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Critiques de Grégory Rateau (33)
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Conspiration du réel

Je lance la chanson « Hurt » de Johnny Cash « sur une vieille radio oubliée/ dans le grenier » (p. 38) et avec mon verre (imaginaire) de tourbe Laphroaig (mais le souvenir d'une bonne « țuica » peut aussi faire l'affaire) je m'installe dans une chaise longue pour musarder au soleil en poésie : « que les mots coulent comme une étreinte/que la vie s'y consume » ; je me délecte des vers de ce « nouveau croyant/ à genoux devant la fulgurance du verbe » (p. 12). Je débarque dans une Bucarest contemporaine où « l'herbe gangrène le béton » (p. 32). Je retrouve mon cher Panaït Istrati « dans une taverne du vieux port de Brăila » avec « [ses] grands yeux qui moussaient/ non de vengeance/ mais de fraternité » (p. 25) ou Fernando Pessoa (p. 59). Dans ma sieste je suis éblouie par ce « kaléidoscope rétinien/ d'ombres roumaines striées de veines » et je m'imagine accéder « à cette torpeur molletonnée de l'entre-soi » (p. 24).

L'incandescence de cette poésie d'un exil extérieur et intérieur est revigorante et en compagnie du poète je « [m]'enivre de paysages » (p. 22) d'ici, de là. Il suit de braves prédécesseurs : Benjamin Fondane, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy.



C'est fort en émotions comme lorsque dans « La pierre tombale », il « retrouve ces murets en feu/ myriades de petites taches d'ombres et de lumière/ [qui] y jouent à la marelle des lézards bariolés » (p. 35). L'enfance ressurgit « lorgnant du coin de l'oeil/ la mappemonde pour école buissonnière » (p. 40), mais elle s'arrête aussitôt (p. 37). Elle « surgit ( de nouveau, plus loin) dans un contre-jour/ avant de s'émietter sur le mur » (p. 54) et laisse la place à cette « adolescence […] pluvieuse » (p. 53). Grâce à sa maturité acquise, entre autres, au « cinématographe » (p. 66), le poète peut « se dresser face au réel » pour déjouer sa conspiration (p. 66).



Une grande musicalité dans cette poésie si païennement divine.

Une très belle réalisation des éditions unicité, avec une préface très inspirée de Catherine Dutigny.

Un vrai coup de coeur !
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Imprécations nocturnes

Pourquoi ces « Imprécations nocturnes » ? Peut-être parce « [qu]'au réveil/ seuls resteraient des regrets/ et l'éternité à vivre sans illusions » (p. 52). le poète est-il « ce bohémien […] s'accrochant désespérément à une branche d'éternité » (p. 18). Il rêve très certainement d'une postérité grâce à la vérité que lui inspire le réel (toujours conspirant comme dans le précédent recueil) et à son pouvoir de le métamorphoser en mots tranchants. Cependant le verbe n'est pas aussi accessible qu'il y paraît et il arrive que la Muse s'enrobe de boue et se dérobe sous ses allures de Gitane et de fille de la Terre. Qu'à cela ne tienne, il n'a de cesse de trimer avec son oeuvre, « de ranger sa sensibilité par couleur » (p. 20), il « [s'] acharne à donner du sens/ le verbe ratatiné » (p. 19). Ce n'est pas moins un travail solaire que ce labeur de « chercheur d'ombres » comme disait Linda Lê. Et voici un des plus beaux poèmes qui surgit en marge d'elle, l'angoisse (de la page blanche?) :

« sans elle

c'est la sensation d'une faim démoniaque

et ces perceptions glauques

durant cette nuit définitive

mais comment renouer avec la Muse ?

regagner ce territoire solaire

entre ton carnet et ce cendrier plein de poèmes » (p. 50)

Précédemment dans le recueil, le soleil était associé à l'enfance avec son ivresse de songes. C'est magnifique ce que note à ce propos dans la conclusion de sa préface sous le signe de Novalis, Jean-Louis Kuffer : « à la fin seul l'enfant vous dira, derviche conséquent, si le poète l'a fait tourner au chant du monde... ». J'ajouterais à « cette alchimie du rien ».

Je note un grain de malice dans ce paradoxe de Grégory Rateau qui consiste à vouloir se départir de la « poésie poétique » mais de faire rimer, au sens propre, certains vers, et cela plus d'une fois : « à défaut d'un Dieu qui ne répond plus/demain, seul ton silence consacrera/le très haut Verbe disparu » (p. 42).

