FQME Claude Lavallée et ses débuts.
Segment du film de la fédération québécoise de la montagne et de l'escalade (FQME) où Claude Lavallée nous parle de ses débuts en escalade, en 1954, à Val-David, le berceau de l'escalade dans l'est du Canada. Produit et réalisé par Mathias Arroyo-Bégin pour la FQME.
Notre slogan? «La fin justifie les moyens», et tous les moyens étaient envisageables. Une autre façon de dire que nous ne nous «enfargions» pas dans les fleurs du tapis. Nous n’avions pas d’horaire, pas de hiérarchie, pas de règles et pas le temps non plus de faire des patiences. Il est normal que nos collègues des autres services qui ont collaboré avec nous aient eu parfois l’impression que nous étions indisciplinés; moi, en tout cas, je l’étais, indiscipliné, et je me suis senti très rapidement comme un poisson dans l’eau au sein de cette escouade.
L’alpinisme m’a appris, entre autres choses, à maîtriser l’appréhension du vide. Face au néant — comme disait Albert Camus —, j’ai toujours éprouvé un désir immodéré de vivre et le goût du risque s’est révélé un moteur puissant dans mon existence. Mais je n’ai jamais été suicidaire. La mort — la mienne ou celle des autres —, je l’ai frôlée souvent et je l’ai vue parée de ses atours les plus effrayants. Ma plus grande réussite, je crois, c’est de ne plus la craindre. Ma longévité, considérant les dangers que j’ai affrontés, est la meilleure preuve que malgré ma tête brûlée j’ai toujours soigneusement calculé les risques que je prenais. Quand je pense à ceux qui se tuent en montagne à cause de leur négligence ou de leur mépris des règles de sécurité, je me dis: les absents ont toujours tort… La vie est absurde, soit; mais il est encore plus absurde de la perdre par manque de jugement, ou par bravade!
Après une hésitation bien légitime et une pensée pour ma femme et mes filles, j’ai saisi l’objet avec précaution pour me rendre compte qu’il s’agissait d’une vulgaire boîte de carton remplie de jetons utilisés pour frauder les téléphones publics. C’était probablement un employé de la Compagnie de Téléphone Bell3 qui avait voulu les faire disparaître en les lançant du pont. La boîte aurait dû se retrouver dans le fleuve, mais après un vol plané, elle avait atterri sur le pylône, tout simplement! Je l’ai fourrée dans mon sac à dos, j’ai fait à mes collègues le signe convenu pour dire «tout est correct», et je suis remonté en m’assurant de ma corde de rappel. Arrivé en haut, dix mains se sont offertes pour m’aider à enjamber le parapet. J’en ai attrapé une, les autres m’ont saisi et soulevé comme si j’étais une plume.
En 1963, en effet, la parole des «hommes de Dieu» était encore bien souvent considérée comme sacrée, mais pour moi, le mécréant, cette parole était, tout autant que celle de l’homme ordinaire, sujette à la malhonnêteté et au mensonge. L’avenir confirmerait malheureusement mon sentiment à l’égard de certains de ces hommes à qui l’on confiait, les yeux fermés, nos secrets intimes et la garde de nos enfants. Même s’ils étaient pour la plupart intègres, généreux et fidèles à leur sacerdoce, certains d’entre eux se sont révélés débauchés et dangereux: j’en ai eu la preuve quelques années plus tard, dans un bureau du ministère de la Justice, en tombant sur des dossiers ultra secrets relatant des gestes de grossière indécence et de violence sexuelle commis sur des enfants par plusieurs de ces «humbles» serviteurs de Dieu…
L’exigence de tenir notre langue se doublait d’une interdiction d’écrire la moindre ligne sur nos activités, afin d’éviter qu’un jour ces documents puissent servir de preuves contre nous en y dévoilant nos méthodes de fonctionnement souvent illégales. Quand on voyait les autres prendre le temps de noircir consciencieusement les pages de leur agenda, en y relatant leur moindre geste (sans parler des rapports d’événement en trois exemplaires), on avait l’impression que la vie était bonne pour nous. (Même si je me souviens que j’avais aimé coucher sur papier des détails de mes enquêtes: ça m’aidait, je crois, à me faire une idée…) Viendrait un temps, néanmoins, où l’absence de documents, censée protéger nos activités sous le sceau du «secret d’État», jouerait contre nous, contre moi… mais beaucoup plus tard.
Je n’ai jamais eu, il est vrai, une mentalité de fonctionnaire qui accomplit jour après jour des mêmes gestes pendant trente ans, jusqu’à la retraite, et qui s’en accommode… C’est pour ça que je n’ai pas eu de pension de la police. Mais même si j’ai vécu la fin de ma carrière policière de façon assez dramatique, j’ai connu au cours de cette décennie plusieurs grands moments où le plaisir, la créativité et la liberté se sont conjugués pour faire de mon travail de policier le contraire d’une corvée. Malgré les soucis, les angoisses, les nuits blanches, les revers, malgré l’ombre, il s’agit d’une période lumineuse de ma vie, où j’ai vraiment eu l’impression d’être utile à la société.
Honnêtement, entre me noyer dans un canal pollué ou être enseveli sous une avalanche dans l’atmosphère raréfiée des hauts sommets, je crois que je choisirais cette dernière option. Dans tous les cas, je suppose que c’est mieux que de finir assassiné par un caïd minable, obnubilé par l’argent et le pouvoir, ou par un pauvre drogué, parasite de notre société.
Ma philosophie était que si on veut avancer dans la vie, on ne peut pas plaire à tous. Il y a bien sûr différentes façons de progresser, mais moi, j’avais déjà choisi la mienne: la loi, c’est la loi!
C'est avec un relais 6B que, dès 1966, nous avons mis Joseph Horvath sous écoute. Celui-ci organisait des junkets, c'est-à-dire des voyages nolisés où les "touristes " devaient débourser 500 $ chacun pour obtenir l'équivalent en jetons de jeu, à Las Vegas. la plupart se faisaient plumer en jouant à la roulette et aux machines à sous et, à leur retour, certains d'entre eux acceptaient de rapporter des revues pornographiques, qui étaient lucrativement, et illégalement, distribuées sur le marché québécois.
Quelques jours plus tard, à la mi-novembre, j'ai eu la visite de Micheline, une jeune fille de dix-huit ans qui venait dénoncer son père pour viol. Bien que mineure (l'âge de la majorité était de vingt et un ans jusqu'en 1971), elle avait l'air d'une adulte, avec sa poitrine volumineuse et son corps musclé. Elle était très belle et avait de l'assurance, mais quand elle ouvrait la bouche on aurait dit une gamine de dix ans.