« [
]
« La poésie est parole dans le temps », Machado (1875-1939) n'a pas cessé de l'affirmer. Encore fallait-il que le temps ne se résumât pas à la pression immobile du passé sur la circonstance, ni la parole au simple ressassement de l'irrémédiable. Certes Machado [
] a éprouvé une manière d'attirance étrange devant la négativité et la noirceur du destin de l'Espagne. Il ne s'y est point abandonné. Ou plutôt, avec une véhémence souvent proche du désespoir, une tendresse mêlée de répulsion et de haine, il a tenté, longuement, d'en sonder les abîmes. [
] La poésie - Machado, seul de sa génération, s'en persuade - n'a plus pour tâche de répertorier pieusement les ruines ; elle se doit d'inventer le futur, cette dimension héroïque de la durée que les Espagnols ont désappris dans leur coeur, dans leur chair, dans leur langue depuis les siècles révolus de la Reconquête. [
]
[
] Nostalgique de l'Inaltérable, à la poursuite du mouvant
Par son inachèvement même, dans son échec à s'identifier à l'Autre, la poésie d'Antonio Machado atteste, et plus fortement que certaines oeuvres mieux accomplies, la permanence et la précarité d'un chemin. Hantée par le néant, elle se refuse au constat de l'accord impossible. Prisonnière du doute et de la dispersion, elle prononce les mots d'une reconnaissance. Elle déclare la tâche indéfinie de l'homme, la même soif à partager. » (Claude Esteban.)
« [
] À combien estimez-vous ce que vous offrez en échange de notre sympathie et de nos éloges ? » Je répondrai brièvement. En valeur absolue, mon oeuvre doit en avoir bien peu, en admettant qu'elle en ait ; mais je crois - et c'est en cela que consiste sa valeur relative - avoir contribué avec elle, et en même temps que d'autres poètes de ma génération, à l'émondage de branches superflues dans l'arbre de la lyrique espagnole, et avoir travaillé avec un amour sincère pour de futurs et plus robustes printemps. » (Antonio Machado, Pour « Pages choisies », Baeza, 20 avril 1917.)
« Mystérieux, silencieux,
sans cesse il allait et venait.
Son regard était si profond
qu'on le pouvait à peine voir.
Quand il parlait, il avait
un accent timide et hautain.
Et l'on voyait presque toujours
brûler le feu de ses pensées.
Il était lumineux, profond,
car il était de bonne foi.
Il aurait pu être berger
de mille lions et d'agneaux à la fois.
Il eût gouverné les tempêtes
ou porté un rayon de miel.
Il chantait en des vers profonds,
dont il possédait le secret,
les merveilles de la vie
ou de l'amour ou du plaisir.
Monté sur un Pégase étrange
il partit un jour en quête d'impossible.
Je prie mes dieux pour Antonio,
qu'ils le gardent toujours. Amen. » (Rubén Darío, Oraison pour Antonio Machado)
0:00 - Titre
0:06 - Solitudes, VI
3:52 - du chemin, XXII
4:38 - Chanson, XLI
5:39 - Humour, fantaisies, notes, LIX
7:06 - Galeries, LXXVIII
7:54 - Varia, XCV, Couplets mondains
9:38 - Champs de Castille, CXXXVI, Proverbes et chansons, XXIX
10:14 - Champs de Castille, idem, XLIII
10:29 - Prologues. Art poétique. Pour « Champs de Castille »
12:17 - Générique
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SUGGESTION
Soyez ainsi – quelque chose
de serein, d’exempt, de fidèle.
Fleur qui s’accomplit,
sans interrogation.
Vague qui s’applique,
par exercice désintéressé.
Lune qui enveloppe pareillement
les fiancés s’enlaçant
et les soldats déjà refroidis.
Aussi comme cet air de la nuit :
bruissant de silences,
empli de naissances et de pétales.
Semblable à la pierre captive,
assurant sa tardive destinée.
Et au nuage, beau et léger,
vivant de n’aboutir jamais à être.
À la cigale, s’immolant en musique,
au chameau qui mastique sa longue solitude,
à l’oiseau qui recherche le bout du monde,
au bœuf qui avance avec candeur vers la mort.
Soyez ainsi, quelque chose
de serein, d’exempt, de fidèle.
Pas comme le reste des hommes.
SUGESTÃO
Sede assim — qualquer coisa
serena, isenta, fiel.
Flor que se cumpre,
sem pergunta.
