Paru en mars 2021, "Nom de noms" de Gilles Verdet est un réjouissant roman qui joue sur les patronymes. Il a enchanté ses premiers lecteurs, nos amis libraires...
Dans la brume des quais, au bord des navires amarrés, j'aperçois des banderoles, j'entends des parlers forts, je sens des humeurs maussades, je devine des colères galopantes. J'écoute de plus près ces attroupés, bonnetés et bottés, aux gros bras et aux épaules de soutiers. Dans les odeurs portuaires, de gasoil et de poisson mort, c'est l'écho du labeur ordinaire, la senteur de la mouise que je reconnais aussitôt. Je me pose sur des casiers vides, pour mieux les voir, être avec eux, rien qu'un instant. Ces types en ciré jaune sont à l'origine de la chaîne, et moi, le terminus en tablier bleu. Ils arrachent à la sauvagerie des éléments marins ce que j'emballe en ville de sourires polis. De l'habit jaune soufre au bleu outremer, les deux extrémités colorées sont le lien de ce qui nous broie et nous déchire.
Je comptais le temps qui passait en pressentant le pire à entendre, la mise à pied instantanée et définitive. Le type qui faisait office de DRH était pas aimé par celles d'en bas. Plus apprécié par ceux d'en haut pour son maintien de l'ordre, comme n'importe quel adjudant besogneux. Il régnait sur un monde de femmes en chien de berger, l'œil rond et matois, prêt à grogner ou à mordre si une s'écartait du règlement. Entre nous, on le piffait mal. Des copines ragotaient des trucs pas clairs sur son compte. Lui et moi, on se saluait seulement quand on pouvait pas s'éviter.
Et si j’affectionne tant la nouvelle, c’est qu’elle m’apparait comme un genre littéraire, à part entière. Bien autre chose qu’un roman court. C’est une espèce singulière qui vit de ses propres règles. Très brève ou allongée, elle s’émancipe des codes du roman pour s’épanouir dans la fulgurance, l’instantané. C’est le suc et la moelle. Et si le saisissement prend sa force dans la concision, la rapidité est rarement narrative, mais toujours émotionnelle. Quel qu’il soit, quoi qu’il dise, le récit touche à l’essentiel. C’est un alcool fort.
"Depuis longtemps aucune aube claire, aucun matin magique ne les avait réveillés.Les hiers silencieux n'appelaient pas les lendemains qui chantent. Rien que les bruits battants du dehors, les crampes douloureuses et les tripes en souffrance pour compagnons d'éveil. L'aurore n'était que le début du malheur du jour, le départ du tracas, le rappel à l'ordre. De la misère noire et des nuits blanches."
Il avait le tourment lyrique et la tristesse littéraire
_______________________________________________________________Que tout est écrit pour nous dès la naissance.
Amandine garde la pause verticale, le dos et la nuque droits. Elle parle. Elle a rien raconté à son compagnon. Impossible à dire pour elle, impossible à entendre pour lui. La honte a dépassé la gêne. La honte en dedans, si crasse et si vacharde qu’elle s’est tue, et couchée seule, tôt, sans dormir, sans rêver à rien. Elle me serre le bras. Tout me revient de ses confidences de la veille. Son récit de l’entrevue, précis, détaillé, entier.