extraits de la pièce 'Résistantes'
[ des prostituées, pendant la seconde Guerre mondiale, en zone occupée ]
- Lili, on ne fait pas de politique ici, on ne se mêle de rien, un client en vaut un autre, c'est comme ça que ça marche et pas autrement !
- Des poupées sans tête, quoi !
- Mais, Lili, qu'est-ce qu'on connaît à ces histoires ? Qu'est-ce qu'on sait de ce qui se passe vraiment à l'extérieur, je veux dire, on est qui pour porter un jugement sur des gens... ? Et puis on s'en fout, non ?!
- On s'en fout oui... Mais... on est des filles bien... non ?
(un temps)
- Oui Lili.
(p. 11)
[ 1944, zone occupée - Elise, prostituée, et Liliane, résistante en fuite cachée en urgence dans une maison close ]
- Qu'est-ce que vous regardez ?
- Vous. Comment peut-on en arriver là ?
- Ne me jugez pas.
- Je ne vous juge pas, je pose la question.
- Que faire quand on est seule, sans homme, sans profession, sans appui, sans argent ?
- C'est votre histoire ?
- C'est notre histoire à toutes.
- Et la vôtre ?
- Qu'est-ce que ça peut vous faire ?
- Je ne voulais pas être indiscrète...
- Alors, ne le soyez pas.
- Si j'ai dit quelque chose...
- Je n'aime pas la façon dont vous nous regardez.
- Et comment je vous regarde ?
- Comme si vous étiez différente...
(Liliane, sarcastique)
- Je crois que je le suis !
- Et je n'aime pas votre air supérieur !
- Eh bien voyez-vous, je n'en ai rien à fiche et c'est bien dommage de ne pas assumer ce que vous faites.
- Vous parlez tellement bien de ce que vous ne connaissez pas... (...) Vous me faites penser à toutes ces femmes de villages, entre elles, soudées à leur moralité de p'tites bourgeoises, bien-pensantes... et oui, on n'a pas envie de voir ce qui pourrait nous arriver. Bien mariée... Vous êtes mariée ?
- Oui.
- C'est quoi son métier ?
(Liliane, hésitante)
- Médecin.
- Vous voyez ce que je veux dire... ? J'ai été une de ces femmes, avec un mari à moi pour la vie... Il a été fait prisonnier et du jour au lendemain cette vie s'est effondrée. J'ai commencé à revendre mes bijoux pour une misère, puis mon mobilier, quand je n'ai plus eu de monnaie d'échange, j'ai vendu mon corps pour payer mes dettes, et j'ai recommencé, pour me nourrir tout simplement... Et si vous saviez comme je lui en ai voulu de m'avoir laissée seule... Et malgré tout, j'essayais de penser à lui quand j'avais un autre homme sur moi...
- Je vous en prie...
- Tu la vois quand [ta fille] ?
- Je sais pas ma Lili, bientôt j'espère. Je lui écris de regarder tous les jours à la même heure un nuage et de souffler fort dessus pour qu'il arrive jusqu'à moi et que je puisse le voir à mon tour...
- (...) cette maison [close], c'est notre maison !
- C'est pas une maison, c'est une putain de prison !!!
- La prison, je sais ce que c'est !! Et l'amour aussi... J'suis peut-être jeune mais je sais ce que c'est ! Quand une personne te regarde gentiment... Qu'elle te met la main autour de l'épaule, et qu'elle te dit, je suis là, n'aie pas peur. A ce moment-là, la vie, tu la dévores, tu lui laisses aucune chance... Et un matin, la police vient te cueillir dans ta salle de bain sans frapper, et là t'apprends qu'à présent tu seras à nouveau seule. Qu'il fera plus jamais beau comme avant. Et bah la peur elle revient, elle était pas partie, elle attendait juste dans un coin.
(p. 81-82)
[ 1944, zone occupée, officier nazi ]
- Cette guerre doit cesser. Ces familles que les combats ont décimées... Ces enfants dont on dira plus tard qu'ils ont connu l'horreur de la guerre... Je déplore qu'elle occasionne autant de souffrance Monsieur Maurice, vraiment ! J'ai des enfants aussi, ils sont petits encore... Je suis conscient d'avoir le mauvais rôle auprès de bien des gens, et je le comprends, comme ils l'auraient eu si votre armée avait gagné l'Allemagne, mais j'aime la France ! Et la France nous le rend si bien ! Nous travaillons main dans la main avec votre Etat, votre Eglise ! (...)
(p. 59-60)