Christopher Skaife

Les corbeaux font tout pour survivre. C'est ce qui leur vaut leur réputation de cruauté. ils se nourrissent de charognes et de carcasses. Ils vivent partout, dans toutes les conditions. Ils sont prêts à dépasser leurs limites et celles des autres pour obtenir ce qu'ils veulent. C'est assez admirable.

Cette approche du rognage minimal [des rémiges] a beaucoup d’avantage. Elle permet aux corbeaux de se servir de leurs ailes, ce qui les garde en meilleure santé par l’exercice et l’usage de leurs muscles de vol, et elle leur donne une meilleure chance de survie s’ils sont attaqués par des prédateurs. Cela veut dire que les oiseaux peuvent quitter la Tour — mais c’est un risque que je suis prêt à prendre [le maître des corbeaux].

L’une des choses que j’ai apprises sur les corbeaux est qu’ils sont étonnamment semblables à nous : ils sont versatiles, omnivores, capables de grande cruauté et de grande bonté, et dans l’ensemble ils réussissent à s’entendre entre eux.

... en 1981. Si on allumait la télévision, elle parlait du tueur en série Peter Sutcliffle, des grèves de la faim, des émeutes de Brixton et de Toxteth, le « National Front » organisait des manifestations et Enoch Powell divaguait sur une guerre raciale, le SIDA devenait une épidémie mondiale et le chômage montait en flèche. Thatcher était au pouvoir. L’IRA posait des bombes, tuant des soldats et des civils.

Pendant mon poste de maître des corbeaux, j’ai vu des corbeaux exprimer de la joie, de la tristesse, de la douleur et du plaisir. Je les ai vus apprendre, retenir, résoudre des problèmes impliquant des principes de cause à effet. Je sais qu’ils sont capables d’abnégation, de compassion, de galanterie et d’un grand courage. Possèdent-ils des capacités cognitives complexes ? Clairement. Jusqu’où exactement vont ces capacités ? Je ne sais pas — je suis encore en train de découvrir.

J'ai eu beaucoup de chance d'avoir deux carrières : comme soldat et comme garde -yeoman-. Comme soldat, j'ai vu le meilleur et le pire dont sont capables les êtres humains. Comme maître des corbeaux, j'ai eu un accès privilégié à la vie et au comportement de l'une des créatures non-humaines les plus extraordinaires au monde.
L’une des choses que j’ai apprises sur les corbeaux est qu’ils sont étonnamment semblables à nous : ils sont versatiles, omnivores, capables de grande cruauté et de grande bonté, et dans l’ensemble ils réussissent à s’entendre entre eux.
En étudiant les corbeaux, j'ai beaucoup découvert sur la nature humaine: j'ai appris à écouter, à observer et à rester immobile.
Les corbeaux ont été mes professeurs et j'ai été leur élève. (p. 17)

Mon titre complet est Christopher Skaife, garde yeoman de la Tour de Londres, palais royal et forteresse de Sa Majesté, et membre de la garde extraordinaire des yeomen, garde personnelle du souverain - qu'on considère généralement comme l'unité la plus ancienne existant encore dans le monde, créée pendant le règne d'Henri VII, après la bataille de Bosworth en 1485. Nous autres gardes yeoman sommes tous des soldats, hommes et femmes, ayant au moins vingt-deux ans de service sans tache. Nous sommes les gardes honorifiques de la Tour de Londres. En principe, nous devons nous occuper de tout prisonnier à la Tour et garder les joyaux de la couronne. En pratique, nous sommes des guides touristiques et les garants des traditions de la Tour. Nous vivons directement dans la Tour. On dit que la maison d'un homme est son château: pour nous, c'est littéralement vrai.

Non seulement les corbeaux n'ont pas d'organes sexuels extérieurs, comme la plupart des espèces d'oiseaux, mais les mâles et les femelles sont d'apparence presque identique, et il n'y a pas non plus de grande différence de comportement. Ce n'est pas comme si les mâles avaient un plumage plus coloré ou un motif différent, ou des ergots, une crête, ou une caroncule qui permettraient de distinguer les mâles des femelles. Pour un profane, la seule différence notable est que les corbeaux mâles ont en général le doigt du milieu un peu plus long et des becs plus épais ; cela dit, nous avons eu des oiseaux femelles avec des becs très épais, et mesurer la différence entre les doigts d'un corbeau n'est pas une activité pour les âmes sensibles. Manipuler les oiseaux étant extrêmement éprouvant pour eux même dans les meilleures circonstances, la seule façon pratique de déterminer le sexe de Gripp serait de prélever une plume et de faire un test d'ADN. Comme Gripp semble tout à fait heureux comme il ou elle est et que nous traitons tous les oiseaux de la même façon à la Tour quels que soient leur sexe et leur genre, cela ne servirait pas à grand-chose de le ou la soumettre à cette épreuve. Pour le moment, Gripp reste donc un "il" - un "il" assez timide et timoré, je le concède, qui a besoin qu'on s'occupe un peu plus de lui que les autres oiseaux. J'ai un faible pour lui et je n'aime pas le voir se faire embêter ou brimer par les autres.

Si vous avez le moindre intérêt pour les oiseaux, mais que, comme moi il y a quelques années à peine, vous ne savez pas par où commencer, je suggère d'étudier un oiseau en particulier: n'essayez pas d'apprendre sur toutes les espèces à la fois. Choisissez un oiseau que vous aimez: une oie, un cygne, un moineau, un faucon. En apprendre sur les oiseaux, comme apprendre quoi que ce soit d'autre, est une questionde patience, de ténacité, et de faire bien les petites choses, encore et encore. Apprenez à connaître votre oiseau. Occupez-vous de ses traits particuliers, de sa forme, de son vol, de son chant, de sa démarche. Regardez-le dans les yeux.
Lisez quelques livres. Commencez par les textes faciles avant d'aborder les grands érudits du domaine: Bernd Heinrich, John et Colleen Marzluff, Oskar et Katharina Heinroth, Konrad Lorenz, Eberhard Gwinner. Allez lentement. Posez des questions. Soyez curieux.
Et mon dernier conseil est le suivant: en fin de compte, pour comprendre les oiseaux, il faut penser comme un oiseau. Cela a l'air ridicule. Mais je crois qu'avec juste un peu d'effort et d'imagination, c'est au moins possible de voir les choses de leur point de vue, et se faisant de comprendre peu à peu pourquoi ils font ce qu'ils font, ce qu'ils ressentent, et pourquoi ils sont si similaires à nous et pourtant profondément différents.

NE PAS presser les corbeaux.
NE PAS tenter de changer la hiérarchie des corbeaux.
NE PAS essayer de faire des économies.
RESTER calme en permanence.
PERMETTRE aux corbeaux de suivre la même routine tous les jours.
S'ATTENDRE au chaos si l'une des règles ci-dessus n'est pas respectée.