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Critiques de Daniel Borrillo (1)
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Penser la GPA

Bien que le docteur Geller au début des années 1980 ait réalisé une soixantaine de GPA légales en France, il a échoué à obtenir une légalisation de son procédé auprès du gouvernement de l'époque. le ministre de la justice, sollicité, Robert Badinter s'était bien prononcé explicitement pour la GPA, mais sa successeure, Michelle Barzach, l'aurait eue en horreur et aurait obtenu du Conseil d'État et d'une décision de justice la dissolution du système d'associations mis en place par le médecin, menant, en 1988, par jurisprudence, à l'interdiction de la GPA en France. Elle l'est toujours.



La contribution de Thomas Perroud met en évidence que le critère de « l'intérêt supérieur de l'enfant » tellement rabâché aujourd'hui n'était absolument pas à l'ordre du jour pour l'interdiction de la GPA en 1988 : les juges qui ont décidé d'annihiler le système du docteur Geller refusent de se mêler de ce qu'ils ont eux-même décrété illégal et laissent le médecin décider seul de ce qu'il doit faire des vingt enfants à naître après la décision de justice : doit-il les rapprocher de leurs futurs parents, si ceux-ci ont déjà versé des arrhes, mais quitte à risquer une condamnation puisque c'est désormais illégal (suspense…), doit-il y renoncer et laisser la femme porteuse décider de la poursuite du projet (garder l'enfant à naître, avorter ou… le donner à la DDASS !!!). Comme quoi, les éternels intérêts des uns et des autres (le droit des femmes, la dignité humaine, l'intérêt supérieur de l'enfant…) semblent bien s'accommoder aux besoin de l'époque… et surtout de l'enjeu !



Aujourd'hui, d'autres pays autorisent la GPA, comme la Belgique, les Pays-Bas, la Russie, l'Inde, l'Iran, l'Ukraine, l'Australie, l'Afrique du Sud, certains États des États-Unis, comme la Californie, etc. Certains États l'autorisent par « altruisme » (les femmes porteuses ne sont pas rémunérées) comme le Canada, le Royaume-Uni, certains États des États-Unis. D'autres l'autorisent implicitement (l'Irlande).



La question de la GPA semble mériter de se lier avec les autres questions de société qui associent le corps féminin et la sexualité (prostitution, IVG), mais aussi l'autonomie et les femmes : il est toujours question de nier leur capacité décisionnelle et leur intégration positive dans la société.



Les différentes contributions plaident en faveur de la GPA en contrant les arguments des anti-GPA. Elles permettent en l'occurrence de subtiliser le débat, par exemple, par une suggestion d'amélioration du lexique. La femme qui porte l'enfant n'étant pas destinée à devenir mère, on devrait parler de femme porteuse. de même, les adultes demandeurs de la gestation ne peuvent prétendre être parents avant l'accouchement sans nier le droit de la femme porteuse à rétractation (et donc à garder l'enfant) : on devrait parler de « commanditaires » ou, plus élégamment, d'auteurs du projet parental. La terminologie « gestation » devrait être réservée au cas où l'ovule n'est pas celui de la femme porteuse. Si tel est le cas, la femme porteuse porte l'enfant et, par son ovule, le conçoit : on devrait parler de procréation pour autrui. Si l'ovule vient de la femme auteure du projet parental et que le spermatozoïde vient de son compagnon, on devrait alors parler de gestation endogène pour autrui. Si les deux gamètes viennent d'une troisième femme et d'un deuxième homme, on parlerait de gestation exogène pour autrui. Ce n'est pas écrit, mais on peut supposer que si l'un des deux gamètes seulement vient des deux auteurs du projet parental, on parlerait de gestation hybride pour autrui. le cas le plus complexe de GPA faisant intervenir deux auteurs du projet parental qui auraient recours aux gamètes d'un homme et d'une femme tiers pour procéder à une fécondation in vitro, et à la gestation par une femme porteuse recevant l'ovule fécondé dans son utérus.



Sur le plan pratique, les auteurs défendent pour la France l'idée d'une GPA réglementée par un institut public et procédant à une gestation rémunérée afin de maintenir un niveau de confort à la femme porteuse. Ils s'opposent en cela, au motif que la GPA repose sur la liberté individuelle et que le contrat n'est pas le moyen ordinaire de l'exercice de la liberté, à la conception libérale qui conçoit la gestation pour autrui comme une prestation de service menant à un contrat entre une femme chargée de mettre au monde un enfant en échange d'une compensation financière. Ils revendiquent la compensation financière pour ne pas paupériser la femme porteuse – qui agirait sinon par « altruisme » – mais également au nom de l'égalité des sexes, l'effort produit par la gestation menant de toute évidence à une indisponibilité du corps qui ne peut, sans prétendre à réduire l'autonomie de la personne, ne pas être financièrement compensée.



