Citations de Giulia Caminito (134)
La première, menue et très blonde, a un sourire lunaire et des cils clairs, elle se plaint toujours de ne pas être assez jolie, elle s’accable de défauts qu’elle est la seule à remarquer, mais elle attire l’attention de tous les garçons de notre âge, et pas seulement avec ses queues-de-cheval hautes et sa peau bronzée, son père a des vaches, des cochons et du fourrage, rester au soleil compte parmi les devoirs familiaux.
Nous inventons tour à tour des raisons valables ou de simples fantaisies, tantes nobles, allergies à la pollution, amour des routes de campagne, à Rome il était devenu impossible d’acheter ne serait-ce que des tomates, on aime l’odeur du blé et des vaches, on adore les promenades et les randonnées, un jour on fera le tour complet du lac à vélo.
Ici, les gens ont la manie de donner des surnoms, ils ont besoin de te rebaptiser, tous ceux qui comptent y passent, le surnom peut venir du travail que tu fais, de l’endroit où tu vis, de l’histoire de ton grand-père, tu peux être le Poissonnier, la Grenouille, le Souillon, et jamais personne ne pourra t’enlever le nom qui t’a été donné, ce sera pour toujours ton habit taillé sur mesure.
Mon frère n’est pas très grand, mais son corps est tout de nerfs, un courant d’air suffit à l’électriser, il collectionne les rébellions, des petites rébellions domestiques aux grandes rébellions scolaires.
Ma mère ne porte presque jamais de robes décolletées ou moulantes, elle enfile des bermudas avec des poches sur les cuisses, des T-shirts masculins ras du cou avec des numéros et des logos d’entreprises de bâtiment, mon père dit qu’elle ressemble à un maçon.
Chacune de nos caractéristiques est pour moi un atroce défaut. Nos taches de rousseur sont pires que de l’acné, nos yeux ne savent être ni vraiment verts ni vraiment marron, notre peau trop claire semble maladive et, surtout, nos cheveux portent la poisse.
Notre mère ressemble à une héroïne de bande dessinée, à Anna Magnani au cinéma, elle braille, ne capitule jamais, cloue le bec à tout le monde.
Roberta est une fille silencieuse, parfois elle gargouille, elle se lèche les lèvres, elle dit quelques mots et demande des choses que seule sa mère parvient à déchiffrer, mais elle n’a aucun mal à faire comprendre qu’elle a envie d’être là, au soleil.
Les livres sont sa grande obsession, surtout depuis que mon père est au lit ou sur son fauteuil, parce qu’à la maison, où nous n’avons pas la télévision, juste une radio, notre seul passe-temps est la lecture et, à défaut de place et d’argent pour nos livres, nous lisons ceux qui sont à tout le monde et nous devons les traiter comme des reliques, il nous faut les empiler soigneusement, ma mère a noté les dates de retour et nous harcèle pour que nous les finissions à temps, elle vérifie que nous ne les avons pas tachés ni froissés, et les fois où ça arrive elle nous traîne à la bibliothèque pour que nous demandions pardon à la bibliothécaire et aux autres enfants puis elle les rembourse, et si on lui dit que ce n’est pas la peine elle répond : oh que si, c’est la peine.
Selon la théorie maternelle, ceux qui ne te connaissent pas ne t’aident pas, alors nous restons là où les gens savent qui nous sommes, où ma mère peut tisser des liens de protection et d’identification, petits et grands.
Tout repose sur l’équilibre de ce qui est sur le point de s’écrouler mais s’agrippe par sa dernière racine à un terrain friable, jusqu’à ce que ma mère retombe enceinte et que mon père, qui n’est pas le père de Mariano, ait un accident de travail : il chute d’un échafaudage et reste paralysé.
La moue de ma mère est de travers, son agacement authentique, aussi authentique que ses chaussures trop serrées et que les hommes grands et transpirants dans le tram.
L’échange se poursuit entre les deux femmes et Antonia Colombo insiste, certaine que c’est la chose à faire, occuper la place et ne pas en bouger.
TOUTES LES VIES commencent avec une femme, la mienne aussi, une femme aux cheveux roux qui entre dans une pièce vêtue d’un tailleur en lin sorti de l’armoire pour l’occasion, elle l’a acheté au marché de Porta Portese, pas aux étals des vêtements à bas prix, mais à l’étal des marques dégriffées, celui où un écriteau indique : TOUS LES PRIX.
Où tu trouverais l’argent, hein ? Il y a pas beaucoup de travail à cette période, on n’aura rien jusqu’en septembre. On fait pas partie des gens qui peuvent se permettre de s’acheter de nouveaux vêtements à toutes les fêtes, et encore moins d’en acheter aux autres, dit Gaspare.
Qui peut se le permettre ? Demanda Lupo avec un air de défi.
Ceux qui ont tout, qui possèdent les champs, qui possèdent les maisons, expliqua Gaspare.
C’est qui ? le pressa Lupo.
Les propriétaires. Le champ de mon père n’est même à lui, tu sais comment ça marche, non ?
Ça se peut, répondit Lupo, et il se retourna à nouveau pour regarder le chapeau d’Ernesto qui flottait autour de sa petite têt