C'est sous le parrainage littéraire de Pierre Michon que le poète décide de rassembler, dans un corpus unitaire, des poèmes dont certains ont déjà été publiés en revues. le résultat est un bijou scintillant dans un écrin à la hauteur (belle charte graphique de la couverture curious metallics super gold 300g), toujours en clin d'oeil à la puissance solaire de ces imprécations puisées dans les marécages des ombres.

Mais le poète criant la liberté n'est pas, il ne semble pas en tout cas être un mystique (« tous les mots du monde t'ont taillé le costard du mystique », p. 38) mais le gardien « [d'] un verbe sacré qui honnit la sacralité/ à mesure d'un Dieu que tu coudoies à en périr » (p. 38).

Ce volume de poésies est structuré selon une progression au rythme de l'avancement dans l'âge formée par trois parties distinctes. La dernière, qui débute à la page 53, évoque le poète en « vieil homme » père d'un fils entré dans un monde d'anonymat, dans un monde qui fait subir à ses enfants « l'Histoire sans un mot » (p. 59), « cacophonie privée du mot ami » (p. 63). La nuit et la Muse n'inspirent alors plus au poète que le « testament d'un damné » (p. 66). Pourquoi devons-nous « vivre vite » ?

Une lecture éclairante et prenante et un auteur qui nous émerveille avec des fulgurances poétiques remarquées et remarquables.
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Conspiration du réel

"Un kaléidoscope. de multiples éclats du monde réel, en constant mouvement, leur retentissement sensible dans une conscience et un corps, la saisie des impromptus des jours dont le poème garde trace pour longtemps, tout cela intervient dans la relation que le lecteur peut entretenir avec ces poèmes qui (r)avivent son propre regard sur le monde."



Jean-Baptiste Para, rédacteur de la Revue Europe



J'ai eu la chance de recevoir le recueil en avance. Cette critique d'un rédacteur de la revue Europe n'est pas usurpée bien au contraire. Les poèmes de Grégory Rateau sont si expressifs, ils rappellent le meilleur de Rimbaud, des visions exaltées, des terres incultes, des déserts de feu, des incantations, un cri, un verbe moderne mais d'une grande exigence. le choix du titre est parfait, le poète dresse le poing contre ce réel qui ne jure que par les actualités d'un soir, lui veut tendre vers l'intemporalité et il y parvient. En seulement quelques mois ses poèmes ont circulé dans toutes les revues les plus importantes en Europe et sur des sites pointus, les retours sont dithyrambiques. On est très loin des vieux rimailleurs du dimanche et des poèmes bâclés d'une jeunesse qui confond l'oralité et le verbe charpenté dans un minimum de vécu et de souffrance pour faire naître des images immortelles. Un nouveau voyant est né. Je vous le promets!
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Imprécations nocturnes

Ce petit livre brillant jusque dans sa couverture propose une poésie à la fois âpre et lumineuse dont les enjeux sont très bien exprimés par Jean-Louis Kuffer (cf. sa préface) : « à la fin seul l’enfant vous dira, derviche conséquent, si le poète l’a fait tourner au chant du monde… ».

L’enfant que je suis encore a pleinement goûté aux plaisirs de ces « élégies des temps futurs » et s’est souvent rappelé « au réveil /[que] seuls restaient des regrets/et l’éternité à vivre sans illusion ».

Une très belle expérience poétique, le genre de livre de chevet, qu’on garde pour relire parfois des passages et leur trouver des nouvelles portées. Parfois un brin de rime, donne le rythme pour mieux tourner, pas en rond, mais au gré des surprises nocturnes et d’une réelle volonté de liberté : « laissons se consumer les champs de blé d’Auvers/ oublions Gauguin, Paris et ses galères ».
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Conspiration du réel

Ce recueil a été une vraie claque. J'ai découvert la poésie de Grégory Rateau dans les revues (il est vraiment partout et à raison), de suite, j'ai été capté par un souffle, une rage bien légitime, une force expressive qui lui est propre. Loin du "poétique" pour faire véritablement de la poésie. On sent l'ombre de Rimbaud, Baudelaire, Artaud, et d'autres maudits. Grégory parle pour ceux qui souffrent sans filtre, il cherche désespérément cette main tendue, fraternelle, dont parlait le jeune Rimbaud dans ses lettres aux Parnassiens. Je partage depuis peu ici mais j'ai beaucoup lu de poésie, celle-ci est la seule poésie dite contemporaine que je soutiens pleinement. Il faut vous précipiter sans hésiter. La poésie n'est pas morte, la preuve en est !
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Conspiration du réel

Un livre magnifique, un auteur qui vit sa poésie, un résistant des mots. Suivez-le au travers de ces poèmes vous découvrirez un homme amoureux de la langue française, un poète du monde.

