Comme la mère, à la saison des catalogues, qui, après le dîner, nettoyait la toile cirée, la séchait soigneusement puis s'asseyait, les 3 suisses d'un coté, la redoute de l'autre, et feuilletait, comparait, annotait, plusieurs soirs de suite avant de passer commande de quelques bricoles.
Keiko attend.
Les bourgeons poisseux ont percé l'écorce des pruniers puis celle des cerisiers. Des pommes de l'automne, il ne reste plus rien, ni des herbes de l'année passée. Mais l'Aïeule n'a pas franchi le pont de bois.
Elle avait bavassé un moment sur les filles qui ne veulent pas de la campagne, des étourdies ne pensant qu'a la ville, des pas grand-chose qui ne savent que traîner au lit, nommant l'une ou l'autre pour justifier son opinion, oubliant qu'elle en avait découragé plus d'une à force de remarques acides, de reproches incessants.
Parce que, pour survivre, elle avait eu besoin d'espérer, tout au long de la route qui, de cols désolés en vallées bourbeuses, les menait en exil, elle avait rêvé d'un homme aux mains douces ; lui les a calleuses, aux ongles cornés, des mains de paysan. Elle avait rêvé d'un homme qui la protègerait. Lui est un faible, fuyant dans l'alcool la peur d'affronter sa mère, trop lâche pour s'imposer dans sa propre maison. Même dans la chambre qui est la leur, il ne s'est pas soucié de la laisser mettre son empreinte. Une chambre de vieux garçon, des murs au papier jauni, ni coussins, ni tentures, ni tapis.
L'occasion, le moment de se jeter à l'eau : il avait lancé sa petite phrase longuement méditée. La voix trop basse, les mots trébuchants. Pour rien. Elle n'avait pas entendu ou pas compris; ou pas voulu comprendre. En tout cas, ça n'avait pas suivi le cours qu'il voulait. Tous les mots qu'il avait ressassés durant ses insomnies ou ses heures de travail solitaire s'effaçaient, fuyaient comme des anguilles. Les arguments s'entrechoquaient dans son cerveau sans qu'il pût retrouver la logique imparable et convaincante qui aurait dû la terrasser.