La poésie amoureuse et la poésie guerrière des toaregs
Le présupposé dont se nourrit le tourment qui le pousse alors vers le Maroc semble lui échapper totalement:il voudrait faire pour les Marocains ce qu'il souhaiterait qu'on fît pour lui s'il était à leur place,mais se soucie-t-il de ce que les Marocains veulent,à la place qui est la leur?
Je n'ai pas de raison de cacher mon admiration pour le savant qu'il a été,et peut-être ai-je toujours eu un faible pour ceux que dévore une secrète misère,quand ils ont eu la force de ne pas s'y abimer.
Quand mes pauvres voisins veulent me voir,ils me trouvent;le reste du temps,je suis seul avec la meilleure société,le bon Dieu,tête à tête dont on ne se lasse pas.
[génération combinatoire vs. choix]
Mais faire des mathématiques ne consiste pas simplement à combiner des signes, pas plus que l’écriture ne consiste à combiner des lettres. Autant d’activités qui, quelque place qu’elles fassent à des jeux combinatoires, ne s’y réduisent certainement pas, sauf éventuellement lorsqu’elles sont pratiquées par un ordinateur. Mais ce constat répété n’est peut-être qu’une réédition d’une célèbre réflexion de Paul Valéry : « Il faut être deux pour inventer. L’un forme des combinaisons, l’autre choisit, reconnaît ce qu’il désire, et ce qui lui importe dans l’ensemble des produits du premier. » À quoi il ajoutait : « Ce qu’on appelle “génie” est bien moins l’acte de celui-là - l’acte qui combine - que la promptitude du second à comprendre la valeur de ce qui vient de se produire et à saisir ce produit. « Je ne suis pas sûr de savoir ce qu’il faut entendre par « génie », mais si le mot est supposé subsumer ce qui caractérise le grand mathématicien, le grand joueur (d’échecs, d’awélé, de go, etc.), le grand écrivain ou le grand penseur, alors l’aphorisme de Valéry résume parfaitement tout ce que je n’ai cessé de dire dans ce livre. »
Sur son visage,le temps,l'ascèse,le feu du désert ont creusé,immatériel et pérenne,un sourire qui n'est plus de braise mais de lumière.
La machine écrivante que Calvino faisait mine d’appeler de ses vœux a réapparu dans son œuvre quelques années plus tard, devenue un objet de fiction. […] Voyons quelle est ma réaction psychologique lorsque j’apprends que l’acte d’écrire n’est qu’un processus combinatoire entre des éléments donnés : eh bien, ce que j’éprouve instinctivement, c’est une sensation de soulagement, de sécurité. [...] Face au vertige de l’innombrable, de l’inclassable, du continu, je me sens rassuré par le fini, le systématique, le discontinu. [...] Voilà que ma prise de position, que je voulais provocante et même profanatrice, laisse soupçonner qu’elle est au contraire dictée par une sorte d’agoraphobie intellectuelle ; comme un exorcisme qui me défendrait des tourbillons qu’engendre sans cesse la littérature.
Nous verrons cependant plus loin, à la suite de Leibniz, qu’une telle conception de l’acte d’écrire n’est qu’une protection bien illusoire contre le vertige de l’innombrable.
Là, le lecteur, qui aura déjà eu du mal à accepter l’idée que le mathématicien, le joueur et même le devin seraient tous des cousins, va peut-être s’écrier que c’est moi qui lui raconte des histoires et qu’il y a tout de même un abîme entre la littérature, même sous l’humble forme de sa variante « narrative », et les boniments des diseurs de bonne aventure. Eh bien ! il y aura eu au moins un romancier - d’un genre un peu particulier, je l’admets, puisqu’il était membre de l’Oulipo, une institution que nous retrouverons plus d’une fois sur notre route - pour ne pas être de cet avis : dans sa préface au Château des destins croisés, Italo Calvino raconte avoir utilisé les cartes de tarot comme « machine narrative combinatoire »