La poésie n'est pas morte ! Grégory Rateau en est l'exemple le plus vivant. Laissez-vous embarquer dans son monde où vous trouverez certainement votre place.
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Conspiration du réel

Conspiration du réel

Grégory Rateau

Poésie

Préface de Catherine Dutigny

Éditions unicité 2022



Selon Baudelaire, «La poésie n'a pas d'autre but qu'elle-même.» On pourrait penser qu’elle n’a aucune fonction particulière, mais c’est loin d’être le cas car chacun peut lui attribuer les fonctions qu’il désire, dans le style qu’il privilégie. « Conspiration du réel » est un magnifique recueil qui peut porter fièrement l’étendard de la Poésie avec un P majuscule.

Le langage poétique de Grégory Rateau tient à la puissance des images, dont certaines, brutales, secouent à juste titre une certaine inertie de l’esprit. J’ai cité Baudelaire, car je retrouve dans les poèmes de Grégory Rateau une volonté de mêler le beau et la souffrance, le bien et le mal. Loin de moi la volonté d’une comparaison: Grégory Rateau rend hommage, non seulement à Baudelaire, mais aussi à tous ceux qui l’ont accompagné dans ses nombreuses pérégrinations. Ses voyages, ses rencontres, ses expériences, ont été sa quête de vérité, d’espoir en la nature humaine; une quête qui lui a permis de trouver sa place dans une vie souvent malmenée. Ses poèmes sont tels les « photos de l’album» qu’il partage avec le lecteur et c’est un plaisir de les parcourir: des « Îles d’Aran, à la « Ballade irlandaise » ou à « Beyrouth By Night », de « Bucarest » à « Château Rouge » ou à Katmandou… C’est encore du plaisir de voir des êtres à travers les yeux du poète: « En travaillant la terre » ou « Les Voisins »…

Le lecteur voyage, observe et ressent aussi, à travers le cœur, sans filtres superficiels, du poète. On en ressort grandi.



Catherine Dutigny a écrit une belle préface, qui se termine ainsi :



« Au-delà des murs lépreux, des terres incultes, des horizons blafards, des humiliations, des envieux, des faux amis, la poésie de Grégory Rateau nous intime de dresser le poing, de hausser le verbe, de nous opposer au réel qui conspire à nous rendre faibles, dépendants du regard des autres. Œuvrer toujours plus loin, toujours plus fort pour donner du sens. »



Quatrième de couverture



« Un kaléidoscope. De multiples éclats du monde réel, en constant mouvement, leur retentissement sensible dans une conscience et un corps, la saisie des impromptus des jours dont le poème garde trace pour longtemps, tout cela intervient dans la relation que le lecteur peut entretenir avec ces poèmes qui (r)avivent son propre regard sur le monde. »

Jean-Baptiste Para, rédacteur de la Revue Europe



« Une énergie taille les mots et court tout au long de ces textes. Comme si on se trouvait au bord d’une rupture, d’une faille, mais sans jamais tomber. »

Sébastien Minaux ( Alexis Bardini) poète.



Où est-il celui qui parlait le langage des astres?



Celui capable de réformer le monde

ou de l’embrasser d’un souffle acide

de l’enrouler d’un bon mot

jusqu’à l’implosion des sens

de faire de tout ce qui était

cendres incandescentes

(…)

Extrait du poème « Pour qui parle le poète ? »





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Hors-piste en Roumanie : Récit du promeneur