Onda que se esforça,
por exercício desinteressado.
Lua que envolve igualmente
os noivos abraçados
e os soldados já frios.
Também como este ar da noite:
sussurrante de silêncios,
cheio de nascimentos e pétalas.
Igual à pedra detida,
sustentando seu demorado destino.
E à nuvem, leve e bela,
vivendo de nunca chegar a ser.
À cigarra, queimando-se em música,
ao camelo que mastiga sua longa solidão,
ao pássaro que procura o fim do mundo,
ao boi que vai com inocência para a morte.
Sede assim, qualquer coisa
serena, isenta, fiel.
Não como o resto dos homens.
Traduction : Eduardo Reis
PORTRAIT
Je n’avais pas ce front d’aujourd’hui
Aussi calme, aussi triste, aussi hâve
Ni ces yeux aussi creux,
Ni la lèvre aussi âpre.
Je n’avais pas ces mains lasses
Tellement inertes et froides et mortes;
Je n’avais pas ce cœur
Qui à chacun se dérobe.
Je n’ai rien vu venir à ce virage
Si simple, si certain, si aisé:
-En quel miroir se serait égaré
Mon visage?
RETRATO
Eu não tinha este rosto de hoje,
Assim calmo, assim triste, assim magro,
Nem estes olhos tão vazios,
Nem o lábio amargo.
Eu não tinha estas mãos sem força,
Tão paradas e frias e mortas;
Eu não tinha este coração
Que nem se mostra.
Eu não dei por esta mudança,
Tão simples, tão certa, tão fácil:
- Em que espelho ficou perdida
A minha face?
Traduction: Eduardo Reis
MOTIF
Je chante car l’instant existe
Et ma vie est complète.
Je ne suis ni heureuse ni triste :
Je suis poète.
Sœur des choses furtives,
N’éprouvant joie ou tourment,
Mes nuits et jours se suivent
Dans le vent.
Que je démolisse ou édifie,
Que je perdure ou me défasse
- je ne sais, je ne sais. Si je demeure
ou passe.
Je sais que je chante. Telle est ma quête.
Les battements d’ailes d’un éternel pouls.
Et ma voix je sais, un jour sera muette:
- c’est tout.
«Voyage» (1939)
Traduction libre : Creisifiction
MOTIVO
Eu canto porque o instante existe
E a minha vida está completa.
Não sou alegre nem sou triste:
Sou poeta.
Irmã das coisas fugidias,
Não sinto gozo nem tormento.
Atravesso noites e dias
No vento.
Se desmorono ou se edifico,
Se permaneço, ou me desfaço,
– não sei, não sei. Não sei se fico
ou passo.
Sei que canto. E a canção é tudo.
Tem sangue eterno a asa rimada.
E um dia sei que estarei muda:
– mais nada.
"Viagem" (1939)
..
4ème MOTIF DE LA ROSE
Ne te soucie du pétale qui s’envole:
de ne plus être, on ne cesse d'autant.
Des roses il verra, en cendres frisé,
mortes, intactes dans ton jardin.
Je laisse un parfum jusqu'en mes épines,
de moi, au loin, parle le vent.
Et de me perdre, on s'en souviendra,
de m’effeuiller, je ne touche à ma fin.
4° MOTIVO DA ROSA
Não te aflijas com a pétala que voa:
também é ser, deixar de ser assim.
Rosas verá, só de cinzas franzida,
mortas, intactas pelo teu jardim.
Eu deixo aroma até nos meus espinhos
ao longe, o vento vai falando de mim.
E por perder-me é que vão me lembrando,
por desfolhar-me é que não tenho fim.
Traduction: Eduardo Reis
Impromptu de l’Amour-Parfait
Dans ce nuage, celui-là
Je t’envoie ma pensée :
Que Dieu s’occupe du vent.
Les rêves, ils ont été rêvés,
Et la souffrance je l’accepte.
Mais toi où es-tu, Amour-Parfait ?
D’immenses jardins de l’insomnie,
Ont d’un regard d’adieu
Fleuri pour la vie entière.
Pauvre de moi qui survis
Le cœur absent de ma poitrine,
Et où es-tu, Amour-Parfait ?
Loin, loin, de l’autre côté de l’océan
Qui dans mes yeux se soulève
Entre des paupières de sable…
Loin, loin… Dieu te garde
Sur son côté droit
Comme je te gardais de l’autre
Nuit et jour, Amour-Parfait.
