Citations de Charles Aubert (184)
Le lendemain du jour où elle a pris l'avion, j'ai commencé à ressentir des difficultés à me lever le matin. Ensuite tout s'est enchaîné, avec cette impression de faire de l'apnée dans le tambour d'une machine à laver. Le programme essorage a duré plus d'une année.
Entre deux offices, je rentrais dans une église. Je m'asseyais sur un banc. Je m'imprégnais de l'atmosphère. Les lumières des vitraux, les parfums de myrrhe, l'air plus épais, plus enveloppant, le silence surtout. (...) Plus tard, je me levais à peine plus léger et plongeais à nouveau dans la rumeur de la rue comme dans une rivière en crue.
Vieux Bob disait parfois que j'étais un décroissant, comme lui, un de ces gars qui ne croient plus au progrès, qui rejettent l'idée même de consommation, et méprisent plus que tout la course à la réussite sociale. J'avais peut-être en apparence quelques points communs avec les décroissants, mais aucune prise de conscience, aucun choix politique, aucune volonté de sauver la planète n'était à l'origine de ma décision de vivre dans une cabane. Simplement une grande fatigue causée par un ras-le-bol de l'humanité qui s'était carambolée avec une cruelle désillusion sentimentale. Je me sentais ainsi plus proche d'un misanthrope ou d'un amoureux déçu que d'un militant altermondialiste.
Mettre des mots sur des maux. On lisait ça dans toutes les revues de psychologie. Tout le monde s'évertuait à vous faire cracher le morceau, vous encourageait à déballer votre intimité.
J'aimais beaucoup les couleurs saturées qui arrivaient avec l'orage. C'était comme si la vie gagnait en intensité. De mémoire, il n'y avait que les orages et l'amour pour donner cette sensation-là. Mais je n'étais plus vraiment sûr en ce qui concerne l'amour.
Je prenais les chemins les uns après les autres. Je les connaissais par coeur. Je longeais les lagunes, le canal. Je suivais la côte. J'étais parti vers l'ouest. On part toujours vers l'ouest.
Vers là où le soleil se meurt.
Bautista se tenait le buste bien droit, les mains posées l'une sur l'autre sur le plateau de son bureau comme Giscard s'apprêtant à dire au revoir aux Français en mai 1981.
Devant lui, l'étang bourbeux avait pris des teintes inattendues. Un mélange de sirop d'orgeat et de curaçao, relevé sur la crête des herbiers d'un zeste de citron vert.
Il était important de se laver les mains pour se débarrasser de la poussière du monde extérieur.
Entre l’exploitation d’Alex et ma cabane, la route longeait les étangs et la mer. Ce paysage était invraisemblable, je n’arrivais pas à m’en lasser. De l’eau partout et un ciel très haut, très bleu. Ces jeux de miroirs et ces espaces infinis donnaient une impression de vertige. Il fallait juste fermer les yeux sur les stations balnéaires, les bases de loisirs et les villages-vacances qui parsemaient le littoral et venaient rappeler la vulgarité des hommes. Mais hors-saison, ils étaient laissés à l’abandon et livrés au vent et au sable. La nature reprenait ses droits. Le décor, une certaine élégance.
La chaise longue qui trônait sous la véranda me tendait les bras et je ne me sentais pas d'humeur à résister longtemps à pareille invitation.
Depuis quelques jours, ils ne parlaient plus de canicule à la radio, car les nuits s'étaient légèrement rafraîchies, mais dans la journée, le soleil continuait de crépiter comme une ligne à haute tension et je ressentais toujours la même impression entêtante de désagrégation.
Malkovitch a croisé ses mains sur sa tête comme s'il s'apprêtait à traverser une rivière. Vu la grimace qu'il faisait, ce devait être un torrent de haute montagne.
Cindy est arrivée. Talons hauts, jupe cintrée, bustier rouge cerise, une rose dans les cheveux. Elle sortait tout droit d'un film de gangsters des années quarante ou plutôt d'un dessin animé de Tex Avery.
Malkovitch m'a examiné de la tête aux pieds avec un air presque condescendant, comme si j'étais un intrus, une anomalie dans sa vie, une tache de cambouis sur une robe de mariée.
Je connaissais Lizzie à peine plus d'une année et j'avais déjà été assommé, attaché, baillonné. (...)
Je pensais à tous ces gens qui se plaignaient de la lenteur de leurs vies, de l'immobilité des choses autour d'eux.
C'était tous des pensionnaires de L'ESAT, des inadaptés, des déficients en je ne sais quoi, des "pas exactement comme les autres". On les présentait souvent par le nom de leur anomalie chromosomique ou de la pathologie qu'ils avaient développée.
Quand Isadora Muntaner est entrée, Lizzie s'est levée d'un bond. Elle m'a jeté un long regard glacé. J'ai eu la sensation d'être propulsé d'un seul coup en short de bain sur une banquise balayée par le blizzard.
Je me vantais d'avoir eu le courage de tout quitter pour mener une existence plus simple. Je crachais sur le côté factice et absurde du quotidien qu'on nous proposait mais la vérité n'était-elle pas plutôt que j'avais tout simplement peur de vivre ? Je m'étais planqué dans une cabane au bord d'un étang en pensant que c'était la meilleure chose à faire, s'anesthésier avec la beauté de la nature, emplir ses oreilles de silence, se saouler de solitude.
Le vent est tombé avec le jour qui faiblissait. L'étang était devenu aussi lisse et sombre qu'une étoffe de soie. A chaque coup de pagaie, l'étrave du kayak déchirait la surface comme un gigantesque ciseau.