Didier Voyenne

Anakuklein ! Revenir en sens inverse. Quelle tentation ! Repartir dans le ventre de sa mère, reprendre tout à zéro, effacer et recommencer. Qui n’en n’a pas rêvé un jour ? Je ne crois pas ceux qui disent qu’ils ne regrettent rien et qui affirment que, s’ils avaient la possibilité de tout changer ils feraient les mêmes choix, emprunteraient les mêmes chemins. Anakuklein. Remonter à la source de la rivière de sa propre vie, comme ça d’un coup, sans avoir à lutter contre un courant adverse qui vous rejette sur les rives sans ménagement, qui vous refoule à chaque effort sans compassion, qui vous épuise et le corps et l’âme sans pitié, qui finit par vous faire abandonner la lutte et qui vous remet dans le sens qu’il a autrefois décidé de vous faire suivre. Reprendre tout au début ! Apprendre de nouveau, apprendre du nouveau, sans oublier le savoir déjà acquis. Gagner du temps et de l’efficacité grâce à l’expérience que l’on a accumulée. Éviter les erreurs stupides, les décisions à l’emporte-pièce, les folies irréfléchies dont on connaîtrait par avance les suites malheureuses. Au contraire, foncer sans crainte sur les chemins à découvrir en oubliant les conformismes, sans avoir peur de l’avenir, sortir des voies toutes tracées, nanti d’une force et d’une connaissance doublées. Bien sûr, n’aimer que ceux qui le méritent et le leur dire, débusquer les salauds et leur dire qu’ils le sont, donner parce que l’on est riche de la vie, de sa vie. Se réincarner de son vivant en quelque sorte et dans le seul animal que l’on aime et que l’on connaisse vraiment : soi-même.

Le narrateur
Vous vous dites « Mais, à quoi il sert celui-là ? ». Eh bien, je suis le narrateur. Un narrateur de théâtre, quelqu’un qui raconte une histoire, qui interprète tous les personnages, un conteur quoi ? C’est rare ! Donc, pas besoin de comédiens, de décors, d’accessoires. Pratique et économique, non ? Il est fort, l’auteur, d’avoir imaginé un spectacle aussi sobre pour un comédien comme moi, je veux dire, un vrai feignant. En plus, pas de problème pour partager la recette, c’est tout bénéf pour moi, ça !
Et il sourit bêtement.
Le narrateur
Je m’égare, je m’égare ; bien sûr qu'il n'y a, n’aura pas que moi dans cette pièce. Bon, il me faut vous faire découvrir certaines choses utiles, les lieux, les personnages, c’est indispensable. Et pourquoi c’est indispensable ? Parce que, selon vous, il faut comprendre où l’action se passe, à quelle époque, dans quelles circonstances, avec quels personnages principaux mais aussi quels autres rôles, les utilitaires, comment ils s’appellent, comment ils sont habillés, quels sont leurs liens. Vous avez tout faux, ce n’est pas indispensable, c’est inutile.

 Ce n’est pas parce que la presse et les milieux littéraires le donnent favori qu’il faut nécessairement voter contre, ajoute Isabelle Béjard, cette éminente sociologue qui aime à jouer la tempérance, et, à l’inverse, voter pour.
 Beau jugement de Salomon, Isabelle, fait remarquer, avec un brin d’ironie, le flamboyant Amaury de Tayac.