Gabriella Papadakis et
Guillaume Cizeron nous racontent les coulisses de leurs années olympiques dans un beau livre exceptionnel, "
En or" (Marabout).
Ils nous dévoilent l'histoire derrière les photos que l'on peut retrouver dans le livre.
Nous sommes comblés et fiers de ces succès, bien sûr, nous avons travaillé des milliers d'heures pour les obtenir, et cependant, au moment où nous entrons sur la glace et commençons à danser nous n'y pensons pas, c'est autre chose qui se joue, quelque chose qui nous échappe, quelque chose de bien plus grand que nous et qui, soudain, vient toucher au cœur ceux qui nous regardent. Ça se passe maintenant, ça ne va pas durer plus de quatre minute dix, car au-delà nos cœurs risqueraient de se rompre, et dans ce temps si bref ce qui se met à vivre sur la glace n'habite pas le monde, transcende notre condition. C'est que la vitesse donne soudain une intensité dramatique à nos mouvements, nous paraissons tout près de nous envoler, de voler, et en vérité nous ne nous savions pas capables d'être ces créatures – sortes de longs cygnes dont on croirait par instant deviner les ailes, à la fois sublimes et implorants comme s'ils espéraient que le ciel allait enfin s'ouvrir. Nul n'a jamais vu aucun homme se déplacer dans la rue de cette façon, n'est-ce pas, et pourtant nous sommes bien des hommes, nous ne sommes que des hommes (p.100-101)
J'ai alors vingt-deux ans, et quel homme suis-je devenu ? Longtemps j'ai souffert de l'angoisse de ne pas être né dans le bon corps. Et puis, avec les années, j'ai apprivoisé le mien, je ne le rejette plus, je l'ai accepté. Je n'aurais pas voulu être une femme, je ne me sens pas femme, et en même temps, je ne me sens pas particulièrement masculin. J'ai noté que dans un roman, ou dans un film, je m'identifie le plus souvent à l'héroïne plutôt qu'au héros. Et pourtant, je ne ressens pas le besoin de changer de sexe, comme certains hommes qui doivent passer par cette « révolution » pour se sentir enfin dans le bon corps.
J'accepte cette ambivalence qui s'exprime évidemment dans ma sexualité. Alors je ne me pose pas la question – j'aime les élans féminins et masculins qui cohabitent en moi. Mais j'imagine que dans tous les couples, qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels, existe cette part d'équivoque – homme ou femme, nous portons tous en nous les caractères de l'autre sexe. (p.121-122)
Aurélie et Blandine devinent-elles ce que je vis au collège ? Je n'en parle à personne à la maison, probablement, encore une fois, parce que je n'ai pas les mots pour le raconter. Comment dire que l'on me traite de « pédé » alors que je ne sais pas encore que je suis « pédé » ? Pour avoir les mots, il faudrait que j'accède à la conscience de mon orientation sexuelle, or je n'en ai pour le moment que le trouble, un trouble dans lequel je me débats, noyé sous des vagues d'insultes qui me donnent le sentiment douloureux d'être rejeté pour un « mal » indéfinissable et qui ne dépend pas de ma volonté. (p.46-47)
Aujourd'hui, je peux écrire qu'ils ont dit que j'étais homosexuel avant même que je le sache. Aujourd'hui, je peux écrire que j'ai découvert mon orientation sexuelle par des insultes, des mots volontairement blessants, et dans un climat quotidien d'humiliation ponctuée de ricanements et de gestes obscènes dont je ne connaissais pas la signification. (p.41)
J'ai compris que ce qui faisait la beauté du spectacle vivant c'était qu'il nous laissait entrevoir quelque chose qui n'existait pas en réalité - le Ciel, notre salut peut-être. Une merveilleuse illusion avant de reprendre pied sur la lourde terre.