Des années plus tard il essaierait de se souvenir de ce qu'il ressentait à ce moment-là, lorsqu'il sortit du monde réel pour entrer dans le monde du secret. Avait-il pensé à son père ? S'était-il souvenu des juifs cachés à bord du Mohican, du Dandy, des hommes de la Gestapo qui avaient frappé son père et arrêté sa mère ? Avait-il été motivé par l'amour de l'Amérique, par un idéal de liberté ? Il n'en savait rien. Ce dont il se souvenait, c'était d'une sensation de soulagement : le directeur lui avait offert le secret, un monde où les hommes étaient enfermés dans un coffre-fort, un monde où l'on pouvait tout savoir et ne rien révéler, un monde où il ne pouvait y avoir de disparitions inexpliquées.
Le monde de l'espionnage était un monde de fous dans lequel ceux qui ne savaient ni écrire, ni peindre, si sculpter créaient des œuvres convulsées avec de la chair humaine et prenaient cela pour de l'art. On se serait cru dans un asile en train de regarder des fous barbouiller une armée de silhouettes sur une énorme toile avec des giclées de sang en guise de peinture.
Paul Christopher était un enfant calme. Né dans une famille de bavards, il écoutait. Même très jeune, il n'interrompait jamais une conversation. Des années après, il lui arrivait de poser une question au sujet d'une histoire qu'il avait entendue à quatre ans ; on aurait dit qu'il n'oubliait jamais rien.