Talents Cultura 2023 : Catégorie romans jeunesse
Le sol s'est effondré sous moi et j'ignore comment rester debout.
Je suis là, dans les abysses de l'océan dans lequel j'ai coulé et tout est noir autour de moi. Je n'aperçois même plus la surface. Et je sais que je n'aurai jamais la force de l'atteindre.
Hier soir, j'ai perdu pied.
Ce matin, j'ai touché le fond.
Une nouvelle nausée me saisit et je me penche en avant, les paumes de mes mains à plat sur mes cuisses. Un filet de bile s'écoule de mes lèvres entrouvertes tandis que mon estomac se tord, se tord et se tord pour tenter d'évacuer ma souffrance.
C'est fou qu'Ambre puisse se tenir devant moi sans comprendre. N'est-ce pas évident ?
Je n'arrête pas de pleurer. J'ai peur de dormir, car mes propres rêves me trahissent. J'ai beau chercher à fuir, tout me rattrape trop vite et les souvenirs cadenassés dans ma tête n'ont qu'une seule envie : s'échapper. Je suis assaillie de flashs. De remords et de regrets. Dans ma poitrine, il fait si froid que je gèle en permanence. Quand je croise mon reflet dans le miroir, je ne me reconnais pas. Je regarde cette fille qui ne sait plus sourire, qui ne sait plus que pleurer, et j'ai mal pour elle.
Ambre se tient devant moi et ne voit rien, alors que je suis en train de me noyer.
Non, ce n'est pas oui. Le silence, ce n'est pas oui. ''Je ne sais pas'', ce n'est pas oui. Oui, après des dizaines de non, ce n'est pas oui. Oui, parce qu'on est forcé, ce n'est pas oui.
Personne ne pourra jamais se comprendre mieux que nous. Ce sentiment d'injustice. De la colère d'être une femme. Ce n'est pas normal, je pense. Ce n'est tellement pas normal. Tout ce qui nous arrive. Les inégalités, le sexisme, les violences, les abus. La peur, la honte. Ça me donne envie de hurler. Ils n'ont pas le droit, je pense. Il n'avait pas le droit.
(...), t'as rien fait pour que ça t'arrive, d'accord ? On ne " se fait pas " violer. On l'est.
Ma parole contre la sienne.
C'est tout ce que j'ai. C'est souvent tout ce que les victimes de viol ont . C'est rarement assez.
Un jour, on est encore un enfant et le lendemain, on se rend compte que l’on est devenu adulte. Juste comme ça.
Il s'appelle Ambroise, Kevin, Julien ou encore Kenji. Antoine, Sofian, Francis ou Grégoire. Il s'appelle Xavier, Ayoub ou Tristan. Il s'appelle Léo. Il a trente et un, vingt-deux, cinquante ou quarante ans. Il en a dix-sept, trente trois ou seize. Il a vingt ans. Il est en couple, célibataire ou marié. Il est son patron. Le meilleur ami de son frère. Un garçon dans sa classe. Son voisin. Son coach sportif. C'est sa femme. Sa petite-amie. Son amie. Il s'appelle Léo, il a vingt ans, je suis une fille de son école et il m'a violée.
- [...] Même s'il ne savait pas, ça ne l'excuse pas. L'information est partout. On parle du consentement sans arrêt depuis #Metoo. Bon sang, on a eu une réunion d'information sur ça à la rentrée. Si une personne a bu, elle ne peut pas donner son consentement. Non, ce n'est pas oui. Le silence, ce n'est pas oui. « Je ne sais pas », ce n'est pas oui. Oui, après des dizaines de non, ce n'est pas oui. Oui, parce qu'on est forcé, ce n'est pas oui.
En France, c'est une étudiante sur dix qui est victime d'agression sexuelle. Et une étudiante sur vingt de viol. C'est trop.