Si le problème a une solution, il ne sert à rien de s'inquiéter. S'il n'en a pas, alors s'inquiéter ne changera rien.
Proverbe tibétain
On perd du terrain sur nos poursuivants. Notre course risque de mal tourner. On s’engouffre sous un échafaudage étroit.
Ça passe encore, mais c’est vraiment limite.
Un voile blanc commence à troubler ma vision.
Les deux dobermans et leur maître ne nous lâchent pas.
C’est qu’ils sont endurants, les salopards.
Pan a l’air de tenir le choc. Il le faut. On doit tenir.
La circulation est plus importante dans cette rue. Il y a de nombreux scooters qui zigzaguent entre les minibus, les songkao et autres Ford Contour.
Face à l’incompréhension de l’officier Nakh Sanuh et sous le coup du regard inquisiteur de l’officiel thaïlandais, je donne quelques explications complémentaires :
– Cette femme est une nettoyeuse, une mercenaire travaillant pour les mafias chinoises.
Le visage de l’officiel thaïlandais, déjà crispé, s’assombrit encore un peu plus.
– Elle est connue sous le nom de…
Monsieur de Capienne pousse un léger soupir et se tourne vers moi.
– Li Wei nushi.
Ce nom ne représentant rien pour les deux Thaïlandais, je poursuis :
– Il y a un peu plus de six mois, elle a abattu un de nos ressortissants dans l’enceinte même de notre ambassade et nos chemins se sont croisés ors de l’enquête qui s’en est suivie. J’ai failli y laisser ma peau.
– Je me sens épuisé et j’ai mal partout. Pourquoi tout est aussi vague ?
– Tu as subi un gros traumatisme. Je te résume rapidement la nuit passée puis il faudra te reposer, car, dès demain matin, les journées qui se profilent risquent d’être longues et éprouvantes pour toi. Effectivement, lorsque tu es rentré hier, tu es allé porter du café à un Français réfugié à l’ambassade depuis très peu de temps : monsieur Dulgot. Cet homme a été abattu dans l’ambassade par arme à feu. Nous t’avons retrouvé gisant au sol, dans l’encadrement de la porte d’entrée de la salle du meurtre, une balle de la même arme logée sous la clavicule. Par chance les secours ont pu arriver à temps et…
Trois Thaïlandais sont à notre poursuite. Un petit au visage hargneux, cheveux courts et moustache, portant une chemise bariolée à carreaux ouverte sur un tee-shirt blanc laissant entrevoir une grosse chaîne en or étincelante. Ses deux acolytes ressemblent plus à des dobermans qu’à des hommes. Tête rasée, pantalon de type treillis militaire, débardeur blanc pour l’un et noir pour l’autre mettant en valeur leurs bras de la taille de mes cuisses. Le genre d’homme qui vous casse la tête d’abord puis dialogue ensuite.
– Je crois que tu draguais la petite amie d’un d’entre eux ! me lance Pan dans un souffle.
Il serre les dents. Les larmes coulent toujours.
– … allez à la Cave… la Cave au Dragon Aveugle, le grand… le grand Yang pourra peut-être vous aider.
Il me jette un regard implorant :
– Qu’est-ce que vous lui voulez ? Et… et pourquoi moi, je ne suis plus en lien avec… avec elle depuis au moins deux ans.
– Le Dragon Aveugle ? C’est quoi ça ? aboyé-je plein de mépris et de colère.
– Une sorte de QG où…
– Yang ! je le coupe sans ménagement. Je demande Yang, c’est ça ?
– Le grand Yang, oui. C’est quelqu’un de très…
– T’as intérêt à ce que ces infos soient bonnes !
Sans même réfléchir, je plonge ma main dans ma poche à la recherche de monnaie, tout en bondissant de mon siège. Je jette une poignée de bahts sur le comptoir et m’élance à la suite de mon ami, abandonnant cette jolie femme aux cheveux noirs avec qui je venais tout juste de commencer à discuter. Un dernier regard en guise d’excuse puis je détale tête baissée.
Nous passons la porte comme deux furies. Commence alors un sprint digne des plus grands athlètes mondiaux.
– C’est quoi ce bordel, Pan ?
– Fonce et surtout ne t’arrête pas !
Ah, la Thaïlande !
Ce pays merveilleux aux multiples facettes, appelé le pays du sourire. Il me faudrait des jours pour vous en parler, pour vous le décrire. Ses paysages si variés, ses cultures, ses modes de vie et bien sûr, les hommes et les femmes que nous rencontrons. C’est une terre si différente de ce que nous connaissons en Europe. Leur vision de la vie, du monde, leurs réponses aux évolutions et à la mondialisation sont autant de choses difficiles à comprendre et encore plus à expliquer pour nous, Occidentaux.
– Tu te fous de ma gueule !
Mon revolver est braqué sur son front. Une haine viscérale coule dans mes veines.
– Je ne comprends pas, je vous assure, me répond-il d’une voix tremblante.
L’homme est à genoux, face à moi. Un filet de sang s’écoule toujours de son arcade sourcilière et son œil gauche commence à enfler.
– Je ne le répéterai pas ! Da-Xia, où je peux trouver Da-Xia ?
Je détache chaque mot afin qu’il comprenne bien.
– Je… je vous l’ai dit, elle n’est plus à Macao.
En une fraction de seconde il est debout, se retourne en renversant son verre du coude. Sa chaise tombe, le brouhaha s’estompe. Ses yeux balaient la pièce en un mouvement rapide et saccadé : la porte, derrière moi, la porte. Sa bière se répand sur le comptoir et sur notre carte touristique. Les muscles de son visage se durcissent. Ses pupilles s’arrêtent un court instant sur quelque chose qui est dans mon dos. Il est tendu et dans un souffle me dit en anglais :
– COURS !