Guillaume Clapeau

Assis sur ton canapé avec ton tas d'objets trouvés, tu réfléchis à ce que tu vas bien pouvoir en faire. Passer une heure à la poste pour les lui renvoyer, à piétiner dans la file d'attente entouré de déficients mentaux qui ne savent même pas acheter un timbre au distributeur automatiquement? (p37)

SMS de Marion. Coup de couteau dans les tripes. Putain, pour qui elle te prend? Elle croit que ton deuxième prénom c'est Zalando et qu'on a cent jours pour renvoyer les trucs gratuitement. (p33)

- Putain, comment t'es torché ! Le mec se lamente depuis des mois sur son blocage avec les filles, "Oh là là, non, j'ose pas, Marion je t'aime toujours, pourquoi tu m'as fait ça grosse pute, je suis tellement un poète romantique décadent, si, si, j'ai vu douze fois Love Actually", et là t'as une fille qui t'est livrée sur un plateau comme si tu l'avais commandée chez Uber Meufs et tu t'en rends même pas compte, genre non, vous vous êtes trompé dans ma commande. Mais Marion n'est pas sur le menu, Melchior, il faut que tu t'y fasses et que tu laisses une chance quand on te drague avec un grand sourire et un regard qui sent le cul. On va mettre ça sur le compte de l'alcool, allez, viens, je te ramène.
Stéphane t'a raccompagné en voiture. Pour la sauvegarde de son habitacle, il a anticipé en te demandant d'imaginer que tu mangeais une blanquette de veau avant d'arriver à sa caisse. Ce n'est pas toi que maudira le propriétaire de la Peugeot 206 qui a reçu le contenu de ton estomac sur son capot. Tu as eu l'idée hilarante de glisser la carte de visite de la hérissonne sous ses essuie-glaces. Parce que dans "vomir", il y a "veau", comme dans la blanquette.

Oui, tu as toutes les raisons de la détester. Elle est immature, égoïste, égocentrique, toujours à privilégier la facilité, toujours à ne penser qu’à sa petite gueule. Putain mais tu l’aimes, sa petite gueule. Toi aussi, tu ne penses qu’à sa petite gueule, ça vous fait un point commun qui subsiste. Si Marion sonnait maintenant à ta porte, sa valise à la main, en te demandant si tu l’aimes encore assez pour reprendre votre relation là où elle l’a piétinée, tu serais le plus heureux des hommes. Tu l’imagines souvent, ce moment, quand tu rentres chez toi. Tu te vois monter tes cinq étages et la trouver sur ton palier. Oui, tu l’aimes encore assez, cette sale égoïste, cette immature à la con. Ouais, tu l’aimes comme au premier jour. Mais il va bien falloir que ça change, bordel !

Toi, tu ne veux pas te "caser". Tu veux rencontrer celle qui te fera te sentir complet (oui, tu sais, tu l'as lu moult fois sur Internet, mieux vaut se sentir complet avant d'entamer une relation pour éviter la dépendance affective et ne pas espérer que l'autre comblera tes manques parce qu'il n'est pas là pour ça et que tu finiras par lui en vouloir de ne pas réussir à les combler et du coup la relation ne fonctionnera pas, jargon de psy, mais tu t'en fous, c'est comme ça que tu le sens. Est-ce que Roméo et Juliette étaient complets avant de se rencontrer ? Tu en doutes, idem pour Titus et Bérénice ou pour Brad Pitt et Jennifer Aniston, et oui, tu cites des exemples qui ont mal fini, mais ça a quand même de la gueule)

La hérissonne t'a prié de ne pas sonner à son interphone avant l'heure de ton rendez-vous, soit seize heures, pour éviter de croiser son patient précédent, a-t-elle précisé. N'ayant prêté aucun serment d'Hippocrate, elle n'est sans doute pas sujette à des clauses de confidentialité aussi strictes que ses confrères vraiment diplômés et devrait s'en foutre comme de son premier accord toltèque. Cela dit, tu comprends. Tu n'as pas vraiment envie non plus de croiser un camarade de déprime dans l'escalier (elle est au premier étage, tu ne comptes pas prendre l'ascenseur). Une camarade de déprime à la rigueur. Une jolie dépressive aux yeux délavés par un trop-plein de larmes, à la peau pâle et à la maigreur de celle qui se nourrit exclusivement de soupe en sachet et de thé, en sachet aussi, c'est rapide à préparer, on n'a pas besoin de mettre le couvert ni de quitter des yeux la série humoristico-sentimentale qu'on a lancé sur l'ordinateur portable et qui déprime encore davantage car les gens drôles et heureux en amour c'est très agaçant, finalement. Seize heures. Tu sonnes.

Tu regardes le ciel par la fenêtre. Il n'y a pas un nuage. Tu vas aller à pied jusqu'à République pour acheter des vinyles à la brocante, même si les mecs se touchent un peu sur les prix. Tu pourras en profiter pour te balader un moment au bord du canal Saint-Martin (putain, on ne peut pas faire plus bobo que ça, songes-tu en te disant que c'est pas la fin du monde).

Marion et toi en rirez, lovés l'un contre l'autre sur le canapé après avoir baisé comme des lémuriens épileptiques.

Ça fait trois mois que Marion est partie. Elle te manque toujours autant. Tu l'aimes toujours autant. Et tu as toujours autant envie de chialer quand tu penses à vous deux, à ce que vous avez vécu, à ce que vous auriez dû vivre. Tu en as pourtant rencontré, des filles depuis trois mois.... En fait, tu sais très bien au fond de toi qu'elle partagent tous les même défaut. Un truc rédhibitoire. Elles ne sont pas Marion. Tu comprends que tant que tu seras aussi éperdument amoureux de Marion, tu ne pourras pas avancer. Alors c'est quoi la solution ? Comment est ce qu'on donne amoureux ?
p105

Pour l'instant il n'y a qu'une seule chose qui te fasse sentir exister un minimum aux yeux de quelqu'un. Tu prends ton téléphone. Tu ouvres Tinder.
p63