- - -
Improviso do Amor-Perfeito
Naquela nuvem, naquela
Mando-te meu pensamento:
Que Deus se ocupe do vento.
Os sonhos foram sonhados,
E o padecimento aceito.
E onde estás, Amor-Perfeito?
Imensos jardins da insônia,
De um olhar de despedida
Deram flor por toda a vida.
Ai de mim que sobrevivo
Sem o coração no peito,
E onde estás, Amor-Perfeito?
Longe, longe, atrás do oceano
Que nos meus olhos se alteia,
Entre pálpebras de areia …
Longe, longe … Deus te guarde
Sobre o seu lado direito,
Como eu te guardava do outro,
Noite e dia, Amor-Perfeito.
« Retrato Natural », Rio de Janeiro : Livros de Portugal, 1949.
* Traduction de Lili & Lulu, in « Je pleure sans raison que je pourrais vous dire », 2010 | https://jepleuresansraison.com/2010/10/22/dans-ce-nuage/
L’accordeur de pianos m’a parlé, lui
qui écoute chaque note avec douceur
attentif aux bémols et aux dièses,
mais entendant et voyant des choses plus lointaines.
Et son oreille est affranchie de l’erreur
comme ses mains qui en chaque accord éveillent
les sons, heureux de vivre ensemble.
« Mon intérêt est fait de désintéressement :
car je ne confonds pas musique et instrument,
car je ne suis qu’accordeur, du piano,
de l’écriture de la langue de ce monde
qui m’élève à la condition de convive surhumain.
Oh! Quelle Physique nouvelle dans ce piano
pour d’autres oreilles, pour d’autres discours… »
- - -
Falou-me o afinador de pianos, esse
que mansamente escuta cada nota
e olha para os bemóis e sustenidos
ouvindo e vendo coisa mais remota.
E estão livres de engano os seus ouvidos
e suas mãos que em cada acorde acordam
os sons felizes de viverem juntos.
« Meu interesse é de desinteresse:
pois música e instrumento não confundo,
que afinador apenas sou, do piano,
a letra da linguagem desse mundo
que me eleva a conviva sobre-humano.
Oh! que Física nova nesse piano
para outro ouvido, sobre outros assuntos… »
« Metal rosicler », 1960.
*Traduction de Lili & Lulu, in « Je pleure sans raison que je pourrais vous dire », 2013 | https://jepleuresansraison.com/2013/02/24/falou-me-o-afinador-de-pianos-laccordeur-de-pianos-ma-parle/
CHANSON
J'ai mis mon rêve en un navire
et le navire sur la mer,
puis j'ai ouvert la mer de mes mains
pour que mon rêve sombre.
Mes mains sont encore mouillées
du bleu des ondes entrouvertes,
et la couleur qui coule de mes doigts
colore les sables déserts.
Le vent s'en vient de loin,
la nuit se courbe de froid;
sous l'eau s'en va mourant
mon rêve au fond d'un navire.
Je pleurerai autant qu'il le faudra
de sorte que la mer se gonfle,
que mon navire touche le fond
et que mon rêve disparaisse.
Alors tout sera parfait :
plages lisses, eaux ordonnées,
mes yeux secs comme des
pierres et mes deux mains brisées.
-
CANÇAO
Pus o meu sonho num navio
e o navio em cima do mar;
— depois, abri o mar com as mãos,
para o meu sonho naufragar.
Minhas mãos ainda estão molhadas
do azul das ondas entreabertas,
,e a cor que escorre dos meus dedos
colore as areias desertas.
O vento vem vindo de longe,
a noite se curva de frio;
debaixo da água vai morrendo
meu sonho, dentro de um navio…
Chorarei quanto for preciso,
para fazer com que o mar cresça,
e o meu navio chegue ao fundo
e o meu sonho desapareça.
Depois, tudo estará perfeito :
praia lisa, águas ordenadas,
meus olhos secos como pedras
e as minhas duas mãos quebradas.
Massart Robert. Essai de Traduction. Poèmes brésiliens.
In: Équivalences, 3e année-n°3, 1972.
https://doi.org/10.3406/equiv.1972.929
Eu canto porque o instante existe e a minha vida está completa.
cénario
Je traversai ces collines placides
et regardai
passer les nuages, silencieux, dans les solitudes d'émeraude.