J'ai découvert ce livre sur les réseaux sociaux. J'ai été souvent déçu par mes dernières acquisitions d'écrivain globe trotter. Trop spécifique, apologie de l'aventure, des tours du monde à n'en plus finir (sans prendre le temps de regarder), j'ai été d'autant plus surprise par la proposition de ce jeune anonyme. Rien de spectaculaire, un voyage à taille humaine, honnête et fragile. On est presque dans l'exercice du journal intime, un projet d'aventure qui n'aurait pas tourné comme il le souhaitait. On se surprend d'autant plus à suivre l'auteur dans de petits trajets campagnards, dans un quotidien plein de poésie à la découverte de gens simples, sans fanfaronnade. Je ne sais pas si le livre trouvera son public mais je ne peux que vous conseiller de vous précipiter dessus. La Roumanie ne m'a jamais intéressé plus que ça mais en refermant le livre, j'ai eu envie d'approfondir le sujet.
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Hors-piste en Roumanie : Récit du promeneur

Un "récit de voyage" qui ne m'a pas lâché car le livre est difficile à cataloguer. Je ne connaissais la Roumanie qu'à travers quelques récits de l'écrivain roumain Panait Istrati (que l'auteur de ce livre vénère à travers plusieurs textes), découvert cette année, voilà pourquoi je me suis lancé en tombant dessus par hasard dans une librairie de quartier (la photo fait un peu film apocalyptique). Ce livre m'a un peu dérouté au début, un avant-propos un peu trop personnel, un brin nombrilisme, on comprend que l'auteur se fait chier à Paris et qu'il a envie de se faire la malle, j'aurai donc pu en rester là. J'ai donné une chance à ce premier livre et je ne l'ai pas regretté. Des portraits au vitriol, plein d'humanité, un style exigeant et sincère, de l'humour, l'auteur n'est d'ailleurs pas des plus tendre avec lui-même. Le livre est en réalité une réflexion sur le voyage, la fuite, il nous parle autant de ses treks au Népal, au Liban, en Irlande, en Andalousie, que de ses errances dans les endroits les plus sauvages de la Transylvanie...Ce livre est vraiment une belle découverte, je le conseille aux amoureux du voyage mais surtout aux amoureux de la littérature, car il est question de ça ici, écrire pour ne rien perdre de ce qui s'offre à notre regard. On peut facilement s'identifier au protagoniste, un paumé plus qu'un héros. Je rajoute que ce livre donne envie de découvrir la Roumanie, ce pays à la mauvaise réputation qui fait souvent l'actu pour de mauvaises raisons.
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Hors-piste en Roumanie : Récit du promeneur

J'ai surpris une pub sur le net et j'ai fait ce qui m'arrive rarement, j'ai commandé le livre. L'auteur avait l'air sincère dans son envie de donner envie qu'on le lise. Il ne faut pas s'attendre à trouver son livre sur tous les stands des libraires, ils ne prennent plus de risque depuis bien longtemps, il suffit de jeter un oeil aux vitrines des boutiques. J'ai donc pris moi même le risque de débourser 19 euros 50 (ce n'est pas monsieur Rateau qui en a fixé le prix, on l'excusera donc) pour l'utiliser ensuite pour décorer des pots. Je l'ai lu en une nuit. Je me suis sentie particulièrement touchée par ses réflexions sur l'amitié, sur le départ et sur les axés de mélancolie du retour. Ce livre m'a fait réfléchir sur mon propre désir de partir. Les territoires dépeints sont à la fois très proches de chez nous, et pourtant, la vie y apparaît toute autre, notre perception du temps n'est plus la même. On cherche souvent l'exotisme de carte postale, des passeports qui s'enchaînent pour le record, comme tous ces cons qui courent avec des numéros sur le bide pour la performance à saluer ; il n'en ait rien ici. Bravo donc à ce jeune explorateur du quotidien!
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Imprécations nocturnes

Je suis fan, absolument fan ! Ce recueil est (j'ose le dire) un chef-d'oeuvre. Tout y est, le style, les thèmes abordés (l'errance, la souffrance, la difficulté d'être au monde, l'enfance, le crépuscule du temps qui passe...), la concision pour toucher à l'essentiel, la couverture, le titre, le travail incroyable de cet éditeur à suivre, Conspiration Editions. L'oeuvre est en marche, indiscutablement et je comprends mieux pourquoi l'auteur (présent partout dans les revues avec des recensions multiples dont la revue En Attendant Nadeau) dérange. On pense de suite au miracle des premières découvertes face à de très grands poètes. Grégory Rateau est indiscutablement l'un d'entre eux. En seulement deux recueils, il dépoussière la poésie dite "poétique" comme le souligne Jean-Louis Kuffer qui en a écrit la préface. Plutôt que de continuer à me répandre en louanges, je préfère laisser la place au critique Jean-Luc Favre :



Dans son nouveau recueil élégamment intitulé Imprécations Nocturnes, préfacé par Jean-Louis Kuffer, l'auteur poursuit sa quête inlassable ou plutôt sa « hantise insondable », amplement signifiée dès son premier recueil, Conspiration du Réel, dont j'avais dans un article précédent vanté les qualités littéraires. Mais également le contenu singulier, dont les thèmes récurrents qui n'ont rien d'une argumentation passive ou poussive, c'est selon, convoquent une fois de plus les affres de la vie et plus encore ses pernicieux revers.



