Elspeth s’éloigna de son père en effectuant une pirouette habile : son refus de reconnaître son génie ne l’offensait plus. Elle attendrait la fin de la représentation quand, comme cela se produisait après chaque spectacle, elle recevrait un déluge de compliments et serait entourée d’admirateurs, cependant que ses parents auraient l’œil à l’affût de mains baladeuses et l’oreille à l’écoute de propositions effrontées.
Où était la beauté dans la petite scène qu’elle jouait à présent ? Une pluie noire tombait d’un ciel boueux. Peut-être aurait-elle dû penser à la nuit comme à des braises encore chaudes, arrosées par les larmes de Dieu ? L’arbre contre lequel elle était clouée était dur et froid, ses feuilles, sous la lune souffreteuse, grises et humides. Un vrai poète aurait vu la scène différemment : des rameaux sur lesquels dansaient des elfes minuscules. Mais même un poète aurait eu du mal à faire de Thomas un héros fantastique. Peut-être, si jamais elle devait raconter l’histoire un jour, pourrait-elle décrire le garçon ahanant au visage rouge comme un ardent jeune prétendant, sa tunique et sa culotte comme l’uniforme honnête d’un conducteur de bestiaux convenable et viril ; ses yeux exorbités, alors qu’il tentait de couler un regard à l’intérieur de la robe qu’il arrachait, comme brûlants de passion, stupéfaits par la grâce de sa poitrine juvénile et innocente.
Jamais il n’y eut de jour plus heureux pour Elspeth Baillie que celui où elle fut arrachée à son ancienne vie, la seule vie qu’elle avait cru possible, une graine à peine germée et transportée par-delà les océans pour être replantée à la chaleur du soleil. Elle qui n’avait été qu’une pauvre ronce rabougrie sur son sol natal : dix-neuf ans usants qui lui en avaient semblé quarante. Puis, à la veille de ses vingt ans, on l’avait déterrée et greffée sur une nouvelle vigne. Cette transplantation avait été effectuée par l’Honorable Lord Albert Coak : c’était lui qui avait retiré le mildiou et la moisissure qui s’étaient formés sur son âme, l’avait allégée et rendue à sa jeunesse.
Dans une vieille maison située dans le coin le plus reculé de cette île, j’ai trouvé le livre imprimé ci-dessous. Comment j’en suis arrivé à m’intéresser aux Rosies n’a que peu d’intérêt. Les petits blancs des Caraïbes forment un peuple en voie de disparition ; tant dans le sens de leur nombre décroissant que dans celui de leur invisibilité.
Le prêtre de la paroisse répète toujours Ettore, il faut savoir se satisfaire des bonnes choses que la vie vous offre. Il a peut-être raison. Mais comment sait-on quand il est temps d'arrêter de se satisfaire, et de faire ce qu'il faut pour que l'avenir vous en apporte vraiment, des belles choses?
La terre est rouge et blessée d’avoir été forcée, surexploitée, déchirée ; les flancs des collines, indécemment nus depuis que les vignes ont péri et que le sol est devenu amer. Il y a tant de passé qu’il ne laisse aucune place au futur.
L'horreur et la cruauté de chaque affaire les affectaient, même s'ils faisaient tout leur possible pour n'en rien montrer. Ils faisaient tout leur possible pour que les policiers ne prendraient pas de raccourcis, qu'ils mèneraient au contraire leurs enquêtes jusqu'au bout et trouveraient les vrais coupables. Et une fois que ces derniers étaient arrêtés, Maddy et Izzie et Dan et une centaine d'autres juristes comme eux dans cet immeuble trimaient jour et nuit pour monter un dossier digne de ce nom.
Rien de tel qu'une triple tragédie pour que les politiciens, les serreurs de mains professionnels et les rois du meeting prennent leur pied en public.
Nous devrions nous livrer à un examen de conscience sur la manière dont nous éduquons nos enfants. Sur les tenues que nous les laissons porter pour aller à l'école. Leurs horaires de sortie. Les émissions qu'il regardent et les jeux video auxquels ils jouent. Nous sommes -nous autres professeurs, hommes politiques, parents- tout autant responsables qu'eux de cette situation tragique.
Il y a des moments comme ça, dans la vie. Des moments dont on a l’impression qu’ils vont tout changer, qu’il y aura un avant et un après. L’égocentrisme religieux vous porterait à croire que le monde a été conçu de cette manière-là, précisément, afin de vous adresser un message, à vous et à personne d’autre. Comme si vous aviez mal interprété les signes, laissé filer une occasion.