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4.8/5 (sur 5 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Rambouillet , le 16/02/1815
Mort(e) à : Paris , le 19/10/1887
Biographie :

Edmond Texier, né le 16 février 1815 à Rambouillet et mort le 19 octobre 1887 à Paris, est un journaliste, poète et romancier français.

Source : https://www.retronews.fr/journal/les-annales-politiques-et-litteraires/30-octobre-1887/119/1134139/5
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Citations et extraits (9) Ajouter une citation
L'art de causer est perdu depuis longtemps déjà chez nous, non que l'esprit ne soit aussi vif, aussi primesautier qu'autrefois, mais on ne sait plus écouter, et par conséquent on ne sait plus répondre.
Quand trois personnes sont réunies, il y en a toujours une qui débite son monologue pendant que les deux autres préparent le leur.
L'envie de briller, de poser (un vilain mot et une vilaine chose), de se faire remarquer, a singulièrement modifié les relations sociales.

Le salon, tel qu'on le comprenait autrefois, réunissait un certain nombre d'hommes et de femmes qui se connaissaient, se convenaient et se préoccupaient moins de briller que de se distraire.

C'était une sorte de tontine intellectuelle où l'on se risquait au petit bonheur, et où l'esprit, se recrutant à la ronde, se multipliait par le contact.
Nous avons encore des fêtes, des réunions de trois cents personnes, mais le salon proprement dit n'existe plus que dans le souvenir de la génération qui nous a précédés.

Aujourd'hui un maître de maison donne des bals parce qu'il a des filles à marier, et que la contredanse est, après M. de Foy, le meilleur agent matrimonial.
Le piano est ouvert, les jarrets sont tendus ; trémoussez-vous, aimables bergères.
Le quadrille peut vous conduire à la mairie.
Il ne faut pas oublier non plus les soirées à grand orchestre, et qui n'ont pour but que de mettre en relief la vanité de l'amphitryon.
Cinq cents invitations ont été lancées dans toutes les directions.

Au jour dit, les salons regorgent de gens arrivés des quatre points cardinaux et qui ne se sont jamais vus.

Les sièges réservés aux femmes sont entassés sur plusieurs rangs dans toute la longueur de la pièce, et ne laissent aucun espace où l'on puisse circuler.

Le flot des invités grossissant toujours, on se heurte, on se bouscule, on marche sur les pieds du voisin, on reçoit un coup de coude dans la poitrine, et la soirée se passe à offrir et à recevoir des excuses.

O fortune inespérée ! vous venez d'apercevoir une femme de votre connaissance, mais elle est internée à l'autre bout du salon pendant que vous êtes vous-même bloqué dans une encoignure.

Vous ne pouvez donc ni lui parler ni la saluer, et vous déplorez cette mode toute nouvelle qui, parquant les hommes d'un côté et les femmes de l'autre, sépare les deux sexes par un cordon sanitaire de chaises et de fauteuils.

De quoi s'agit-il, en somme, et quel est le prétexte de cette réunion, qui ne serait pas complète si tous les invités pouvaient pénétrer dans l'appartement ? de la représentation d'un proverbe, ou d'une scène lyrique chantée par les artistes italiens. Dans l'un ou l'autre cas, les trois quarts des auditeurs n'entendent pas un mot de ce qui se dit ou de ce qui se chante, et, après quatre heures passées au milieu d'une atmosphère étouffante, chacun se retire en déclarant que la soirée a été magnifique, splendide, admirable, et en ajoutant tout bas qu'il s'est considérablement ennuyé.
Tels sont les plaisirs dont se contente la société parisienne, plaisirs de convention, désœuvrement factice où le bâillement se dissimule sous un sourire satisfait dont personne n'est dupe, sauf celui qui paye les violons.

Franchement, il ne faut pas trop en vouloir aux jeunes gens s'ils s'exilent volontairement de ces banales soirées, où un mannequin revêtu d'un habit noir vaut tout autant qu'un homme de génie, où une poupée de Nuremberg tiendrait tout aussi convenablement sa place qu'une femme spirituelle.

Le malheur est qu'à côté de ce que l'on nomme le monde, il y a un autre monde qui est l'ennemi-né du premier, et qui profite de ses fautes et de son inintelligence pour recruter les transfuges.

