- Que ça ne vous monte pas la tête, répliqua Shannon. A quoi ressemble cette histoire ?
- Magnifique ! dit Peg. Tout bonnement magnifique. Je me sens d'humeur à me suicider.
Les sirènes du raid aérien se mirent alors à pousser leurs lamentations, et les deux hommes attendirent en silence que la promesse de vie revienne avec le signal de fin d'alerte.
- Eh bien, tu as vraiment réussi à m'inquiéter, reprit Forester. Lorsque les Républicains disent qu'une chose n'a pas eu lieu, on peut être certain qu'elle s'est réellement produite.
- C'est une affirmation subversive !
- La vérité l'est toujours, Shan.
La garde Noire a bloqué les entrées de ce maudit aéroport. Personne n'en sort avant d'avoir été interrogé. La Garde Noire est muette, mais la brigade incendie de la police d'Etat dit que l'enquête réelle a commencé à Canberra. C'est la base de l'escadrille présidentielle. C'est là que l'on doit avoir caché la bombe dans le "Republic 2".
- Bennie, les Fils de Brutus sont-ils capables d'aller réellement jusqu'à monter une conspiration, un complot de généraux contre la République .
- Je pense que oui, répondit Weissmann. Personne, en dehors de leur organisation, ne sait qui ils sont, mais on ne peut nier leur existence. Ils représentent une tranche de l'ancienne institution anglo-australienne. Il existe assez de grands noms de la finance, du commerce et de l'industrie qu'on soupçonne d'épauler les Fils de Brutus et les Loyalistes.
- Je ne comprends pas cela, dut Shannon. Durant la dépression de paix, ces mêmes personnes ont aidé les Républicains à se hisser au pouvoir. Ils étaient tellement tracassés par les émeutes, par les socialistes et les communistes qu'ils se sont hâtés de conclure un marché avec Z.
- Ils ne s'attendaient pas à une dictature, répondit Weissmann. Et encore moins à une dictature économique.
Beaucoup d'entre eux n'avaient jamais connu les journalistes dont, chaque nuit, ils maudissaient les articles, avant de les façonner en métal scintillant, ce qui, par une alchimie incontestable de dextérité et de méthode, réussissait toujours à vaincre le temps pour devenir les pages imprimées d'une nouvelle édition de l'Unicorn.
Maintenant, par cette soirée d'anarchie croissante, par ce que l'on appelait déjà avec inquiétude la dernière nuit de l'Unicorn, ils se rassemblaient comme l'équipage d'un navire en perdition. Les typographes, les linotypistes, les correcteurs, les reporters, les secrétaires de rédaction, les informateurs, les rédacteurs de manchettes, les directeurs dégarnis et grisonnants qui avaient appris, il y a bien longtemps, l'art de la profession : tous les hommes de l'Unicorn étaient là.
J'ai pas mal de café dans mon bureau, dit Peg. Ce matin, dans les magasins, on se ruait pour en obtenir, aussi ai-je pensé qu'il valait mieux en faire provision.
Ce n'est pas de la rigolade d'être reporter dans un Etat policier !