L'eau a sa personnalité, fantasque comme une âme slave. Elle est indomptable, accepte la fermeté mais n'obéit pas sans réfléchir, elle révèle tout de moi et me révèle à moi-même, décrit mes états de symbiose… mes tensions.
La mouvance de l'aquarelle s'accorde avec ma manière de voir la vie. L'équilibre de forces contradictoires y est toujours instable, toujours à recréer. Ma vie s'inscrit entre ces deux pôles que sont le vacarme de la réalité et le cycle de l'eau, immuable, silencieux, rigide.
Eau des deltas des fleuves posée, assagie :
comme dans le pays de mon père...
Eau riche, gravide de particules de matière charriées avec peine.
Eau enfin sage, qui n'attaque pas les obstacles avec furie,
mais les contourne, se faufile, décrit des méandres -
et progresse quand même.
Eau qui repousse la matière des pigments,
qui les ravine par des cataclysmes microscopiques,
qui se déplace dans des flaques étendues comme des mers aux berges plates, qui emprunte les graphismes comme des canaux.
Eau entêtée qui n'arrête jamais un travail commencé.
Pour saisir l’essence de l’aquarelle, il faut faire preuve d’une curiosité permanente : agir, observer les réactions qu’en traîne cette action sur le papier et répondre en conséquence –tout cela dans un laps de temps très court, souvent même simultanément. La véritable démarche créatrice, c’est l’adéquation entre la sensation que l’on éprouve et la manière de l’exprimer. Il faut combiner, détourner, assembler, soustraire une multitude de gestes techniques, de matériaux et d’outils –le tout dans un état tour à tour enjoué, curieux, spontané, et même parfois furieux ! Bref, il faut expérimenter. Mais pour expérimenter en toute liberté, mieux vaut parfaitement connaître ce dont on dispose… C’est le sujet de ce livre, qui propose une observation minutieuse des différentes interventions possibles sur le papier.
L’aquarelle n’est pas concevable sans eau ; pourtant on ne détecte plus d’eau dans une œuvre terminée : elle s’est en quelque sorte dématérialisée, en ne laissant pourtant qu’une trace de son passage. Elle a charrié les piments, creusé, raviné la surface avant de disparaître : la présence de l’œuvre naît peut-être de cette exaltation de l’absence.
Il ne s’agit pas de « maîtriser » l’eau, mais de comprendre ses réactions.
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Pinceau ; « pince-eau »
Les rapports avec l’eau ne reposent pas sur des rapports de force.
L'aquarelliste qui travaille en humide sur humide entretient un dialogue incessant avec l'eau : il tente de saisir le tempo de l'aquarelle, d'accorder ses gestes et la densité de ses teintes à l'état d'humidité du papier.