9 novembre 19481
Mon cher monsieur Borduas,
Ce billet est pour vous rappeler que Mousseau vous invite expressément, avec Madame Borduas, à vous rendre à la Librairie Tranquille, vendredi le 12 novembre, de 5 heures à 7, pour assister au pré-vernissage clandestin.
Maman me fait vous dire que vous nous feriez un grand honneur, et surtout un grand plaisir, en acceptant de prendre votre repas du soir chez nous ce soir-là.
Il y aura environ trente-cinq personnes présentes à la petite réception chez Tranquille. L'imprévisible nous permet d'anticiper des incidents qui pourraient avoir des suites.
Perron et Riopelle sont revenus de New York. J'ai reçu, par Pierre, certains échos de ce voyage. Il paraîtrait que Kiesler se serait montré énormément intéressé en apprenant les détails des activités montréalaises, et qu'il se serait infiniment démené dans le but d'organiser une exposition Riopelle à New York.
De l'avis de Kiesler, Duchamp9, qui passe ses journées à jouer aux échecs par correspondance et qu'emmerdent tous les propos sur la peinture et la littérature et qui d'ailleurs est physiquement inaccessible, Duchamp accorderait de son attention à Refus Global si on le lui faisait parvenir. (À propos, l'adresse de Duchamp est : 210 West I4th St.; celle de Kiesler: 56, 7th Avenue.) Pierre a émis l'opinion que, si vous alliez à New York, vous auriez certes intérêt à aller voir Kiesler.
La folie est une brisure indéfinie dont les morceaux épars représentent une mosaïque pour ainsi dire impossible à assembler. Parmi les hypothèses de lecture les moins aléatoires, on peut penser que Claude Gauvreau a fait de son écriture et de la reconnaissance de son statut d'écrivain (même méconnu et incompris) un dispositif de défense contre la folie.
Il est significatif que les premières lettres surviennent au cours des semaines qui suivent immédiatement la publication de Refus global. Les faits sont aujourd'hui bien attestés. Claude Gauvreau, comme plusieurs signataires du manifeste, participe alors à la défense de Borduas, suspendu de ses fonctions à l'École du meuble par le sous-ministre du Bien-être social et de la jeunesse, Gustave Poisson. Le 21 octobre 1948, Borduas est officiellement destitué de son poste, sa conduite et ses écrits étant jugés «incompatibles avec la fonction d'un professeur dans une institution d'enseignement de la province de Québec.
Après une relecture attentive de L’hiver de force durant laquelle j’avais procédé au repérage systématique des lieux, je décidai que le point de départ de mon reportage photographique serait l’appartement de l’avenue de l’Esplanade. Cette « ancienne clinique d’oto-rhino » m’apparaissait en effet hautement significative de l’économie du récit, car c’était là qu’habitaient Nicole et André, et ce lieu représentait, avec le parc Jeanne-Mance situé à proximité, l’un des pôles qui aimantaient les allées et venues des personnages.
Cette correspondance Gauvreau-Borduas est très dense et j'y vois pour ma part une oeuvre importante. Les lettres de Borduas à Gauvreau sont assez connues, mais on ne s'est pas encore rendu compte que celles de Gauvreau à Borduas constituent peut-être le témoignage le plus direct, le moins alambiqué, sur ses fantasmes et sur sa souffrance.
Nous habitons le côté nord de l’étage d’une ancienne clinique d’oto-rhino de l’avenue de l’Esplanade. Entre les rues Duluth et Mont-Royal, cinquante vieilles belles maisons s’épaulent pour endiguer le bassin de nature déversé par la montagne ; c’est là qu’on est.