il voyait l'enfant comme... le Petit Prince, celui dessiné par Saint-Exupéry, exactement cela, il le reconnaissait malgré les changements incroyables, les cheveux passés de l'or des blés au noir d'ébène, l'épée changée en béquille, son large manteau vert et rouge en guenille à la couleur indéfinissable, et les étoiles de ses épaulettes, signe de sa principauté, avaient migré dans ses yeux. Petit Prince du réel, qui lui faisait l'honneur de le recevoir, devant qui il se faisait l'effet d'un esclave échappé d'un lointain bagne. Il pensa qu'il vivait la rencontre du premier homme, du premier véritable être humain. Le regard et la présence de cet enfant l'avaient rendu à une enfance d'avant, à la vie lorsqu'il était vivant encore et, rendu à l'enfance, il l'était à l'adulte. Un adulte au coeur d'enfant...
Devant ses yeux, sa vie passée scintillait de mille vanités, plus légères que la poussière, voletant au premier souffle, venant irriter l'oeil et tirer des larmes de dépit, chimères insaisissables. Il avait butiné le monde sans en tirer le moindre miel, croyant vivre et aimer; il était devenu sec et amer. Il était humilié et, pourtant, il n'en était pas triste. A son grand étonnement, il sentait monter une puissante énergie, comme si la vie trop longtemps maintenue par de hauts bords, enfin se répandait après qu'ils eurent cédé.
Tu me parles d'amour idéal, de rêves, de ce que tu crois et ne crois pas pouvoir vivre dans les cinquante prochaines années. Et aujourd'hui ? Qu'est-ce qui te fait vivre aujourd'hui ? Quelle est la force qui t'a poussé à venir jusqu'ici ? Qu'es-tu venu chercher ?