Chloé Vivet

Ce matin, les courbatures me rappellent que je dois être meilleure pour ne plus souffrir, chaque marque laissée par l’exercice me remémore qu’il s’agit du prix de la vie. Les blessures physiques s’intensifient tout au long de la journée, tandis que celles qui me fissurent intérieurement disparaissent au fur et à mesure.

Père dit souvent que je joue un jeu de lutte avec lui, pour nous tester tous les deux. Réellement, il pense toujours voir en moi une enfant qui doit obéir aux ordres. Toujours une discipline impeccable pour la fille du vice-président ! Oh comme j’aimerais parfois être une jeune rebelle qui puisse faire ce que bon lui semble. Malheureusement, rien ne se passe ainsi. J’ai seulement le droit de suivre le protocole instauré, les règles de mon père, celle des agents de sécurité ou encore les recommandations de mon chaperon. A vingt-et-un ans… Je suis toujours suivie par une baby-sitter quand mon père juge opportun que je ne sois pas seule à la maison

Elle hoche doucement la tête et je vois qu'elle exulte. Elle ne tient pas en place, c'est certain et un regard vers Agathe me permet de voir que celle-ci est dans le même état que ma mère. C'est sûr qu'elle était excitée à l'occasion d'un nouveau mariage dans la famille et je dois avouer que celui de Marie sera certainement le seul. Je n'ai pas prévu de me marier à vrai dire, cela me paraît totalement improbable. Je ne trouve déjà personne qui soit capable de me supporter au quotidien alors pour un mariage c'est mission impossible. Mes rêves d'enfants et de robe de princesses sont tombés à l'eau en même temps que mes rêves d'auteurs.

Il tente de s’élancer pour me laisser derrière lui mais un détail lui échappe : difficile de fuir quand on ne sait pas patiner. Il s’effondre et je ne peux m’empêcher de rire alors qu’il essaie de ne plus toucher la glace. Je lui tends la main qu’il accepte volontiers et le relève doucement. Il a du mal à tenir en équilibre quelques secondes puis vient s’accrocher à moi. Il m’attrape par les hanches et je me sens beaucoup trop proche de lui. La chaleur qui monte en moi contraste avec la fraîcheur qui plane autour de nous. Je sens son souffle sur ma joue, ses yeux sont ancrés dans les miens.

Comment peut-on ne pas apprécier Noël ? Il fait froid, nous passons notre temps à boire des chocolats chauds tout en dégustant des bonhommes en pain d’épices. Si tu as une moustache de lait, personne ne te juge ! Tu peux passer des heures sur la patinoire de la ville sous les éclairages de Noël pendant que les enfants courent après le Père Noël. Nous fredonnons tous les mêmes chansons depuis des années, nous préparons le repas, décorons le sapin, chacun apporte sa petite pierre à l’édifice et c’est le meilleur moment de l’année pour se retrouver en famille !

Je n'ai pas le temps de lui dire qu'une petite rose viendra bientôt combler notre bonheur que les convives nous séparent pour nous féliciter. Je regarde la porte de la galerie se fermer en embrassant mon père et je vois sa longue chevelure blonde s'envoler dans l'air. Maman. Je me concentre à nouveau sur nos convives en reprenant la foule de baisers. J'ai fui Washington pour une nouvelle vie, j'ai aimé à Londres et je passerai la fin de ma vie dans ses bras, à Paris. J'aime cet homme plus qu'une œuvre d'art.

Jouer un double jeu n'est vraiment pas fait pour moi, je mens si mal que j'ai l'impression que tous les deux peuvent me juger, que la vérité est exposée sous leurs yeux, écrite sur mon front au marqueur indélébile. Je me sens petite face à ce couple de manipulateurs. Je n'ai vraiment pas envie de déballer cette rencontre désastreuse, mais je sais pertinemment que si j'étais seule dans une pièce avec ces deux amoureux, je serais capable de livrer chacun de mes secrets sans aucun filtre.

Les yeux de Gabriel se mettent à briller mais il n’a toujours pas prononcé un seul mot. J’aurais aimé que la soirée se termine sur une toute autre note mais je ne peux pas choisir après tout. Je pense que cet homme souffle le chaud et le froid sans s’en rendre compte. Je l’observe discrètement et je dois avouer qu’il a du charme, que ses yeux noisette me tourmentent et m’intriguent. J’en prends un petit morceau qui tourne sur la table.

J'aime retrouver mes racines pour les fêtes et ce soir, je suis d'autant plus ravie de rencontrer le compagnon de ma sœur. J'ai été plutôt absente ces derniers temps. L'heure de route qui me sépare de chez moi me permet de me défouler, de chanter sur toutes les musiques qui ont bercé mon enfance. Je repense à ce type du centre commercial qui doit vivre le Noël le plus absurde de sa vie. Bien fait pour toi mon gars...

La pensée de prendre l’avion m’a toujours effrayée même après tout ce temps. J’ai besoin de vider mon angoisse et c’est cette pauvre femme en uniforme qui prend. Tant pis. Lorsque l’avion décolle, j’ai peur, je tremble, je crois que je vais m’évanouir. Pourtant je suis toujours en vie après deux minutes trente de vol. Ma conscience semble s'amuser de cette situation.