En jardin japonais minutieusement agencé, un art intense du silence méditatif qui suggère bien des pistes poétiques inattendues.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/12/12/note-de-lecture-comme-un-morceau-de-nuit-decoupe-dans-son-etoffe-deborah-heissler/
Publié en 2010 chez Cheyne Éditeur, « Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe » est le deuxième recueil de Deborah Heissler. Récompensées par le Prix international de poésie francophone et par le Prix du poème en prose, ces cinquante pages somptueuses se répartissent en quatre mouvements, Kaimamiru (« Entrevoir »), Seijaku (« Silence »), Seishiga (« Image fixe ») et Yakei (« Scène de nuit »). Même si le recueil a été en partie écrit lors d’un séjour en Chine, à l’Université Xiangtan du Hunan, il se situe, comme les titres des quatre composantes – mais plus encore la tonalité thématique méticuleusement agencée – l’indiquent, au confluent d’un art dense de la forme courte japonaise (celui qui s’étend bien au-delà du seul haiku, comme le rappelait Roland Barthes dans sa « Préparation du roman »), ancré toujours, en essence ou en apparence, dans le fait naturel, matériel s’il en est, et d’un maniement judicieux et songeur du silence – faussement ou authentiquement contemplatif – qui prolonge ceux travaillés par Yves Bonnefoy, André Du Bouchet ou Philippe Jaccottet (l’autrice ayant consacré en 2005 sa thèse de littérature à ce dernier : « Psyché ou l’évidence de l’invisible dans l’œuvre de Philippe Jaccottet. Une poétique de l’impossible comme mise à l’épreuve du signe »).
On sera nécessairement frappé par la beauté de ces agencements qui jouent avec un jardin japonais plus psychologique et métaphorique qu’il n’y paraît d’abord (on songera peut-être, depuis un angle poétique fort différent pourtant, au magnifique « Photogénie des ombres peintes » de Sandra Moussempès), mais qui laissent sourdre beaucoup d’inattendu dans la méditation apparente. Jeux de souvenirs, résonances intimes, certainement et bien sûr, mais aussi menées plus souterraines, plus intrigantes encore, presque subversives par instants (dans certains éclairs de silence significatif, les « Géographies de steppes et de lisières » d’Anna Milani ne sont peut-être pas si loin). : il y a ici à l’œuvre un art surprenant d’instiller le doute et l’hésitation salvatrice au cœur même de l’innocence et de la certitude.
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