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Citation de Partemps


Je connais un portrait peint par Le Sueur ; vous jureriez que la main droite est hors de la toile, et repose sur la bordure. On vante singulièrement ce merveilleux dans la jambe et le pied du Saint Jean-Batiste de Raphaël, qui est au Palais-Royal. Ces tours (le l’ail ont été fréquents dans tous les temps et chez tous les peuples. J’ai vu un Arlequin, ou un Scaramouche de Gillot, dont la lanterne était à un demi-pied du corps. Quelle est la tête de La Tour autour de laquelle l’œil ne tourne pas ? Où est le morceau de Chardin, ou même de Roland de La Porté, où l’air ne circule pas entre les verres, les fruits et les bouteilles ? Le bras du Jupiter foudroyant d’Apelle saillait hors de la toile, menaçait l’impie, l’adultère, s’avançait vers sa tête. Peut-être n’appartiendrait-il qu’à un grand maître de déchirer le nuage qui enveloppait Enée, de me le montrer comme il apparut à la crédule et facile reine de Carthage :

Circumfusa repente
Scindit se nubes, et in aethera purgat apertum.
Virg. Æneid. lib. I, v. 590.

Avec tout cela, ce n’est pas là la grande partie, la partie difficile du clair-obscur. La voici :

Imaginez, comme dans la géométrie des indivisibles de Cavalleri [3], toute la profondeur de la toile coupée, n’importe en quel sens, par une infinité de plans infiniment petits. Le difficile, c’est la dispensation juste de la lumière et des ombres, et sur chacun de ces plans, et sur chaque tranche infiniment petite des objets qui les occupent ; ce sont les échos, les reflets de toutes ces lumières les unes sur les autres. Lorsque cet effet est produit (mais où et quand l’est-il ?) l’œil est arrêté, il se repose. Satisfait partout, il se repose partout ; il s’avance, il s’enfonce, il est ramené sur sa trace. Tout est lié, tout tient. L’art et l’artiste sont oubliés. Ce n’est plus une toile, c’est la nature, c’est une portion de l’univers qu’on a devant soi.

Le premier pas vers l’intelligence du clair-obscur, c’est une étude des règles de la perspective. La perspective approche les parties des corps, ou les fait fuir, par la seule dégradation de leurs grandeurs, par la seule projection de leurs parties, vues à travers un plan interposé entre l’œil et l’objet, et attachées, ou sur ce plan même, ou sur un plan supposé au delà de l’objet.

Peintres, donnez quelques instants à l’étude de la perspective ; vous en serez bien récompensés par la facilité et la sûreté que vous en retrouverez dans la pratique de votre art. Réfléchissez-y un moment ; et vous concevrez que le corps d’un prophète enveloppé de toute sa volumineuse draperie, et sa barbe touffue, et ses cheveux qui se hérissent sur son front, et ce linge pittoresque qui donne un caractère divin à sa tête, sont assujettis dans tous leurs points aux mêmes principes que le polyèdre. À la longue, l’un ne vous embarrassera pas plus que l’autre. Plus vous multiplierez le nombre idéal de vos plans, plus vous serez corrects et vrais ; et ne craignez pas d’être froids par une condition de plus ou de moins ajoutée à votre technique.

Ainsi que la couleur générale d’un tableau, la lumière générale a son ton. Plus elle est forte et vive, plus les ombres sont limitées, décidées et noires. Éloignez successivement la lumière d’un corps, et successivement vous en affaiblirez l’éclat et l’ombre. Éloignez-la davantage encore, et vous verrez la couleur d’un corps prendre un ton monotone, et son ombre s’amincir, pour ainsi dire, au point que vous n’en discernerez plus les limites. Rapprochez la lumière, le corps s’éclairera, et son ombre se terminera. Au crépuscule, presque plus d’effet de lumière sensible, presque aucune ombre particulière discernable. Comparez une scène de la nature, dans un jour et sous un soleil brillant, avec la même scène sous un ciel nébuleux. Là, les lumières et les ombres seront fortes ; ici, tout sera faible et gris. Mais vous avez vu cent fois ces deux scènes se succéder en un clin d’œil, lorsqu’au milieu d’une campagne immense quelque nuage épais, porté par les vents qui régnaient dans la partie supérieure de l’atmosphère, tandis que la partie qui vous entourait était immobile et tranquille, allait à votre insu s’interposer entre l’astre du jour et la terre. Tout a perdu subitement son éclat. Une teinte, un voile triste, obscur et monotone est tombé rapidement sur la scène. Les oiseaux même en ont été surpris, et leur chant suspendu. Le nuage a passé, tout a repris son éclat, et les oiseaux ont recommencé leur ramage.
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