Les arguments contre la GPA étant ici prétendus non compris sont évidemment limités, mais assez caractérisés : la réduction de la femme à une mère, niant son autonomie sociétale au bénéfice de son rôle reproducteur au service de la société au point de faire du lien maternel un lien nécessairement, essentiellement, ontologiquement infrangible ; la marchandisation du corps et du vivant et la crainte de l'eugénisme, quitte à confondre un projet de société (l'eugénisme) et le droit de favoriser individuellement une vie saine à un enfant, mais encore la réalité des techniques médicalement assistées à la procréation et au mépris de la considération de l'état des sciences, de la technique et des avancées de la société qui mènent nécessairement à une redéfinition des liens sociaux ; l'exploitation des corps humains qui fait reparaître la haine marxiste du capitalisme, lequel n'a jamais prétendu que l'exploitation salariale devait mener à l'abolition du salariat, mais bien à son encadrement – en quoi si l'exploitation des corps des femmes porteuses est redoutée, c'est plutôt à la régulation qu'il faut procéder qu'à l'interdiction ; le féminisme réaliste-marxiste et radical qui entend utopiquement soustraire le corps féminin à la nécessité de la procréation dans le but d'annihiler la prétendue domination masculine et sociétale sur le corps féminin ; la sempiternelle invocation du « droit à l'enfant » pour décrédibiliser une demande qui n'est jamais formulée par les demandeurs de GPA ; la suspicion de principe que les demandeurs de GPA agiraient pour des motifs non avouables d'exploitation, de marchandisation, etc, alors que les parents qui conçoivent naturellement leur enfant ne sont jamais suspectés de telles choses mais il leur est simplement accordé de vouloir... former un projet parental…



L'ensemble des arguments étant réputés péremptoires et essentiellement inspirés des dogmes de l'Église, de l'héritage marxiste et d'une peur de l'avenir et du progressisme. À noter qu'il est aussi indiqué que plusieurs sondages auraient révélé une très forte approbation de la population française à l'adoption de la GPA pour les couples hétéro et homo, mais que l'opposition sociétale dans le domaine est due à l'action des députés, des gouvernants et du système judiciaire – donc, y compris pour les députés, sans consultation des populations. de là la situation jugée singulièrement rigide de la France sur le sujet (bien qu'il ne soit mentionné ici que des pays ayant adopté la GPA ; et que l'Allemagne, l'Italie, le Portugal, par exemple, pour ne pas citer la Pologne et la Roumanie, qui tous refusent également comme la France la GPA, ne soient pas du tout mentionnés).



Il manquerait à mon sens pour parfaire le tour de cette approche très théorique de la question (mais le titre indique bien qu'il s'agit de « penser la GPA » plus que l'observer…) une contribution sur la réalité des femmes porteuses : qui sont-elles, comment interviennent-elles, comment sont-elles rémunérées, quels rapports entretiennent-elles avec les auteurs du projet parental, qui les sollicite, comment est-il procédé à l'établissement d'un acte de naissance ne les mentionnant pas, comment elles vivent leur grossesse, combien de grossesses pour autrui s'autorisent-elles, selon les pays, les contextes réglementaires, etc.



Une deuxième contribution sur les enfants issus de GPA seraient aussi intéressante : comment leur origine leur a-t-elle été révélée, comment vivent-ils le fait d'entretenir des liens biologiquement inexistants ou réduits avec leurs parents, quels métiers font-ils, comment ont-ils vécu leur scolarité, ont-ils observé des différences avec leurs camarades pour penser leur rôle dans la société, sont-ils tous issus de milieux favorisés, etc.



Mais l'ouvrage est très précis et très documenté, allant jusqu'à des considérations philosophiques entre le fait de se posséder soi-même, de s'appartenir à soi-même ou de disposer de son corps (Gaspard Koenig) ; des détails de décisions et de batailles juridiques (pour la transcription de l'acte de naissance dans le registre civil français, Caroline Mecary ; pour faire interdire la GPA en 88, Thomas Perroud) ; des catégorisations des types de féminismes à l'oeuvre pour ou contre la GPA (Marlène Jouan) ; la possibilité d'obtenir des congés parentaux pour les auteurs du projet parental dans le cadre d'une GPA (Claire Marzo) ; la résistance d'une population à envisager les questions de sexualité en général dans l'évolution de la société (Éric Fassin) ; les théories du droit compatibles avec la GPA (Bertrand Guillarme) ; la décrédibilisation de l'argument fallacieux du « droit à l'enfant » (Raphaëlle Théry).



