Claude Rahir

Un matin, il réunit son gouvernement et leur dit : "Mon peuple n'a pas d'écriture, il ne peut lire les poèmes d'amour, il ne peut en écrire! Partez et visitez le Royaume, allez par delà les montagnes, écoutez mon peuple parler, analysez son langage, et vous les musiciens, écoutez les sons et notez leur musicalité, et vous les médecins, palpez les gorges, écoutez les bruits qu'ils font, de la langue et des dents. Notez, notez, et venez me faire rapport."

Dans le village de Songup, je suis entré dans la cour d'une maison que je voulais dessiner. Je m'installe près d'un petit cochon noir endormi dans la paille, derrière une toilette primitive. Comme dans les Andes, et chez ma Grand Mère, "tout fait farine au bon moulin". Reste l'odeur.
Une frêle jeune fille apparaît. Elle est habillée d'une veste et d'un pantalon de fine toile légèrement teintée d'ocre rouge. Elle me sourit, s'approche, et regarde ma feuille et mes crayons. Elle lorgne le cochon, renifle en souriant et me prend délicatement le poignet. Je la suis. Nous voilà ensemble à boire le thé de miel. Je la laisse feuilleter la farde de mes dessins. Elle ne dit rien, elle respire à peine, parfois elle prend une grosse apnée, en tremblant un peu. Elle me regarde les yeux émerveillés, elle rêve...
Je retourne dans le jardin gardé par deux bonshommes en pierre de lave. Gros yeux sous petit chapeaux, mystérieux petits bonshommes (comme leurs grands frères de l'Ile de Pâques) qui me regardent et nous surveillent. Elle s'assied à côté de moi sur le muret du cochon noir. C'est moi qui rêve...
Je sens la chaleur de son regard sur ma main qui dessine. Je m'embrouille les pinceaux... Je réveille le cochon avec une fleur de Cosmos et lui donne le nom de Clément. Elle sourit. Je n'ai jamais entendu le son de sa voix!