Quand on s'est cordialement ennuyé au faubourg Saint-Honoré, on va se distraire derrière la Chaussée-d'Antin.
Là les réunions ne sont ni roides ni gourmées, et l'on pourrait même leur reprocher d'exagérer la qualité qui manque aux salons d'aujourd'hui.
Les femmes et les hommes ne forment pas deux camps séparés comme les choristes à l'Opéra.
On cause beaucoup, on rit beaucoup, et il arrive tout naturellement qu'entre la bonne compagnie qui ennuie et la moins bonne qui amuse, on ne choisit pas la meilleure.
Ce monde à part qui a eu ses historiens, ses écrivains et ses poètes, gagne du terrain chaque jour, et c'est un peu la faute de tout le monde.
Je sais bien qu'on n'a encore aujourd'hui qu'une médiocre estime pour le panier de pêches à quinze sous, mais laissez faire le temps, et, si l'on n'y prend garde, vous verrez qu'il ne se trouvera bientôt plus personne pour apprécier la fraîcheur, la beauté et la finesse des pêches de qualité supérieure.
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Je n'entreprendrai pas la description du splendide spectacle qui s'offrait à nos regards de tous les points de l'horizon. Le soleil, s'élevant doucement d'un océan de vapeurs, teignait d'un rose pourpre le sommet de ces milliers de pics dont la base flottait encore dans le brouillard ; au-dessus des quatorze lacs, qui paraissaient glacés, les nuages se condensaient en flocons d'écume et produisaient l'effet de lacs aériens et flottants dont les lacs terrestres n'eussent été que les reflets.

La terre, vue de cette hauteur et tout à coup inondée de lumière, n'était plus qu'une surface plane et unie, coupée de loin en loin par quelques rugosités insignifiantes formées par les villes. Quant aux maisons, elles semblaient tout au plus des joujoux de Nuremberg rangés sur un tout petit espace par la main d'un enfant.

Je n'insisterai pas sur la magnificence de ce panorama, l'un des plus étendus et le plus beau peut-être de toute la chaîne des Alpes, j'ai trop le sentiment de mon impuissance ; je ne crois pas d'ailleurs que la plume ni le pinceau puissent rendre avec exactitude la sévère majesté de ce grand tableau, dans lequel l'homme et ses œuvres disparaissent complètement pour céder toute la place à la nature.
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Ces pages ne sont sorties ni d'un accès de misanthropie, ni d'un excès d'amertume ; elles contiennent le résumé d'une observation froide et patiente, et, si leur conclusion paraît rigoureuse, il faut s'en prendre à la gravité du mal, à cette logique inflexible, qui est la menace animée et comme la première sanction des faits.

La question des femmes grossit de jour en jour ; elle est devenue la véritable question sociale.

Quand le Concile de Nicée mettait en doute que la femme eût une âme, il discutait une sottise double comme toute sottise théologique.
Non seulement la femme a une âme, mais elle est l'âme même, la grande âme vivante, souffrante et triomphante de l'humanité ; elle est l'instrument vibrant sur lequel affleure et chante toute la poésie d'ici-bas.

Dans une société digne de ce nom, la femme est le premier et le plus indispensable élément. Sans elle, l'humanité ne peut que pourrir sur place. Elle est le sel de la terre, la préservation mystérieuse, l'obstacle contre lequel se brise le flot montant de la barbarie, à ces époques climatériques où le progrès moral a de brusques reculs dans les appétits matériels.

(en 1877)
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Permettez-moi de vous présenter maintenant l'homme répandu.
L'homme répandu est une victime des relations sociales, qu'il ne faut pas confondre avec l'homme à la mode.

L'homme à la mode donne le ton, impose ses fantaisies, et ne s'astreint point aux conventions du monde.

C'est un premier rôle envers lequel on ne saurait se montrer trop indulgent ; mais en revanche, on exige beaucoup de l'homme répandu, qui joue les grandes utilités sur le théâtre des salons parisiens.

Celui-là doit avoir un estomac toujours prêt, une jambe toujours prête, un bras toujours arrondi, un sourire toujours en fleur : il n'existe qu'à cette condition.

