Céline Miannay

Adultère, séparation, divorce… Ces situations sont tellement courantes qu’elles ne nous surprennent même plus. On s’y est habitué, comme on s’est habitué à avoir le wifi et à faire les courses au drive. Le voisin, la tante, le collègue de travail, le présentateur télé, personne n’est épargné. C’est dommage mais c’est comme ça. Je savais que personne n’était à l’abri d’être victime – ou coupable – un jour de cette épidémie sociétale moderne, mais je ne me suis jamais sentie concernée ou préoccupée, jusqu’à ce que ça n’arrive plus qu’aux autres. Ce qui est sûr, c’est que j’ai minimisé la probabilité qu’elle atteigne mon couple et la douleur extrême qu’elle occasionne. Après l’annonce, je suis passée par différentes phases. D’abord, le déni durant lequel j’ai refusé d’admettre la réalité qui m’était imposée en croyant qu’elle serait temporaire. Puis, la colère, le ressentiment et la honte, doutant de mon aptitude à inspirer l’amour et à le mériter. J’ai été dévastée, enfoncée dans une souffrance effroyable, tout en étant habitée par l’espoir de son retour.

Ma famille était très modeste, mon père est devenu alcoolique et le peu d’argent qui était gagné était dilapidé dans les bars. Quand il était soûl, il devenait violent. Ma mère a connu des moments très difficiles mais elle a tenu pour ses enfants. La foi l’a grandement aidée. Et puis, un jour, Samuel est entré dans ma vie. J’étais très jeune, je n’avais pas dix-huit ans. J’en suis tombée amoureuse immédiatement. Il m’a emmenée loin de mes parents. Au début j’étais contente, bien sûr. Mais rapidement, j’ai remarqué que lui aussi avait tendance à boire. J’avais un jeune fils, Mike, et comme je ne travaillais pas, je ne pouvais pas subvenir seule à nos besoins. Mon mari a commencé à être de plus en plus violent. J’étais chaque soir terrorisée à l’idée de le voir rentrer. Comme ma mère, je tenais bon. C’est amusant comme l’histoire se répète parfois. Mais un soir, il s’en est pris à Mike et là, j’ai su que je ne resterais pas une soirée de plus. Je ne voulais pas faire courir le moindre risque à mon fils. Alors j’ai préféré fuir.

Annette est incroyable. Elle est ce genre de personne qui réussit tout ce qu’elle entreprend. Non seulement elle a été gâtée par mère nature, mais toutes les fées des royaumes enchantés se sont penchées sur son berceau pour la rendre intelligente, drôle, bienveillante et toujours souriante. Elle est un concentré de perfection.

C’est la première fois que je refuse les avances d’un homme. Jusque-là, je ne me demandais pas si j’en avais vraiment envie ou s’il y avait une chance pour que notre relation tienne sur la durée. Comme si les hommes me choisissaient. Ils me plaisaient, bien sûr, mais je ne ressentais pas le coup de cœur, une vraie attirance. Je disais oui pour ne pas les décevoir.
— Le syndrome du bon Samaritain !
— J’ai toujours eu des difficultés à dire non. Aujourd’hui, je ne veux plus faire ce que les hommes attendent de moi, je veux décider. Pour la première fois, je préfère être seule plutôt qu’avec un homme que je n’ai pas choisi. C’est fou, j’ai toujours eu horreur d’être seule. Je ne veux plus laisser mon bonheur dans les mains d’un autre, attendre, espérer et être déçue.

Je sens mon cœur se déchirer. La douleur est atroce. Alors, c’est vrai, il va vraiment me quitter. Il ne mentait pas. Comme ces derniers jours, je déteste rentrer chez moi alors que je le sais ailleurs.

La colère qui prend de l’ampleur en moi m’empêche de m’endormir. La vue de leur complicité et de leurs ébats tout à l’heure me ronge. Ils n’ont pas le droit, c’est moi sa femme. Je ne peux pas la laisser me voler mon mari. Je vais aller la voir et m’expliquer avec elle. J’imagine une discussion virulente où j’exprimerais toute ma fureur. Je l’humilierais et lui défendrais de s’approcher de Lucas. Je la menacerais de la licencier s’il le faut. Les plans violents et excessifs élaborés par mon esprit renforcent mon insomnie.

Comme je lui laisse l’initiative pour la soirée, son choix se porte sur un reportage relatif au canal du Midi où il a de nombreux souvenirs. J’aurais préféré une série policière américaine mais je doute qu’il en apprécie la violence et la débauche. Plongée dans mes idées noires et l’exploration de mon portable, je n’écoute pas le journaliste parler des berges, des chemins de halage et des écluses tandis que René, totalement absorbé et attentif, émet des commentaires fondés sur son expérience de batelier. Une vie entière à conduire des péniches, à voguer sur les canaux de France et de Belgique, pour transporter des matières premières vers les usines ou les grossistes.

Il était mon héros, mon papa parfait. Je le trouvais beau, gentil et drôle. Je rêvais de me marier avec un homme tel que lui lorsque je serais adulte. Je ne me souviens pas avoir vu mes parents se prendre dans les bras ou avoir des moments de complicité ensemble. Mais cela ne me perturbait pas car que sait-on de la vie de couple quand on a tout juste quinze ans ? C’est l’âge des premières fois et des découvertes. Ils étaient mes parents et à mes yeux, leur couple était une évidence. Son départ m’a beaucoup perturbée. J’ai continué à vivre avec ma mère et ma sœur. Mon père pensait que rester dans la maison de mon enfance serait moins traumatisant pour moi.

Après la rupture, j’ai plusieurs fois tenté de l’appeler mais il n’a jamais répondu. Je dois me faire une raison, il ne m’aime plus. Si tant est qu’il m’ait aimée un jour. Notre histoire avait pourtant bien commencé. Il me semblait que nous étions amoureux. Il s’était rapidement installé chez moi. Malheureusement, les seize petits mètres carrés de mon studio avaient étouffé notre couple. Enfin, c’est la raison qu’il m’a donnée. Je connais des couples qui ne se sont jamais sentis aussi heureux qu’en étant collés l’un à l’autre dans une voiture. Il se sentait à l’étroit. Il supportait de moins en moins son manque de liberté. Il voulait sortir et s’amuser.

Elle veillait sur notre scolarité avec autant d’attention que sur notre santé physique. Mon frère et moi devions chaque trimestre être les meilleurs. Nous avons d’ailleurs chacun sauté une classe en primaire. Je ne saurais dire si son mobile était davantage notre réussite ou la preuve de son efficacité dans ses missions de femme au foyer. Peut-être voulait-elle montrer à mon père qu’elle n’était pas bonne à rien et que son statut « sans profession » ne diminuait pas sa valeur. Je crois qu’elle a beaucoup souffert d’un manque de considération de sa part, ce qui l’a rendue au fil des années un peu aigrie de vivre dans l’ombre de son homme.

La  meilleure solution serait de faire un retour dans le passé pour changer le cours des choses ou de pouvoir transformer ma vie à coups de baguette magique. Être comme le Namaqualand en Namibie qui, d’une zone aride et stérile, se métamorphose en toile de fleurs multicolores. Car, qu’y a-t-il de pire que d’avoir le sentiment que la vie n’a plus de sens, que jamais on ne retrouvera la paix intérieure ? J’ai essayé de différentes manières de me délester de ce poids qui me rongeait mais la culpabilité, tel un chewing-gum que j’ai mâchouillé et ruminé des heures durant resté collé sous ma semelle de chaussure, ne me quittait jamais.