Il m'est arrivé d'être si aveuglée par la colère que j'en perds le contrôle de mes paroles.
Il y a eu d'autres moments de colère ensuite, mais cela faisait très longtemps que je n'avais pas senti les mots se précipiter dans ma bouche tel un torrent furieux.
C'est toujours comme ça avec les jeunes. Des marmites qui bouillonnent vite, puis, un beau jour, le feu s'éteint et ce qui reste, c'est la personne qu'ils vont devenir.
Je serrai ses mains. Lulu finirait par comprendre. Ne faisait elle pas sans cesse des discours sur l'égalité, la situation critique des nègres à Cuba.
Ce ne sont que des mots, répondit Mario.
Dans mon régiment on est tous noirs et, à chaque bataille, on nous place aux avant-postes. Comme si nous n'étions que de la chair à canon, jetables.
Les régiments de Blancs attendent que nous ayons percé les lignes espagnoles et quand nous sommes fatigués ou que nous comptons trop de morts, ils arrivent, leur machette en l'air.
Ces grands héros blancs.
Elle a peut être raison.
Il n'y a pas de logique à la souffrance, pas d'équilibre entre la joie et la peine.
Il y a juste des choix et les échos de ces choix.
J'ai la tête qui tourne.
Mes pensées s'égayent comme des moineaux dans des eaux peu profondes.
Et qu'y a-t-il de plus terrifiant pour une enfant que de douter de sa mère, de découvrir ses défauts, de la considérer comme un être humain, et non plus comme une déesse ?
A l'ombre de cette riche vallée, le taller était un lieu secret, comme ces endroits luxuriants dont parlent les contes où les duendes (lutins) et les hadas (fées) volètent dans les fleurs épanouies en exauçant vos voeux.
Je veux épouser un homme qui ne ressemble pas à un piège à ressorts.
Je me souviens d'une histoire que ma mère m'a racontée il y a bien longtemps, à propos d'une autre tempête.
Elle s'appelait Illuminada Alonso, mais ses amis à Santiago de Cuba la surnommaient avec affection Lulu. Lulu perdit les eaux un matin de juillet 1881 sur le Thalia qui avait quitté le port de Boston deux jours plus tôt, en partance pour Cuba. Elle n'avait parlé à personne de ses douleurs qui avaient duré toutes la nuit, en pensant que si elle les ignorait , elles finiraient par disparaître. Lulu ne voulait pas accoucher sur un navire, si loin de Cuba.
J'avais déjà assisté à de terribles scènes entre des mères et leurs filles adolescentes. La douleur devait en être la cause, car quoi de plus triste pour un parent que de voir sa fille quitter son enfance peu à peu ? Et qu'y a-t-il de plus terrifiant pour une enfant que de douter de sa mère, de découvrir ses défauts, de la considérer comme un être humain et non plus comme une déesse ?