Florence Pagneux

Postface d'Alexandra Benhamou - Autrice de l'enquête Aux filles du temps

Chez les filles, la question "Comment devient-on femme ?" ne rencontre que l'écho du vide. Leur avis sur le féminisme, l'égalité, les questions du genre, l'orientation sexuelle, les violences, sexistes, psychologiques et sexuelles ?Comment se projettent-elles dans leur avenir professionnel, ont-elles le sentiment d'avoir accès à toutes les possibilités ? Leurs connaissances sur la contraception, la sexualité, l'IVG et leurs droits ? Leur implication sur l'environnement ?

Voilà ce qui fut mon point de départ pour amorcer cette enquête.
Les résultats parlent d'eux-mêmes et font état d'une projection très peu réjouissante pour ces adultes en devenir, tant la violence de leur quotidien est inquiétante. Ils démontrent également un manque de moyens et une communication très limitée sur le sujet.

Les violences sexistes et sexuelles, les mots et les actes, le regard de la société et la place de l'homme dans cette dernière participent à leur sentiment d'insécurité dans l'espace public et grignotent sournoisement leur liberté de vivre et de penser, mais cela ne doit pas occulter la puissance de ces filles dans leur conscientisation, leur implication dans la lutte de leurs droits.

Elles vont prendre leur place, la place que mérite chaque femme dans le monde, la place de l'égalité, ces filles qui ont grandi avec le mouvement #MeToo qui n'est pas une libération de la parole, les femmes parlant déjà, mais où les femmes commencent à être écoutées.

La cour de récré appartient aux garçons !
Les filles, elles, sont cantonnées au rang d'observatrices des exploits et de la liberté des garçons. Dans un espace relativement restreint, elles s'adonnent aux jeux de langage ou d'imagination. Les garçons, eux, peuvent s'investir dans des jeux corporels, misant sur la vigueur et la compétition physique. Pour Edith Maruéjouls, spécialiste de la géographie du genre, les enfants devraient apprendre dès le plus jeune âge à partager ce micro-espace public qu'est la cour de récréation. "Disposer de moins de place pour jouer, ne pas pouvoir jouer à ce que l'on veut parce qu'on est une fille ou un garçon pas assez conforme, c'est l'expérience de l'injustice de l'installation d'inégalités durables", prévient le rapport de l'Assemblée nationale.

Aux filles les marges, les coins, l'immobilité, se partager ce qui reste, ne pas déranger la partie ; aux garçons le centre, l'espace, le mouvement, imposer leurs jeux, se déployer. Une allégorie de la société dans une cour d'école...

Deux chantiers : briser les stéréotypes et l'inégalité dans les faits
Marie-Dura Bella, sociologue, se demande qui a vraiment intérêt à battre en brèche ces préjugés. "Il faut se souvenir que lors de la mise en place des ABCD de l'égalité à l'école, en 2013, des parents ont défilé dans la rue pour dire "Touche pas aux stéréotypes". Le fait d'élever ses enfants différemment selon leur sexe a précisément pour objectif de favoriser leur intégration dans la société. Puisque c'est ainsi qu'elle fonctionne, pourquoi tout remettre en cause ? "Les parents ne peuvent pas se passer de stéréotypes, car il n'est pas possible de se passer d'idées toutes faites, au risque de ne pas avoir d'idées du tout", explique Christine Delphy, également sociologue. Souvenons-nous qu'il y a moins de 100 ans les femmes ne votaient pas et les suffragettes étaient, à cette époque, une minorité à l'exiger.

Au-delà de la dénonciation du discours médiatique, plusieurs comptes Instagram proposent aux jeunes femmes de prendre leur répartie en main. C'est le cas du groupe d'autodéfense verbale Le bingo sexiste (23000 abonnés), qui délivre des "munitions" linguistiques face aux remarques déplacées. Par exemple, à l'affirmation "Les féministes voient du sexisme partout", il suggère de répondre "Le problème, c'est que tu ne le vois nulle part". Ou bien de rétorquer "c'est plutôt le machisme qui tue" quand on assène "les féministes sont trop agressives". Dans la même veine, le compte Instagram Punchlinettes (126000 abonnés) s'élève contre le sexisme ordinaire en proposant une litanie de répliques bien senties. Exemple : "Regarde celle-là avec son top-crop, c'est vraiment indécent" vs "Il y a plus de regards déplacés que de tenues indécentes..."

Oui, éduquons nos fils à se défaire des injonctions patriarcales et éduquons nos filles à faire de la sororité un fondement, une ressource inestimable.

La première génération qui sait et qui ne veut plus se taire.