Certes l'auteur, et on le sait désormais, est un poète tourmenté, et hanté par une sorte de « négativité maîtrisée » qui puise sa force dans les méandres d'un vécu, presque anarchique, à la fois lourdement conscientisé, mais aussi inconsciemment refoulé dont les strates successives et pour le moins acrobatiques, laissent apparaître une énergie réfractaire peu commune.



L'auteur se bat contre lui-même ! A peine à respirer parfois — il ne fait pas semblant de porter incidemment une douleur existentielle qui paraîtrait suspecte, mais il la vit pleinement comme un sacrifice nécessaire à l'inverse d'une hypothétique révélation. Cependant le présent recueil se distingue du précédent par la volonté non dissimulée de sortir de la fosse — tête baissée — en gravitant dehors, vers… Et en répondant à « l'appel brûlant des vivants », comme deux mondes qui s'attirent et se refoulent, « deux mondes pour sceller le même cercueil » ; ce qui revient à affirmer que ces mondes-là radicalement distincts finissent finalement par se télescoper. « Chacun devenant le fantôme de l'autre ».



Affirmation étourdissante, il va sans dire, où le miroir originellement réparateur finit par voler en éclats, et là « où on n'y voit plus rien », « je suis cet imposteur/dont la lucidité vengeresse/lui désigne la blessure du soleil ». Ainsi l'auteur sait qui il est. Il ne s'en cache pas. Il ose même l'avouer crûment ! « Je suis ce bohémien avide de sensations/aveuglé par ses chimères/,mais s'accrochant à une branche d'éternité ». Drôle d'éternité cependant dont la mort est le terme. Ici le vivant n'est qu'une pure contradiction.



Aussi pour bien comprendre la quête, de Gégory Rateau, disons le ouvertement victimaire, il faut obligatoirement inverser les propositions et les lire à reculons, « avec l'envie de repousser les murs », mais « qui donc racontera mon histoire ? » Il faut dire que, dans certains cas, la nuit est généreusement salvatrice dans le sens d'une luminosité conquise à force d'aveuglement ; « sans pouvoir en contrôler la teneur » ou la terreur ? Comme aussi bien « d'en faire de refrains coup de poing » — car nul besoin de pousser le bouchon trop loin quand le mal est déjà fait, « la fièvre entre les jambes », d'ailleurs « on a tous un paysage douloureux en mémoire ». Une formule simple, mais vraie ! Un paysage qui parfois s'échappe de lui-même pour finalement rebondir ailleurs. Une redondance scabreuse, jamais vraiment tout à fait sympathique et qui met en garde contre les caprices du temps.



« On a tous un rapport douloureux au temps ». C'est en cela que toute imposture prend vraiment corps, comme une délimitation sordide de la conscience, « et déjà posée sur l'autre rive », « le soleil fatigué d'attendre lui aussi », avec « cette chose sans âge aux traits aguicheurs/couchée là/sur son lit de ronces » au coeur même d'une féminité ambiguë. Est-elle vengeresse celle-là ? Ou proprement désignée pour n'exister que de rares instants au seuil d'une « religiosité de façade ». Cela va de soi. Une fois de plus l'auteur ne se ment pas, « avec personne pour laver ma dépouille ».



Une dépouille hautement mortifère et pour cause ! « Où la sueur signe sa fatigue », « Depuis l'enfance j'ai appris à dissimuler ». le voilà donc piégé par son propre destin, cependant délesté de toute forme de mensonges « inopérants ». Advienne que pourra donc ! Il faut savoir rester modeste face à la souffrance, ne jamais se déclarer martyr du presque rien. C'est d'ailleurs ce que nous apprend l'auteur : Souffrir en dignité ! Ou plutôt apprendre à souffrir sereinement ! En clair souffrir pour ne rien obtenir ! Vider son âme ; apprendre patiemment à la réinventer — un exercice fastidieux, forcément douloureux, qui n'est pas donné au tout venant.



