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Citation de enkidu_


Pour les meilleurs d’entre les Anciens, la distinction entre « nature » et « contre nature » ne veut rien dire. Il n’existe pas de cloison entre l’hétérosexualité et la pédérastie : un Horace, un Catulle draguent indifféremment les jeunes filles et les jeunes garçons imberbes. Dans Leucippé et Clitophon, roman d’amour d’Achille Tatius, on assiste à une discussion animée touchant les mérites respectifs des filles et des garçons : Ménélas préfère embrasser les petits garçons, dont les baisers, « s’ils n’ont pas la science des baisers féminins », n’en sont que plus savoureux, au lieu que Clitophon, lui, préfère les lèvres des jeunes filles, car « les baisers de la femme sont pleins d’art et elle rend son baiser aussi doux qu’elle le peut ». Il y en a comme ça plusieurs pages, mais à aucun moment Clitophon, l’amateur de filles, ne prétend que le goût qu’a Ménélas des petits garçons est « contre nature ». Pour lui, comme pour tout le monde antique, chaque goût est dans la nature, et le meilleur est celui qu’on a. L’auteur de Leucippé et Clitophon devait à la fin de sa vie se convertir au christianisme. Suidas précise même qu’il fut sacré évêque. J’espère que ses enfants de chœur étaient jolis.

De nos jours, en ce qui regarde les petites filles, merci, on s’en tire assez bien. La société française est, pour parler charabia, plutôt « permissive ». J’ai actuellement une merveilleuse maîtresse de quinze ans, et nos amours ne semblent choquer personne, il paraît même que nous formons un couple très chouette. Pour les garçons, c’est une autre paire de manches. Si je ne cache pas trop mon amante de quinze ans, mes aventures avec les petits garçons se déroulent dans une stricte clandestinité. Notre civilisation est si vulgairement, si platement phallocratique qu’une jolie fille, même très jeunette, excite toujours une sorte de complicité égrillarde (le mec qui vous pousse du coude, cligne de l’œil, « elle était vierge ? vous étiez le premier ? sacré veinard ! sacré roquentin ! »). Nul ne s’offusque des photos érotiques d’Hamilton, dont les modèles sont des adolescentes, non plus que de celles d’Irina Ionesco qui fait poser une fillette de dix ans – sa propre fille – nue et dans des attitudes d’une extravagante lascivité. Mais qu’un photographe essaye de publier des albums analogues en remplaçant les fillettes et les adolescentes par des garçonnets de douze ou quinze ans ! Ce serait le scandale, la saisie immédiate. Le silence qui entoure l’œuvre de Goor, ce merveilleux peintre des jeunes garçons, est à cet égard significatif et forme un éclairant contraste avec la notoriété de tel peintre de second ordre mais spécialisé dans les nanas. La vérité est que le charme érotique du jeune garçon est radicalement nié par la société occidentale moderne qui rejette le pédéraste dans le non-être, royaume des ombres, Katobasiléia. Le postulat de notre époque, c’est qu’un jeune garçon n’est pas désirable. Thomas Mann a bien décrit l’angoisse, l’affolement d’Aschenbach – homme « normal » qui vit dans un monde où il est entendu une fois pour toutes qu’un gamin ne peut être ni troublant ni troublé – lorsqu’il découvre grâce aux quatorze ans et aux boucles blondes de Tadzio que ce n’est pas vrai, que le désir pédérastique existe, qu’il est la raison et la nature mêmes, que les interdits sexuels et affectifs qu’il avait acceptés jusqu’alors ne sont qu’une imposture. Le salut pour Aschenbach serait de prendre l’enfant dans ses bras, de poser ses lèvres sur les siennes ; mais les blocages sont trop impérieux, la peur de vivre trop paralysante, et une fois de plus le pédéraste est réduit à la fuite, au néant, au royaume de la mort.
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