n'ont pas exploré les liens existants entre certains de ses membres et l'implantation bouddhiste tibétaine en France, liens sollicitant des investigations poussées(113).
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112 R. Liogier et B. Étienne mentionnent que la franc-maçonnerie fournit un contingent non négligeable de nouveaux adhérents au bouddhisme et que la quasi-totalité de leurs interlocuteurs sont passés de la gauche au bouddhisme par le truchement de la franc-maçonnerie, sans plus d'informations. Être bouddhiste en France aujourd'hui... op.cit., p. 17 et 105. B. Étienne était un franc-maçon notoire. F. Lenoir et L. Obadia ne traitent la question que d'une manière sommaire.
113 Il est délicat d'obtenir ces renseignements car tous les francs-maçons bouddhistes ne divulguent pas leur appartenance maçonnique. De plus, ce n'est pas dans un centre bouddhiste que l'on peut avoir ce type d' informations.
p. 30
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Comme le mentionne E. E. Evans Pritchard : « Ceux qui ignorent l'histoire se condamnent à ne pas connaître le présent, parce que seul le développement historique nous permet de peser et d'évaluer, dans leurs relations respectives les éléments du présent ». Ibid., p. 61. Ibid., p. 42.
p. 26
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Contrairement à d'autres formes de bouddhisme qui remplissent le rôle d'une religion ethnique comme le Mahayana vietnamien ou chinois, le bouddhisme tibétain n'est pas un bouddhisme à vocation identitaire. À l'Ouest (mais également dans plusieurs pays asiatiques où le bouddhisme tibétain se propage également), seules les élites religieuses sont tibétaines. En France, on ne peut pas véritablement parler de diaspora tibétaine puisqu'il n'y aurait pas plus de 150 Tibétains alors que l'auditoire des maîtres est occidental. Les liens avec l'Inde, le Tibet et les camps de réfugiés sont omniprésents, participant à la construction, à la reconstruction, au financement des institutions bouddhiques (largement monastiques mais pas seulement) et des différents projets des maîtres en Asie.
Selon la typologie de diffusion du bouddhisme proposée par Jan Nattier, le bouddhisme tibétain tel qu'il s'est implanté en Occident mais aussi en Asie (Taïwan, Malaisie, Singapour, Hongkong) correspond dans une large mesure à un bouddhisme de type « évangélique » (avec usage du prosélytisme), synonyme d'un « export buddhismn » qui rejoint le terme de « mission » employé par L. Obadia et qui peut, dans une certaine mesure, rejoindre l'expression adoptée par S. D. Lopez, celle d'un « colonialisme spirituel », expression déjà employée par le théologien Henri de Lubac lorsqu'il analysait la pénétration et l'infiltration du bouddhisme en Occident en affirmant : « Si l'Europe ne retrouve pas sa foi, alors elle est mûre pour une colonisation spirituelle. Nous craignons d'en apercevoir déjà les signes avant-coureurs.
p. 22
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Notons que la diaspora tibétaine est un phénomène conjoncturel qui a engendré à la fois des « recompositions de communautés religieuses » dans les pays d'accueil et un mouvement de « propagation missionnaire » mené par les lamas tibétains. L'élite de Dharamsala (les principaux religieux et les familles laïques aristocratiques) depuis les années 1970, a déployé une grande stratégie de préservation de la culture tibétaine et de la cause tibétaine qui passe par la promotion du dharma. La multiplication de centres à travers le monde amène R. Liogier à écrire « qu'ils sont des préfectures qui administrent un « territoire médiatique » à l'aide d'un enseignement bouddhiste de masse, d'une aide humanitaire soutenue par l'idéologie de la « cause tibétaine » et des associations humanitaires soutenues par l'intelligentsia locale ». Cependant, tous les centres ne rejoignent pas ce modèle. Les maîtres, qui dès l'exil ont pris des distances avec le gouvernement du Dalaï-Lama, notamment par rapport à sa politique d'unification65 de toutes les lignées, emploieront la même stratégie de promotion active du dharma mais ne relaieront pas l'activité politique du Dalaï-Lama et de son gouvernement. Conserver une autorité, un statut, préserver les enseignements de sa lignée, développer des activités de transmission, enseigner et propager le dharma en créant de nouveaux centres et trouver des mécènes pour financer les différents projets : voici des dispositions fréquentes chez une majorité de maîtres exilés. Il faut regarder de près cette communauté de religieux, souvent composée de maîtres de haut rang et de familles aristocratiques. La quasi-totalité des chefs de lignée parviendront à quitter le Tibet pendant l'année 1959. Suivis des Tibétains les plus fortunés, ainsi que ceux qui vivent à proximité de la frontière, ils auront une action fondamentale dans la sauvegarde, la préservation et la diffusion du dharma. S'interroger sur les conditions qui ont permis à ces maîtres de créer des centres en France, avec l'appui actif de disciples occidentaux, est un objectif préalable pour circonscrire et baliser les fondements de l'implantation des lignées en France. La filiation, tant spirituelle que familiale, est une notion importante pour comprendre comment les fiefs se transmettaient au Tibet et les relations qui existaient entre familles et lignées religieuses. Il importe de comprendre et saisir les continuités et les ruptures, les évolutions et les compromis qui s'opèrent dans l'implantation du bouddhisme tibétain en France. La France est d'ailleurs un pays clé car elle est le lieu d'implantation de plusieurs centres mères européens pour plusieurs lignées et également le lieu de vie de certains maîtres parmi les plus importants que compte la hiérarchie tibétaine.
P. 21
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