De larges rivières avec un corps paisible
dormaient énormément l'après-midi,
et c'étaient des rêves sans fin de chaque côté.
Parmi les nuages, les collines et les torrent,
une angoisse d'amour a frissonné
l'étendue déserte devant moi.
Quel vent, quel cheval, quelle
nostalgie m'ont conduit dans ce désert,
m'ont forcé à adorer ce que j'ai souffert?
Je suis passé à travers les
grottes noires , à proximité des ruisseaux de fanado, le gravier
dont l'or a déjà été découvert.
Les mêmes pièces m'ont donné un manteau
où le visage des vieillards brillait,
éclairé par une rosée en détresse.
Avec un cœur voué à l'égalité des dangers
vivant les mêmes douleurs et les mêmes espoirs,
la voix que j'ai entendue d'amis et d'ennemis
Surmontant le temps, fertile en changements,
j'ai gentiment parlé aux mêmes sources,
et j'ai vu nos souvenirs communs.
Du bois sombre aux collines courbes,
du macareux brisé aux anges d'or
que le ciel soutient sur de longs horizons,
tout me parle et comprend le trésor
pris dans ces mines trompeuses,
avec du sang sur l'épée, la croix et le laurier.
Tout me parle et je comprends: j'écoute les roses
et les tournesols dans ces jardins, qui
étaient autrefois des terres et des sables douloureux,
où rugissait le pas de l'ambition;
où
le martyr traînait, écartelait, sans droit d'agonie.
J'écoute les fondations que le passé
teintait de feu: la voix de ces ruines
de murs d'or en feu évaporé.
Les hautes chapelles me chantent des
fables divines . Les tours, les saints et les croisières
indiquent les altitudes et les brumes.
O ponts sur les ruisseaux! O vaste
désolation des déserts, montagnes stériles
que le soleil fréquente et que le vent souffle!
Armé d'une poussière qui prétend l'éternité, il
laboure des images de saints et de prophètes
dont la voix silencieuse nous persuade.
Et il a recomposé des choses incomplètes:
innocentes, viles, atroces,
vicaires, colonels, ministres, poètes.
Les temps remontent si vite
que les bergers arcadiens d'outre-mer
parlent de nymphes et de métamorphoses.
Et je peux voir les soupirs d'amour
quand
les poings durs ont été levés à travers ces prairies florissantes .
Ici, des fers de chaînes résonnaient;
des chevaux tristes sont entrés là-bas.
Et les yeux pétillants amoureux
- le cœur s'arrêta en les écoutant
pleurer dans cette panique d'aurores
denses de brumes et de graines de coq.
Isabels, Dorotheas, Heliodoras, le
long de ces vallées, ces rivières, ont
vu leurs heures d'or
dans un vaste ouragan de déviations
vacillent comme dans les tiges de grandes bougies,
chaude lumière de mèches tremblantes.
Ma chance est adossée à ces
ombres vagues de l'aube triste,
profils fluides de jeunes filles et de jeunes filles.
Tout autour est tellement et rien:
Nise, Anarda, Marília… - qui suis-je à la recherche?
Qui répond à cet appel posthume?
Quel messager arrive, humble et obscur?
Quelles lettres ouvertes? Qui prie ou jure?
Qui s'enfuit? Parmi quelles ombres dois-je m'aventurer?
Qui connaissait chaque saint dans chaque église?
Le souvenir est aussi pâle et mort
sur lequel vole notre amour ardent.
Le passé n'ouvre pas sa porte
et ne peut comprendre notre pitié.
Mais dans les champs sans fin que traverse le rêve,
Je vois une forme dans l'air s'élever sereine:
forme vague, de temps libre.
C'est la main de l'enseigne qui, de loin, fait signe.
Éloquence du simple adieu:
«Au revoir! Je vais travailler pour tout le monde!… »
(Cet adieu fait trembler ma vie.)
Raison
Je chante parce que l'instant existe
et que ma vie est complète.
Je ne suis ni heureux ni triste:
je suis poète.
Frère des choses éphémères,
je ne ressens ni joie ni tourment.
Je traverse des nuits et des jours
dans le vent.
Si je m'effondre ou augmente,
si je reste ou si je m'effondre ,
- je ne sais pas, je ne sais pas. Je ne sais pas si je reste
ou si je passe.
Je sais quelle chanson. Et la chanson est tout.
Il a du sang éternel dans l'aile rythmique.
Et un jour je sais que je serai sans voix:
- c'est tout.