Dans la saison des quadrilles, il reçoit quarante invitations par semaine, et il n'a pas le droit de manquer à une seule ; on compte sur lui comme sur le pianiste.

A ce jeu-là, il dépense vingt francs de coupé par soir, et trois paires de gants, mais il est un homme répandu.

Il est reçu chez tous les saints du calendrier ; il connaît toutes les lettres de cet aristocratique alphabet qui voltige à l'horizon de toutes les chroniques.

Vous le rencontrerez chez la belle Mme d'A., chez la charmante Mme de B., chez la spirituelle Mme de C., et ainsi de suite jusque chez la ravissante Mme de Z. inclusivement.

Il est le même soir au faubourg Saint-Germain, au faubourg Saint-Honoré, à la Chaussée-d'Antin et dans les réunions du monde officiel.

Il possède au plus haut degré l'art si difficile d'entrer dans un salon et l'art encore plus difficile d'en sortir.

Il s'avance le pied sûr, l'air souriant, salue la maîtresse et le maître de la maison, adresse un compliment aux femmes, donne une poignée de main aux hommes, fait le tour du cercle et, revenu vers la porte, gagne à pas de loup l'antichambre pour aller porter dans un autre salon ses salutations, ses compliments et ses poignées de main.

Partout où il va, il ne reste guère qu'un quart d'heure, mais il fait un si bon emploi des minutes que tout le monde l'a vu, lui a parlé, et que chacun peut se dire le lendemain en récapitulant les souvenirs de la soirée de la veille : « Il était là. » C'est tout ce que veut l'homme répandu.
C'est pour qu'on puisse dire : « Il était là, » qu'il se multiplie, qu'il se coupe en quatre et qu'il se résigne à passer la moitié de la soirée dans trois ou quatre salons, et l'autre moitié dans la voiture qui le transporte du bal de celui-ci au bal de celui-là.
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Je me demande comment il ne s'est pas encore rencontré un littérateur ingénieux qui ait songé à ouvrir un cours public dans lequel il eût enseigné aux fruits-secs de toutes les professions, les mathématiques du roman.
Qu'il me soit permis de donner ici un exemple de ce procédé de littérature.
J'ouvre un des derniers ouvrages de M. de Lamartine, Raphaël, que j'ai là sur ma table, et je vois que le grand écrivain débute ainsi :

« A l'entrée de la Savoie, labyrinthe naturel de profondes vallées qui descendent comme autant de lits de torrents (…)
A gauche, le mont du Chat dresse, pendant deux lieues, contre le ciel, une ligne haute, sombre, uniforme, sans ondulations à son sommet.
On dirait un rempart immense nivelé par le cordeau.
A peine à son extrémité orientale, deux ou trois dents de rochers gris interrompent la monotonie géométrique de sa forme et rappellent au regard que ce n'est pas une main d'homme mais la main de Dieu qui a pu jouer avec ces masses.
A travers cette végétation touffue et presque sauvage on voit blanchir de loin en loin des maisons de campagne, surgir les hauts clochers de pauvres villages, ou noircir les vieilles tours des châteaux crénelés d'un autre âge, etc., etc. L'automne était doux mais précoce, etc. »

Ce début est simple et grandiose : on sent tout de suite l'artiste et le poëte, mais, j'en demande bien pardon à M. de Lamartine, son début manque de truc façon roman-feuilleton.
Un romancier populaire eût animé la scène à l'aide de trucs, il eût par exemple commencé ainsi :

« C'était par une belle soirée d'automne (truc de l'entrée en matière), les feuilles, frappées par la gelée et colorées un moment de teintes roses, pleuvaient des cerisiers et des châtaigniers (…)
La nature semblait mourir comme meurent la jeunesse, la beauté et l'amour, etc., etc. (truc de la description dramatisée).
Tout à coup un homme parut sur le mont du Chat ; il traversait un sentier étroit, pierreux, escarpé. D'où venait-il ? Où allait-il ? (truc de la préparation) nul ne le sait (truc du mystère).
Il était vêtu (trois colonnes sur son costume, sa figure, ses cheveux, ses mains, son bâton et son portemanteau).
Mais en examinant cette ombre noire qui se détachait sur la pierre blanche du rocher (truc de l'antithèse), on restait frappé de terreur.
Était-ce bien un homme ? La suite au prochain numéro (truc de l'intérêt suspendu). »

