Citations de Deborah Heissler (23)
Garde le silence
tu as longuement parlé
Au-dessus des arbres et des près, à l’instant même où cesse la pluie, on entend recommencer le chant de la fauvette à la fois liquide et limpide – goutte-à-goutte obstiné au coeur des feuilles. Ostinato.
Et puis
les nuages, bas, épais, leurs trouées mobiles sur la toison des prairies, jusqu’à l’horizon. Louange de l’eau et de la lumière, emportée si vite par le vent. Versatile, atmosphérique, l’esquisse de l’air cru et blanc, dans les plis de l’herbe comme un cantique.
SEIJAKU / Silence, extrait.
YAKEI
Scène de nuit
Ce n'est plus l'heure de réfléchir. Il ne me reste plus aujourd'hui que le souvenir de cet immense jardin. Les rouges sont un feu dans la terre et les bleues, une nuit d’avant la nuit.
La longue chaîne de bleus qui porte
jusqu'à l'horizon, à la fois proche,
à la toucher, et tellement lointaine,
dans le froid qui tombe. Cela se
fait presque sans bruit, sans aucun
déchirement.
Les montagnes sont bleues avec des
voiles de brume froide. Un bleu
nouveau a fleuri soudain sur l'eau
vivante. Tout ce grésil sous le ciel
gris, ces heures qui se fanent une
à une derrière moi.
Portée par cet air frais, j'avance
doucement dans la paix.
(extrait de "Seishiga - Image fixe") - p.39
et cette sorte aussi de fleur ouverte
grande ouverte
à partir du cœur
comme si derrière ses premiers mots
une figure d'étrangère
d'exilée peut-être bien
insaisissable
ou encore seulement insaisie
parcourait l'horizon
pensive, touchait
aux objets oubliés
dans le tableau du peintre
(extrait de "Quelques figures simples") - p. 59
SEIJAKU
Silence
Je me souviens / / le bleu des nues d'orage et celui de la source, le bleu de la sauge fait pour être froissé dans la main.
Blanche
Ce bleu. D'un seul trait égal et sans nuance. Ten-
dant à l'absolu. Énigme de l'herbe dans ta main.
Tu as gorgé mon œil de basalte, soufflé la neige
sur mes pas.
Et là
soudain sous les yeux, les fleurs.
Ailleurs le souffle lumineux de la
brume et le ciel qui offre lui aussi
le champ d'un illimité, d'un lieu de
conversion, point de rencontre où
se trouvent tous les contraires.
Les fleurs
en explosion de couleurs, de rouge
et de pourpre. Leur constellation
sur la terre, le mouvement de leur
don vers la terre, et déjà
on s'approche d'un corps, de la peau.
Et il me semble que la terre pour-
rait ici s'inverser, acquérir la densité
de lignes limpides et singulières.
(extrait de "Seishiga - Image fixe") - p. 46
Ce n'était plus là ni son écriture, ni même sa main, chaque ligne avait trahi l'inscription de celui qui avait su lui dire "tu", infiniment, sous la lampe, alors que le jour décline.
Vides ensuite, très vite, les heures creuses de la
nuit qui couvrent de confusion le silence profond
de quelques marteaux – Sensiblement. Fixement.
Sans maître désormais.
Toi rien, puis toi exactement. Plus rien de toi que
nous. Tu – à la chute du jour, non moins brûlante.
Trêve des corps précipités et bleus. Je ne sais ni
quelle étreinte, ni même l'image, qui pourraient
les prolonger.
L’image est fixe sur la rétine. (...) Tout était devenu chant dans le froissement de l’herbe. La courbe du chemin sous les nuages ici, et là les touches de terre sombre, le vert et le gris, le rose déchiré de la glaise et du gravier sous la pointe des doigts. L'accord surtout était celui de l’ombre et du gazon, feutrés, jusqu'au plus profond du ciel où frémit un battement de plumes heureuses.
JANVIER QUARANTE-SEPT
Blanche. Puis les platanes là-bas sur la place —
il y en avait un surtout qui étendait ses branches
au-dessus de la grille, ses feuilles naissantes,
s’ouvrant puis se fermant qui s’écarquillent,
comme de grandes mains avides tenant l’ho-
rizon entier.
Dans peu de temps, il serait en fleurs, en jeu
d’ombre et de couleurs, qui se déchirent.
Jeux légers d’ombre et de lumière.
souffle
brûlé de tous les souffles,
allant le souffle amer
de la bouche dévorée, âcre
fruit
l’orée trop belle,
rose
aux lèvres de l’aimée
Tu
Je suis resté saisi à deux doigts d’elle, du bouquet d’ombre que les buis-sons depuis le jardin dandinent sur les murs, de la méridienne, des lettres, du presse-papier et de son journal — le poète s’adresse à sa femme —, ou d’autres passages réunis au fil des jours « Bribes de mondes égrenés qui explosent nus entre ses doigt ». (...)
Tôt ce matin
des touches de terres sombres
Une fontaine murmure sur la paume de tes mains
un désordre d'aube et de feu
Paysages. Corps lyriques, petites langues. Montagnes douces et dures. Jouir et saillir. Sourdre.
Ce point de création par excès de nuit - paysage où nul songe n'aura lutté.
Silence
C’est d’abord un nuage d’abricotiers en fleurs, jaunes ou ivoire, comme mille petits papillons mêlés à l’herbe fraîche, mobiles, dans la lueur des lampes quand la nuit monte. Fragments de rêves. On voit le soleil rouge descendre sur le feuillage, comme une énorme masse d’acier incandescent.
Puis il y avait eu les arbres un peu plus loin dressant leur ossature fragile, la scabieuse de laine bleue comme un regard et ce tumulte de lait dans la pierre profonde, le gémissement enfin de l’air battu d’un vol de ramiers bleus – défi de soie peut-être bien, ou de cuir craquelé.
Tout était devenu chant. La courbe du chemin sous les nuages ici, et là les touches de terre sombre, le vert et le gris, le rose déchiré de la glaise et du gravier sous la pointe des doigts. L’accord surtout était celui de l’ombre et du gazon, feutrés, jusqu’au plus profond du ciel où frémit un battement de plumes heureuses.
Dans ces rêves aussi il y a des noyers noirs, et puis une forêt qui s’ouvre en coup de vent. Rien. Plus rien d’autre que le bruit du vent obstinément.
Lever de lune
Et puis l’averse tout près qui continue d’enjamber les toits dans une tranquillité tremblante. Dans le silence, ou plus exactement dans un espace où les bruits s’éloignent et s’étagent.
alors admettre que la nuit décline
- /
et les premiers oiseaux que la clarté
dissémine
cet instant rêvé gris
ocre
approximatif
le souffle
du jour sur les plis de l'herbe
comme un cantique
voilà peut-être ce qui est désiré
le ciel sous moi est enclos
qui m'englobe
en silence
lent
qui se dépose
et plie
L'horizon comme un cheminement sans fin.