Grégory Rateau, lui n'a pas besoin de jouer avec les mots. Il témoigne juste de sa fragilité au monde. Impuissance manifeste qui vaut aussi pour un sombre enfermement, ou bien alors et plus justement, une tragédie abêtissante et circulaire, où l'être peine à se mouvoir et à se révéler. Cependant que l'auteur ne sache pas vraiment ce qu'il a convoqué sciemment – Frapper à la porte des Enfers comporte toujours un risque pour celui qui s'y aventure, celui de ne pas en ressortir vivant ! 






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Noir de soleil

Un livre brûlant sur la passion de deux êtres dans un Liban en guerre. On pense bien sûr au Camus lyrique de ses débuts que l'auteur cite directement dans son titre mais il fait sans doute aussi un clin d’œil plus marqué à Gérard de Nerval et son fameux Soleil noir. Le style est vraiment très affûté, à l'os, l'auteur boxe avec les mots, le rythme est soutenu, impossible de lâcher le livre. Il me rappelle un peu Carver avec une pointe de Fante par moment lorsqu'il esquisse le portrait des Libanais avec de l'humour mais surtout beaucoup d'autodérision ce qui rend son personnage touchant (l'auteur a mis beaucoup de lui-même dans ce protagoniste). Ce jeune auteur est à suivre, j'attends d'ailleurs avec impatience son nouveau roman. Je découvre en ce moment sa poésie dans les revues, il a un talent fou. Une fan.
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Ces instants de grâce dans l'éternité

C'est le printemps des poètes, un bel événement auquel je n'avais pas porté attention les années précédentes. Et pourtant la beauté est si essentielle dans notre monde, la beauté se donne si librement à travers la poésie. Là où la danse demande des heures d'entrainement quotidien pour commencer à effleurer la grâce, là ou la littérature est l'oeuvre d'une vie, le poème est l'oeuvre d'un instant, un instant qui touche l'infini.

Alors j'aborde ce moment particulier avec un livre publié pour l'occasion qui donne la parole à 116 auteurs contemporains sur la question de la grâce, justement. J'y découvre des nouveaux noms, mais je n'oublie pas non plus Julien Schricke qui aurait mérité sa place dans ce recueil.

On y trouve des noms très connus comme Christian Bobin, Cécile Coulon, ou Charlélie Couture, mais la magie de cette anthologie, c'est qu'ils se glissent naturellement dans cette belle litanie (au sens noble du mot litanie, comme la "litanie des saints") sans éclipser les autres textes. Bobin, pour moi un grand maître, inégalé, de l'instant présent, y cotoie de parfaits inconnus dans la plus grande simplicité. Il doit sourire dans son linceul en pensant que ses mots reposent humblement au milieu de centaines d'autres dans ce cénotaphe des mots si vite écrits, si vite oubliés.

J'arrête ici mon élégie,

Mes mots n'ont pas l'ampleur

De ceux d'un grand poète,

Car je leur prête trop d'importance,

Ils sont si vains à cet instant précis,

Ou je les écris,

Ou vous les lisez,

Qu'ils sont déjà oubliés!
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Noir de soleil

