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Payot - Marque Page - Gerald Seymour - Dans son ombre.
— Tu vois, Nasir, je m’en fiche de descendre plus bas que terre avec lui, et de devoir me battre encore plus salement que lui. Il perd, je gagne. Ce que je veux, c’est le tenir dans ma main et l’écraser. Il a toujours gagné, et j’ai toujours perdu, mais pas ici. Tu comprends ça, Nasir ?
[Joey qui parle au chien, Nasir]
Elle doutait que même une gamine de quinze ans surchauffée eût choisi de perdre sa virginité à l’arrière de ce van bleu, sur un lit de manteaux et de chiffons, à côté du seau d’aisance tout neuf.
Si cela avait eu lieu avec n’importe quel type à Vauxhall Bridge Cross – non qu'ils n'aient essayé –, le lit aurait coûté au minimum deux cent cinquante livres dans un hôtel du West End. Frank Williams était étendu contre elle, et sa barbe lui chatouillait un sein.
— Pourquoi m’appellent-ils Nasir ?
— Il était un héros d’un côté seulement. L’autre côté était… Un homme bien, et un assassin. C’est le genre de confusion qui se produit ici, et tu es salement atteint. Donc, ce que je te dis maintenant, c’est que je ne veux pas être mêlé à ça, Maggie non plus, ni les Quatre Sreb…
Il n'était pas dans la nature de Mister de tendre l'autre joue. Personne ne respecte les faibles.
Les martyrs n'étaient qu'une arme de guerre. Ils n'avaient pas plus d'importance qu'un obus, une bombe, une roquette ou une balle. Les martyrs accomplissaient la tâche qu'il leur fixait et, en retour, se voyaient peut-être offrir quinze minutes de célébrité. Puis les chaînes de télévision par satellite qui avaient transmis la vidéo les concernant passaient à un autre sujet.
Peu importait que le garçon lui plaise ou pas. Ce qui comptait c'était qu'il marche sans se révéler, que la veste en cuir cache les bosses que formaient les bâtons d'explosif, les sacs de clous, de vis et de billes souillées.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, l’ampleur de ces importations de drogue, est notre honte. Cela nous détruira, comme un cancer que nous nourrissons. Je vais te dire ce que j’aime. C’est quand un juge dit : “Quinze ans. Emmenez-le.” Et ce que j’aime encore plus, c’est quand le type se retourne et hurle : “Je vais tous vous tuer, putain, vous allez voir ce que vous allez voir !” Si on les talonne sans relâche, on brise leur pouvoir. Sans ce pouvoir, ils ne sont plus que des ordures. Les ordures, on les fout à la poubelle. Quand on met la pression sur une pourriture, il commet des erreurs.
Il n'était pas un martyr, n'avait aucune envie de se suicider et estimait que ceux qui l'avaient étaient des crétins qui se berçaient d'illusions. Mais il avait besoin d'eux. Ils étaient le carburant de sa guerre. Grâce à eux, il pouvait attaquer des zones déterminées qui autrement seraient inatteignables. Aucun obus, aucune roquette, aucune balle tirée à quelque distance que ce soit n'avait la précision d'un kamikaze, ni ne créait une telle dévastation et une telle terreur. Voilà pourquoi il supportait cette merde.
Ils ne parlaient pas de la guerre, ni du présent. Rien de ce qu'elle lui montrait, rien de ce qu'elle lui racontait n'était source d'amusement. Tout ce qui n'était pas dit était autour d'eux. Les bâtiments détruits et le grincement permanent de son fauteuil roulant étaient au diapason du désespoir de Joey.
— C’était un rêve…, dit le juge avec lassitude. Vous savez qui a eu les plus belles funérailles de Sarajevo, pendant la guerre et depuis ? Musan Topalovic. Pour les gens de la rue, il était un héros et un martyr. Il s’était rebaptisé Caco. Qui a tué ce héros ? Il a été abattu par des soldats de l’armée bosnienne durant les quelques jours qu’a duré la répression contre la criminalité, à la fin de la guerre, pour donner une illusion de probité aux puissances étrangères. Durant les premiers jours du siège, il tenait une ligne de front avec ce qu’il avait nommé la 10e Brigade alpine, une unité de rats sortis des égouts. C’était un boucher, avant de devenir un héros et un martyr. Il égorgeait les Serbes qui étaient restés en ville, après les avoir dévalisés, et il brûlait leurs cadavres. C’était le mal incarné…
— Vous savez ce qui me tracasse ? Je veux dire, ce qui m’empêche vraiment de dormir ? C’est qu’un jour, vous vouliez aller trop loin – je veux dire – que vous fassiez un pas de trop. Voilà ce qui me tracasse…