Voici en abrégé pour le premier feuilleton.
Avec ces six trucs, il est impossible de ne pas faire quelque chose de présentable et d'empoignant.
Le truc du second feuilleton consistera à parler de toute autre chose que de l'homme du mont du Chat.
Le lecteur restera pendant vingt chapitres à se demander si l'ombre noire était un homme, une femme ou un être fantastique.
Puis, à ce vingtième chapitre, l'auteur lui dira qu'en effet c'était un montreur de marmottes ou un colporteur qui allait vendre des livres à Chambéry.
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Tous ont aimé, tous ont connu la fièvre du cœur qui bat double de la vie plus intense, tous ont traversé cette épreuve suprême, tous ont reçu ce baptême de l'amour, qui est le véritable sacrement de l'idéal.
Et ce souvenir persiste au fond de l'âme comme la cicatrice d'une blessure ancienne prête à se rouvrir.

Oui, Parisien mon ami, mon frère, mon contemporain, mon compagnon dans cette vallée de larmes semée d'oasis, tu n'as pas toujours été le mannequin exsangue, l'automate régulier que nous voyons, tu as vagabondé dans l'azur ; loin, bien loin de Brébant, tu as poursuivi une vision chère, tu as cru l'atteindre, et de cette seconde flamboyante il t'est resté dans les yeux une tache lumineuse, comme aux imprudents qui regardent le soleil en face.
Cette tache-là, tu la reverras toujours, toujours elle voltigera devant toi : c'est l'idéal.

Donc, tu as aimé, tu as le souvenir, tu as la tache, tu as le point de comparaison.
Et maintenant, dis-moi, aimerais-tu encore ?
Ne te presse pas de répondre. Continue de fumer ta cigarette ; au besoin, prends-en une autre.
Tu as le temps. Il faut que je t'amène le modèle, la Galatée, la femme que tu aimeras, — si tu aimes, — que je te la présente et te la détaille.
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L'adultère a longtemps vécu chez nous dans ces conditions exceptionnelles de tolérance, hôte admis sous le manteau de la cheminée, compagnon accepté pourvu qu'il fît le moins de bruit possible, qu'il restât dans le demi-jour du mystère et qu'il gardât une certaine teinte de sentiment.
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Ce monde bourgeois, vainqueur sur toute la ligne, n'a plus que des ridicules qui lui appartiennent ; il extirpe de son cœur toute passion compromettante, il encourage les opéras italiens et la littérature à la portée de toutes les intelligences. Le niveau baisse et s'étend.

Déjà apparaissent les contrefaçons, les imitations maladroites ; les derniers rangs de la bourgeoisie, pris du désir de briller, se laissent aller à une fièvre d'imagination, naturellement réduite aux convoitises les plus mesquines, aux appétits de faux luxe.
Le grand mot de M. Guizot, « Enrichissez-vous ! », devient la devise générale. Il faut s'enrichir, ou du moins faire croire qu'on est enrichi.

Première atteinte portée à la femme : ce n'est plus une mère, ce n'est plus une Muse. C'est déjà un objet de luxe et de décor. Et, à mesure que les appétits s'étendent, les charges deviennent plus lourdes, la cherté croissante augmente, pèse sur le budget.

La classe moyenne commence à quitter ses anciennes traditions de probité modeste et de confortable solide pour entrer dans cette existence artificielle, dans ce milieu factice, où toutes ses satisfactions de vanité se compenseront par une diminution du ménage, par une dégradation de la famille.

Voilà les premières origines ; mais, pour fixer la date précise où commence ce phénomène, la disparition de la femme, il faut se reporter à la brillante période du dernier régime, à cet instant de prospérité financière, d'exaltation industrielle, de spéculation transcendante, où la France, veuve de la liberté, se précipitait avec furie dans l'agiotage.
C'était le rêve des Mille et une Nuits réalisé en pleine lumière d'apothéose, à la clarté des feux de Bengale ; une féerie dans les caves de la Banque de France, Ali-Baba complété par Ruggieri.

