Citations de Christine Maillard (85)
Le principium individuationis est l’instrument d’une première différenciation, qui fait accéder toutes choses à l’existence, afin qu’ensuite la conscience individuelle qui les perçoit se distingue d’elles en opérant la seconde différenciation, par le retrait des projections qui la lient aux objets.
Plérôme et Créature peuvent être comparés à la paire brahman nirguna ou « non qualifié » et saguna ou « qualifié », ou à celle des deux aspects de prakriti, non manifesté (avyakta) et manifestée (vyakta).
Puisque dans l’unité originelle du Plérôme, conscience et inconscient coexistent, aucun des deux ne « produit » l’autre, mais tous deux se manifestent dans une sorte d’épiphanie réciproque : au développement de la conscience correspond la transformation de l’inconscient, dans ce que Jung appelle la fonction transcendante.
L’inconscient tel qu’il peut être perçu par la conscience n’est qu’un aspect de cet inconscient absolu à la fois absolument transcendant et absolument immanent. Transcendant tant qu’il ne se manifeste pas à la conscience, immanent dans ses manifestations.
Saisir le mouvement de l’absolu dans les êtres et les choses et non pas s’efforcer de prouver en quoi ceux-ci coïncident ou ne coïncident pas avec cet absolu, telle semble être la préoccupation de la métaphysique chinoise, fondamentalement relativiste.
La première caractéristique de l’inconscient identifié au Plérôme, c’est qu’il n’est pas un produit. Il préexiste aux choses de toute éternité, il est une matrice, un originel. Ce trait marque à lui seul une rupture nette avec la conception freudienne des contenus inconscients résultant du refoulement, et donc nécessairement secondaires par rapport à la conscience.
[…] l’aliénation des morts ne résulte pas des fautes qu’ils ont commises et pour lesquelles ils auraient à être jugés, mais de leur incomplétude en tant qu’êtres individuels, de ce que le texte appelle leur « inachèvement ». Leur délivrance procédera donc d’une gnose et non du pardon de leurs péchés par une grâce divine.
[…] les vivants doivent mettre à profit l’existence spatio-temporelle qui est la leur pour accomplir ce travail de différenciation, c’est-à-dire de prise de conscience, possible seulement dans l’état d’incarnation.
Jung postule que, selon toute vraisemblance, les âmes des défunts n’ont pas la possibilité d’acquérir de nouvelles connaissances dans l’au-delà, et que pour cette raison, probablement, elles s’adressent parfois aux vivants, qui ont sur elles la supériorité de pouvoir accéder à une connaissance claire et distincte des choses du fait de leur existence dans l’univers spatio-temporel.
Les Sept Sermons aux morts sont structurés comme un mythe total, dont le discours traite des origines du monde (cosmogonie) et des fins dernières de l’homme (eschatologie), en développant entre ces deux pôles une cosmologie, une théologie, une anthropologie, une ontologie, une éthique.
Ainsi, la représentation centrale de la psychologie analytique, celle de l’individuation comme « devenir soi », comme réalisation de l’unicité de la personne dans le Soi, s’affirme-t-elle conjointement dans les œuvres théoriques de cette période d’une douzaine d’années, qui sépare le traumatisme de la rupture avec Freud de la réinsertion de Jung dans une nouvelle position extravertie et ouverte sur le monde, et dans les œuvres mythopoïétique du psychologue, réunies dans le Livre Rouge sous forme de texte et d’images.
[…] la constellation des personnages apparaissant comme premiers interlocuteurs du Moi dans le Livre Rouge est ici explicitée par la typologie des quatre fonctions : le personnage dénommé « Moi » serait un type « pensée », Salomé correspondrait au « sentiment », le Serpent à la « sensation » et Elie à l’ « intuition ».
Les deux principales [notions de l’œuvre de Jung], celle de l’archétype et celle du Soi, n’étaient pas encore formulées en tant que telles dans l’œuvre théorique en 1916, mais on en trouve l’ébauche dans les Sermons, comme nous nous proposons de le démontrer.
[…] Aniela Jaffé considère l’éloignement d’avec Freud après la publication des Métamorphoses comme l’achèvement de la première phase créatrice de la vie de Jung. Elle voit en la période visionnaire qui s’ensuivit à partir de 1913 une phase de régression vers l’inconscient, instance maternelle, après la rupture de cette relation paternelle.
Mais Jung voyait dans le sacrifice de sa relation à celui qui l’avait considéré comme son « héritier » [Freud] le prix à payer pour pouvoir développer une pensée personnelle, une pensée dégagée du Sur-moi, incarné pour lui par la personne de Freud, avec tout son paternalisme.
Pour certains patients, la « guérison » consiste à pouvoir fonctionner à nouveau dans le cadre d’un système symbolique prédéfini par le dogme. Leur chemin ne mène pas au-delà, et il serait dangereux de prétendre les entraîner sur des sentiers plus aventureux, où ils seraient obligés d’avancer seuls.
Jung reprochera toujours à la religion chrétienne d’inciter l’homme à refouler son ombre, attitude qui est à la source de toutes sortes de névroses.
Le texte s’adresse à tous les humains en quête du sens (« ce qui est encore sans réponse »), à tous ceux qui vivent un conflit éthique, une « collision de devoirs » (« ce qui est en quête de solution »), et plus généralement à tous ceux qui souffrent, qui vivent douloureusement leur incarnation (« ceux qui sont en mal de délivrance »).
La première [voie possible pour le devenir posthume des êtres], que l’on pourrait appeler « entropique », se définirait par le complexe destruction-chaotisation-errance-rejet dans le cycle des renaissances. La seconde est la voie néguentropique, celle de l’accession de l’âme à sa destination principielle, à sa dimension incréée, divine voire supra-divine. En termes jungiens, la première consiste en une résorption dans l’inconscient, […] la seconde est la voie de la conscience.
Il s’agit […] d’enseigner aux âmes à savoir distinguer le Principe absolu de sa manifestation, afin que, ne s’identifiant plus à la seconde, elle puisse reconnaître son identité essentielle avec le premier.