Marc Pichard suggère, par une adaptation du lexique (mentionnée ici plus haut), et en évacuant l'idée fausse que la GPA serait une idée issue du libéralisme contemporain quand elle était déjà effective au début des années quatre-vingt et qu'elle serait plutôt la continuité de la libéralisation sexuelle des années soixante-dix, de poser les termes d'un débat ouvert : des femmes peuvent-elles vouloir porter pour autrui ? contre de l'argent ? dans quel cadre juridique ?



Quant à Daniel Borrillo, il propulse le recueil par une introduction flamboyante qui débute par la mention de l'autorité de l'OMS faisant de la GPA « une forme d'assistance médicale à la procréation » et qui se poursuit dans un mêlement des diverses approches du sujet (opinion de la population, condition des femmes porteuses, histoire juridique française, liste des termes péjoratifs associés, citations de politiques contemporains outranciers, et résumé des sources culturelles des « contre » : le personnalisme (pour l'invocation de la dignité humaine s'imposant à la libre disposition d'une femme de son corps au nom de ceux de toute l'humanité) et l'anti-libéralisme (contre la marchandisation des corps), divisé entre le catholicisme et le marxisme (contre l'exploitation).



Un recueil bien écrit et bien opportun pour aborder de manière très rationnelle et dépassionnée un sujet de société que l'on ne peut éviter… Mais il est vrai que commencer à argumenter, n'est-ce pas déjà en avoir accepter l'idée ?....





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Les arguments qui m'ont paru les plus intéressants sont les suivants :

- refuser à une femme de disposer de son corps pour procréer est antinomique avec le refus qui lui était fait autrefois de disposer de son corps pour avorter : refuser l'avortement au nom de la vie, invoquer la dignité humaine pour renoncer à la donner – avoir l'obligation de procréer contre l'IVG, se voir interdire de le faire contre la GPA – les femmes ont toujours tort et doivent en permanence justifier de leur capacité à disposer de leurs corps – qui par défaut est donc la possession d'autrui ;



- considérer par principe qu'une femme porteuse est une femme exploitée, influencée et non maîtresse d'elle-même est difficilement compatible avec le mouvement féministe qui revendique l'égalité de droits avec les hommes, dont il n'est jamais prétendu qu'ils sont par principe exploités, influencés et non maîtres de leurs décisions : entre GPA et autonomie sociale, il serait nécessaire de choisir ;



- faire un traumatisme de la séparation de l'accouchée d'avec l'enfant mis au monde :

o serait contraire à la réalité où les femmes porteuses ont plus de difficultés à faire le deuil des parents pour qui elles ont accouché,

o maintient la femme dans un rôle social reproducteur de mère en niant la possibilité de l'absence d'instinct maternel,

o n'a pas de sens juridique puisque l'IVG et l'accouchement sous X valident déjà le fait que « la grossesse n'emporte pas la maternité » ;



- ne pas compenser financièrement la gestation :

o revient à considérer qu'elle n'est ni un travail ni un effort : comment justifier le congé maternité ?

o fait reposer les frais de la gestation à la gestatrice – et accroît sa dépendance financière – ou bien à l'État – faut-il les faire prendre en charge par la sécurité sociale ?

o revient à considérer que la gestation est produite de manière « altruiste », ce qui s'inscrit dans l'habitude prise par la société de considérer l'activité féminine sans valeur marchande (la solidarité, le ménage, l'éducation des enfants, etc.), et maintient leur exclusion du système économique, donc leur absence d'autonomie sociale.



- évoquer la marchandisation des corps,

o celui de la gestatrice, nie son autonomie décisionnelle et valide par principe et sans justification légale sa dépendance à l'égard d'une autorité tierce (le père ? le mari ? l'État ?) ;

o celui de l'enfant, au prétexte qu'il serait acheté, nie le travail et les efforts de la femme porteuse pour ne considérer que son destin : mettre des enfants au monde, sans valorisation sociale ; la compensation financière rémunère au contraire un effort et non l'achat d'un enfant ;

o n'est jamais fait pour évoquer le don de gamètes par un homme.

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