Elena Molini

Si les mots ne coulent pas, si la seule pensée d'écrire te fatigue ou si tu essaies d'écrire à la manière de, alors laisse tomber. Ne sois pas comme ces milliers de gens qui se prétendent écrivains. Les bibliothèques sont pleines de livres monotones, ennuyeux et prétentieux écrits par des gens comme toi.

Bonjour, je suis un livre vagabond. Si je suis arrivé jusqu'à toi, il y a sûrement une raison. Lis-moi et quand tu m'auras terminé, rapporte-moi à ma propriétaire pour en prendre un autre. Garde cette étiquette, accroche-la au livre que tu aimerais que quelqu'un lise, dépose-le dans un lieu public et laisse faire le destin.

Refusant de voir ma tête finir au bout d'une pique, j'avais sorti mon cheval de bataille Éviter&DifférerO, une de mes stratégies récurrentes sur laquelle j'avais déposé un copyright. Bien qu'elle n'ait jamais produit de grands résultats, je rejetais l'éventualité de la mettre au placard après trois mille quatre cent dix tentatives ratées, vu l'énergie que j'avais déployée pour la perfectionner.

Je n'avais jamais rien lu d'aussi embarrassant et me retrouvais désormais dans une position des plus inconfortables : comment avouer à un auteur que sa créature est abominable ? C'est comme dire à des parents que leur enfant est bête : impossible.

Si nous étions amis, je t'inviterais ce soir à aller boire un Long Island Iced Tea au Romanov. Il y aurait de l'excellente musique de jazz, toi et moi ririons ensemble assis à une table trop grande pour nous. Si, en revanche, nous étions ennemis, je t'emmènerais diner dans un restaurant où ils servent de la nourriture horrible, je te parlerais toute la soirée des variables du marché boursier international et te laisserais payer une note salée. Et si nous étions de simples connaissances, je l'emmènerais à une exposition d'art contemporain, nous regarderions des installations en plein air tout en fumant une cigarette, assis le long de la façade du palais Strozzi. Si nous étions collègues, je t'emmènerais au Spazio Alfieri pour assister à une rencontre autour de l'édition de scénarios. Nous irions voir un long film en langue originale et discuterions des différents aspects de l'histoire en rentrant à vélo. Si nous étions amants, je t'inviterais chez moi, nous peindrions notre armoire couleur vert menthe et ferions l'amour sur le sol couvert de journaux. Si je voulais t'embrasser, je t'inviterais à aller chercher une pizza à emporter pour la couper en deux et la manger en silence sur le pont Santa Trinita en regardant les lumières de la ville. Laquelle de ces propositions te semble la plus raisonnable ?

- Je te la fais courte, en t'épargnant le jargon scientifique. La bibliothérapie repose sur l'idée que la lecture de romans génère lempathie. Lire un mot, disons un verbe par exemple, active dans le cerveau les mêmes états mentaux que si nous vivions l'action nous-mêmes. Cette explication me fascinait déjà, avec ou sans jargon.

Il nous arrive parfois de nous sentir perdus, épuisés, brisés et de tourner en rond sans savoir par où commencer pour recoller les morceaux. Dans l’espoir de retrouver une existence plus ou moins semblable à celle d’avant, nous tentons de les assembler à nouveau mais rien n’y fait, ils ne tiennent plus. Parce que en réalité ce ne sont pas les nôtres.

- Tu sais, poursuivit-elle, une expression de suffisance imprimée sur son visage poupin, je suis fan de romans policiers et quand Carolina m'a expliqué la situation, je me suis demandé ce qu'Agatha aurait fait dans ce genre de situation.
Qui était cette Agatha ? J'hésitai à le lui demander, mais puisqu'il fallait poursuivre la conversation, toutes les questions étaient bienvenues.
- Agatha, c'est quelqu'un de votre famille ?
Elle écarquilla les yeux avant d'épeler le nom entier comme on le fait avec un tout petit enfant ou un crétin fini.
- A, G, A, I, H, A. C, H, R, I, S, I, I, E, évidemment.
OK, celle-là avait une case en moins. Elle ajouta :
- Face à un problème, je me demande toujours comment elle l'aurait résolu.

La bibliothérapie repose sur l'idée que la lecture de romans génère l'empathie. Lire un mot, disons un verbe par exemple, active dans le cerveau les mêmes états mentaux que si nous vivions l'action nous-mêmes.

Perdre le job de ses rêves, c'est un peu comme se faire larguer par le mec avec qui on voulait faire sa vie. Nul autre ne soutiendra jamais plus la comparaison avec lui.