On tambourinait par toutes les rues les entreprises les plus fantastiques ; sur des affiches larges comme le boulevard, on promettait des dividendes gros comme la Madeleine : sociétés en commandite, sociétés anonymes, tout se transformait en actions : mines de bitume dans la presqu'île de Gennevilliers, gisements de houille sur les coteaux d'Argenteuil ; le pavé de zinc ne fut plus un songe.
L'argent sortit de toutes ses retraites, et, devant cette invasion, une hausse colossale se produisit instantanément ; on vit la valeur des immeubles doubler, et les locations tripler de prix.

Le reste suivit le mouvement. Toute littérature à part, on put pleurer le beau temps à jamais disparu de Paul de Kock, l'époque radieuse où le chantre de la Laitière de Montfermeil commençait ainsi un de ses romans : « Gustave avait dix mille livres de rente, un entre-sol rue du Helder, un groom, un coupé et une maîtresse qui s'appelait Alphonsine. » Heureux Gustave, d'avoir tant de choses pour dix mille francs !

Hélas ! Gustave datait des premiers jours de 1830. Vingt-cinq ans plus tard, les dix mille francs de Gustave n'auraient plus suffi au seul logement d'Alphonsine ; ils ne suffisaient pas davantage à l'entretien d'un ménage sérieux. Si les recettes avaient augmenté d'un tiers, la cherté générale avait triplé et l'équilibre était détruit.

On était pris dans un engrenage de dépenses, entraîné par une fièvre de luxe chaque jour plus furieuse. Il fallait briller « pour se maintenir au niveau ». La classe moyenne n'hésita pas, et d'un bond courut à sa ruine. Sous l'âpre flagellation d'un orgueil exalté par l'exemple, exaspéré par la concurrence, aiguillonné sans cesse par les mille piqûres des rivalités féminines, on vit ce monde, jadis modeste, abandonner l'économie traditionnelle et viser au clinquant.
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Le journal a été une force, une puissance ; on l’appelait le quatrième pouvoir de l’Etat. Il ne sera bientôt plus qu’un poteau d’annonces.

Il y a trente ans, pour quiconque avait vu fonctionner de près cette intelligente machine, le journal était l’œuvre par excellence. Il lui fallait, à cette bête féroce dont l’appétit augmente en proportion de la pâture qu’on lui jette, des travailleurs rompus aux fatigues, des esprits prompts, clairvoyants, laborieux, soldats toujours sur la brèche, des hommes qui donnaient leur vie & leur sang à cette tâche sans fin, mythologiquement figurée par le tonneau des Danaïdes.
Une fois lancée, la locomotive allait à toute vapeur, jetant au vent la fumée de ses inspirations, de son enthousiasme, de ses colères.

Les temps sont changés.
Sous la restauration – cette belle époque de la presse – le journal était un drapeau & le journaliste un soldat, le soldat d’une idée.
En 1828, le Globe, qui n’avait que dix-huit cents souscripteurs, exerçait une influence plus considérable que tel journal d’aujourd’hui qui a cinquante mille abonnés.
Malherbe vint, je veux dire M. de Girardin, & il entreprit l’œuvre de ce qu’il nomma la jeune presse.

Il avait calculé combien la page d'annonces devait rapporter au bout de l’année quand le journal aurait atteint un certain chiffre d’abonnements. Ce jour-là, la presse mercantile fut fondée, le journal d’actionnaires, la propriété qui rapporte des dividendes & le drapeau de l’idée fit place au poteau d’affichage.

L’actionnaire a tué le journal politique. En voulez-vous une preuve ? Le lendemain du 2 décembre 1851, la rédaction d’un journal que je nomme pas était disposée à ne pas tenir compte des ordres expédiés du ministère de l’intérieur & à protester contre le coup d’Etat. – Il s’agissait d’affirmer le droit en face de la force triomphante, au risque de sauter en l’air comme le Vengeur.
Puis l’actionnaire accourut, effaré, suivi du commissaire de police mettant les scellés sur les presses.
Mais la caisse était sauvée…

(publié en 1868)
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