Je devais appeler ma patronne Nathalie. Elle trouvait très sympa d'employer une femme « du tiers-monde ». Des années que je n'avais pas entendu cette expression. Les premiers jours, elle a voulu me montrer qu'elle me traitait comme son égale. Elle partait travailler en laissant la porte de son placard ouverte pour me montrer sa confiance. Mais elle avait beau être « ouverte à d'autres cultures », le jour où elle m'a entendue chanter une berceuse en créole à son bébé, elle m'a dit : « C'est joli, votre petit refrain, Mélina, mais vous savez, il faut qu'elle n'entende que sa langue maternelle pour bien la parler ensuite, sinon elle n'aura plus de repère. Je suis sûre que vous connaissez de jolies chansons françaises… »
[ une nourrice à domicile ]
Se séparer des enfants, c'est toujours le problème. Personne ne nous demande jamais : « Est-ce que vous aimez ces enfants dont vous vous occupez toute la journée ? et jusqu'à quel point ? Est-ce que vous aurez très mal quand vous ne les verrez plus ? Vous savez bien que ce ne sont pas vos enfants. (…) Vous avez souvent changé de famille, non ? Ça fait partie de votre travail. Qu'est-ce que vous éprouvez, au juste, au moment du départ ? »
(…)
Tout le monde a le mode d'emploi pour les courses, le ménage, les sorties d'école et les devoirs. Personne ne l'a pour la 'coupure'. C'est le mot que j'utilise à la place de 'séparation' car il y a un lien qu'il faut couper. Au début, je me sens mal et il m'arrive de pleurer. C'est pour ça que je cherche très vite une autre maison avec d'autres enfants.
J'adore ce mot, le "profil". Tout le monde sait bien qu'un profil peut être très différent du visage de face. On dit aussi que chacun a un bon et un mauvais profil. Disons que j'ai un peu retouché le mien.
Les hommes sont maigres, grands, la chair rigoureusement répartie autour des os, dont le bas du pantalon bouffant ou du boubou dévoile la sécheresse charbonneuse.