5 questions posées à Clément Bosson, à l'occasion de la parution de son livre Larguer les amarres (Presses de la renaissance).
Quelques extraits, à la sélection bien difficile et loin d'être exhaustive !
"Sur le mont Moïse, là haut, avec Amed, j'ai l'impression de parler au ciel. En bas, avec internet, j'ai le sentiment de fouler de nouveau mon paillasson. C'est sans doute cela la mondialisation, retrouver partout son paillasson."
" Je suis un voyageur en quête de rencontres, j'arrive de loin pour me retrouver au plus près, les yeux grands ouverts et le coeur suspendu."
"... En fait, je crois que je suis venue me secouer l'âme pour voir ce qu'il en tombait"...
"... Savoir se rendre fragile pour devenir plus fort...Il faut savoir se mettre à nu pour habiller son âme".
Dehors un Masai traverse la plaine la lance à la main, vêtu d'une tunique rouge. Je le regarde saluer le passage du train ,noble et pur.Devant lui,un troupeau de vaches et quelques chèvres. Si un lion se présente,il le terrasse du bout de sa lance comme ses ancêtres..Sauf que le Masai del'an 2000 n'est plus comme ses ancêtres.Il a vu arriver des hordes de touristes dans sa savane
Avec internet, tout est possible, tout est ouvert et tout est rapide. Alors comme pour le téléphone portable, on devient addict, limite barjot. Perdre la connexion, c'est perdre la raison. On zappe d'un site à l'autre, on lit sans vraiment lire, on regarde sans trop regarder. Bref, on vit à moitié.
Ironie de l'histoire, Pépé : le silence, que tu as tant connu dans ton enfance, est aujourd'hui très prisé. Trop d'appels, on sature. Trop de messages, on se noie. Et on se prend à rêver d'une vie sans sonnerie pour savourer l'instant présent. La prochaine fois que tu iras semer des carottes ou des navets, emmène-moi avec toi. Je te promets de ne pas répondre au portable, même si une ex-copine m'appelle de Miami ou de Shangai. Je mettrai l'appareil en mode "cultivateur".
La vie passe tellement vite, tu sais. Plus on vieillit, plus ça va vite. Je me vois encore à 4 ans marcher avec mon frère dans la plaine. A l'époque il n' y avait pas d'avions dans le ciel. Seules nos pensées volaient à 10 000 mètres d'altitude. Pas de bruit et pas de réseau mais le chant des oiseaux et le hennissement des chevaux. Profite, Clément. Profite, mais pas n'importe comment. Donne du sens à ta vie.
Sur mon Iphone, je peux suivre en détail le trafic aérien du monde entier ou encore identifier les planètes dans le ciel. Je peux aussi ne plus regarder les gens en face de moi. L'écran tactile plutôt que les yeux de cette inconnue dans le métro. Les coups de fil ont pris la place des coups de foudre. Je ne lui dirai pas les mots bleus, je lui ferai un e-mail.
Vers 14 ans j'eus un premier flirt avec une fille aux yeux verts....notre idylle s'arrêta le jour où je la vis descendre la route du village à vélo. En observant ses coups de pédales, je m'aperçus qu'elle n'avait pas de belles jambes. Un motif de rupture tout à fait valable à mes yeux.
J'aime quand tu me fais vivre tes histoires, Pépé. Depuis que nous avons entamé notre conversation, ce ne sont plus des rides que je vois sur ton visage mais les traces des chemins empruntés. Des lignes de vie qui font de toi un sage et non pas un vieux.
Pendant la guerre je fis la connaissance d'une famille de paysans dans un village aux alentours de Grenoble. Ils avaient les yeux noirs. Leur exploitation n'avait plus de feuille. L'insecte (le doryphore) avait tout mangé, même la lueur dans leur regard.
A 20 ans tu partais au front. A 20 ans, je pars en Erasmus. Dire que j'aurais pu ne jamais connaître l'auberge espagnole à cause d'un obus allemand !