Étant libraire de profession, j'ai eu la chance de découvrir en exclusivité ce premier roman de Grégory Rateau (son second livre en réalité, le précédent étant un récit de voyage sur la Roumanie joliment poétique) et que je me prépare à vous présenter en avril. Un auteur à suivre de près donc et les Éditions Maurice Nadeau (éditeur très exigent) ne s'y sont pas trompées. Chaque description du Liban sent le souffre, on rigole beaucoup dans ce livre qui aborde pourtant des questions très sérieuses, comme la mort, le deuil de sa relation, le ressentiment que l'on peut avoir pour sa belle famille, l'impossibilité de vivre heureux et libre dans une culture aux mœurs plus que rigides. Cet équilibre tient au style très affirmé de l'auteur car dès la première page, nous savons que nous sommes en présence d'un écrivain, d'un vrai, d'une plume qui finira sans doute par s'affirmer dans le paysage français, car en Roumanie, là où il est journaliste, il est déjà très reconnu. L'histoire? Il n'y en a pas vraiment une au sens stricte, il s'agit plutôt d'une chronique à la première personne. Une guerre civile éclate à Tripoli et notre personnage, Arthur, un héros plutôt antipathique de prime abord, veut y tourner un film coûte que coûte aux côtés de sa fiancée, Ana. Il va petit à petit comprendre ce pays, celle qu'il dit aimer, sa remise en question va être brutale. On pense bien sûr aux nouvelles de l'écrivain Albert Camus, "Noces", que l'auteur cite ouvertement, la lumière, les corps, la chaleur qui exacerbe les passions. Cinéphile, l'auteur nous fait également découvrir l'envers du décor d'un tournage mais il montre à voir autre chose, d'impalpable, il nous éclaire justement sur le sens que lui donne à cet art, la littérature, le seul qui, selon lui, permet de montrer ce qui se passe "hors-champ", ce qui se cache honteusement. "Noir de soleil" n'hésite pas à être direct, parfois cru, rien n'est caché et tout y est pourtant fiction. La couleur autobiographique du livre ne révèle pas un manque d'imagination mais une foi parfois naïve de son auteur de croire très fort au pouvoir du vécu, du réel, tout en sachant, que toutes les autobiographies sont fantasmées, elles ne sont jamais qu'une projection de souvenirs, les divagations d'une mémoire ô combien sélective. Ce voyage nous emporte de la première à la dernière ligne en nous laissant un léger goût amer.
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Hors-piste en Roumanie : Récit du promeneur

J'ai eu la chance de rencontrer son auteur dans un salon littéraire l'année passée, très très charmant mais je m'égare pardon et parler de sa beauté ne serait pas rendre hommage à son très beau récit de voyage/roman, aucune importance. Je me suis précipité sur la très belle critique que j'ai partagé ci-dessous car je suis toujours un peu prudente avant de débourser 19 euros pour un livre. le critique, d'origine roumaine comme moi, comparait carrément son auteur à Nicolas Bouvier ou Sylvain Tesson, deux auteurs que j'admire beaucoup, en disant, je cite : "Dans «Hors-piste en Roumanie», Grégory Rateau regarde plutôt du côté de Nicolas Bouvier et de son «usage du monde», adhérant pleinement au crédo de son mentor pour qui «la contemplation silencieuse des atlas […] lui donne envie de tout planter là […] sensible aux musiques qui y résonnent, aux regards qu'on y croise, aux idées qui vous y attendent». J'ai donc décidé de lui faire confiance. Dès l'ouverture j'ai découvert un livre complétement différent de tout ce que j'avais lu sur mon pays, une réflexion sur le voyage, la fuite, la recherche de son identité par le départ et l'égarement. Grégory n'a pas honte de se mettre à nu, de se tromper de chemin, il ne nous livre pas un guide avec de bonnes adresses, il nous perd dans une géographie quasi-mentale, la Roumanie qu'il (re)compose pour nous aurait pu être très éloignée des souvenirs que j'en ai et que j'ai moi même idéalisé mais il n'en est rien. Sa Roumanie intime ressemble étonnamment à la mienne. J'ai ri, beaucoup ri de ses péripéties ou des Roumains qu'il dépeint mais j'ai aussi pleuré en le lisant et c'est rare car je ne suis pas du tout fleur bleue. Son style est d'une richesse incroyable, un réel équilibriste qui se laisse emporter parfois par des phrases plus longues et poétiques dans un langage soutenu et qui, au détour d'une anecdote, nous surprend avec un langage plus brut, plus percutant et proche de notre époque. On découvre un auteur et une écriture recherchée qui lui est propre, entre la nostalgie pour un passé qui n'est plus et un présent qui n'est pas toujours à la hauteur de ses attentes, Grégory nous livre ici une première œuvre, car aussi improbable que ce soit, il s'agit de sa première tentative, d'une unité presque parfaite, facile à lire, à relire et pourtant d'une force poétique qui m'a donné des frissons partout. Bon vous l'aurez compris je suis amoureuse mais je suis heureuse d'avoir aussi littéralement craqué pour ce Hors-piste rafraichissant : "à lire entre deux stations et à en garder pour le restant de la journée une saveur un brin mélancolique et une nonchalance décalée, «Hors-piste en Roumanie» nous invite à bord d'une embarcation traversant aisément les territoires enchantés d'un pays qui ne tarde pas de lui révéler ses beautés nouvelles."On ne le quitte plus durant tout le voyage. Merci Monsieur Rateau en attendant votre prochain roman/récit...
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De mon sous-sol

"De mon sous-sol" par Grégory Rateau , éditions Tarmac.

Si vous ne le connaissez pas encore, lisez ce petit livre précieux où l'auteur dévoile les plus intimes moments de sa jeunesse, sans concession, sans tricherie il s'expose. Mais désormais sans la souffrance physique et morale des jeunes années. Les révoltes, les injustices vécues ont fait de lui un homme vrai, un combattant. Souhaitons que les aveugles retrouvent la vue, que les serpents trouvent d'autres pierres. Merci mon ami.
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Conspiration du réel

(...) la plume de Grégory Rateau se nourrit de son goût des voyages comme de la flânerie. C’est au détour des carrefours du monde, en se frottant au réel et en cultivant l’art de la rencontre que surgissent ses poèmes.



De ses nombreuses mues, de ses allers et retours, cet artiste polymorphe, tire une vision plurielle, juste et puissante, qui puise dans les perceptions vives parfois à vif que ses traversées font naître en lui, ce recueil en témoigne, mêlant portraits et paysages, réminiscences et réflexions, ombres et lumières. (...)



(Re)découvrez notre chronique dans son intégralité entre les pages numériques de notre bimestriel littéraire et culturel en ligne le dernier dimanche tous les deux mois...



https://proprosemagazine.wordpress.com/2022/05/29/conspiration-du-reel-gregory-rateau/
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Ces instants de grâce dans l'éternité

Quelques belles redécouvertes et découvertes (Maulpoix, Maria Baros, Cliff, Mouton...) et enfin présent en bonne place, un auteur que j'adore et que je suis depuis ses débuts, Grégory Rateau. Ses poèmes touchent et bousculent, une rare exigence dans l'écriture, un style qui lui est propre, de sacrées références, une authenticité payante car son lectorat grandit. L'un de ses poèmes est extrait d'Imprécations nocturnes (citation disponible), le recueil qui ne cesse de faire parler de lui et à raison.
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De mon sous-sol

Décidément cet auteur ne peut pas me décevoir. Un long poème pour exprimer les violences subies dans son enfance au contact des autres et celles qu'il peut encore rencontrer aujourd'hui dans le secteur de la poésie où il semble y avoir énormément de copinages, de postures et de jalousies. Il ne triche pas, il laisse couler les mots à bout de souffle, sans vouloir éblouir le lecteur mais simplement lui témoigner son incroyable foi en cette littérature majuscule qui ne l'a jamais abandonné. On ressort de ces 52 pages en apnée, on a eu l'impression de cheminer aux côtés d'un petit frère, de se reconnaître dans ses colères et ses espoirs. Un poète, un vrai!
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Noir de soleil

Lorsque Arthur atterrit à Beyrouth avec sa petite amie Ana, il est loin d’imaginer ce qui l’attend. Venu pour tourner un film, le tout jeune homme va se trouver confronté à une série de difficultés auxquelles il n’était pas préparé. Cette ville à la tonalité crépusculaire, qui porte encore bien visibles les traces du conflit qui l’a déchirée, où règne la débrouille et où les relations entre les individus restent régies par des codes très précis qu’il faut posséder, va lui imposer une série d’épreuves qui vont non seulement le contraindre à repenser l’oeuvre qu’il s’apprête à réaliser, mais aussi et surtout le conduire à se remettre en question.



Loin de ses repères habituels, Arthur a le sentiment que tout lui échappe. En premier lieu Ana, qui lui reproche son manque de maturité, et plus largement sa vie, dont il a le plus grand mal à tenir les rênes, plus préoccupé qu’il est par la satisfaction immédiate de ses désirs, qu’il s’agisse de fumer une cigarette ou de faire l’amour avec la jeune femme, que d’envisager l’avenir.



C’est donc le voyage initiatique de ce jeune homme que nous sommes invités à suivre, un parcours qui se teinte des sombres lueurs d’un Beyrouth terrassé par la chaleur. Il se dégage de ce texte une atmosphère particulière, et il faut sans doute accepter de se laisser guider par les pensées d’Arthur si l’on veut l’apprécier. Des pensées fluctuantes, confinant au ressassement parfois irritant d’un être en devenir peinant à se définir et à trouver sa voie, un être qui se trouve à cet instant précis où, au sortir de l’adolescence, il faut définitivement quitter l’enfance pour faire face désormais à ses responsabilités, assumer les conséquences de ses actes et devenir adulte.


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